Sécheresse : Les nappes phréatiques déjà au plus bas, « on est mal parti » pour l’été

Météo Après un été 2022 tendu en matière de sécheresse, en raison du déficit pluviométrique actuel, celui à venir pourrait s’avérer encore plus catastrophique si les pluies du printemps ne sont pas au rendez-vous

Alexandre Vella et Béatrice Colin
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Sur La Loire entre Saumur et Angers le 20 janvier 2023 : des banc de sable apparaissent alors qu'ils devraient être immerges.
Sur La Loire entre Saumur et Angers le 20 janvier 2023 : des banc de sable apparaissent alors qu'ils devraient être immerges. — SICCOLI PATRICK/SIPA
  • La France vient de vivre une période de trente et un jours consécutifs sans pluie, du jamais vue depuis 1959.
  • Si des précipitations sont annoncées à compter de ce mercredi, elles ne permettront pas de combler le déficit pluviométrique de cet hiver, qui fait suite à une année 2022 déjà très sèche.
  • Si au cours des mois de mars et d’avril les précipitations du printemps ne sont pas excédentaires, les restrictions, déjà en cours dans certains départements, pourraient être très importantes

Du jamais vu en hiver depuis 1959, selon Météo-France. Il n’a pas plu depuis le 21 janvier dernier, soit trente et un jours consécutifs sans véritables précipitations. Un niveau qui égal celui enregistré au printemps 2020, en pleine période de confinement, lorsque aucune goutte d’eau n’avait été enregistrée entre le 17 mars et le 16 avril.

Cette pluviométrie déficitaire arrive après une année 2022 déjà marquée par la sécheresse. Si des ondées sont bien prévues sur une partie du territoire à compter de ce mercredi, elles ne devraient pas permettre d’inverser la tendance. Et laissent d’ores et déjà présager un été très compliqué, potentiellement pire que celui de l’an dernier si le ciel ne se décide pas à (enfin) nous tomber sur la tête d’ici là.

Depuis août 2021, seuls trois mois excédentaires

D’autant que les périodes se suivent et se ressemblent, et les déficits s’accumulent. Depuis août 2021, seuls les mois de décembre 2021, juin et septembre 2022, durant lesquelles des trombes d’eau sont tombées sur l’Hexagone, font figure d’exception. « Au niveau de la France, en 2022, nous avons eu un déficit pluviométrique moyen de 20 %, ce qui est beaucoup pour une année. A Toulouse, il était de 35 % et c’est encore pire en Languedoc-Roussillon ou dans l’extrême sud-est, le Var, les Alpes-Maritimes et le nord de la Corse. Avec cette pluviométrie ultra-déficitaire, nous avons eu des températures très élevées pour l’Europe, une situation qui a aggravé la sécheresse des sols superficiels. Et 2023 ne commence pas très bien car, au mois de janvier, la pluviométrie attendue n’était pas vraiment au rendez-vous », constate Christine Berne, climatologue à Météo-France. Au point que les Pyrénées-Orientales sont en alerte sécheresse sans discontinuer depuis plus de huit mois.

Ce mois de février, qui s’annonce comme l’un des plus secs depuis 1959, va donc encore plus compliquer la donne. « Si les pluies annoncées, et espérées, de ces prochains jours devraient être significatives, cela ne sera pas suffisant pour rattraper ne serait-ce que le déficit de ce dernier mois. On peut s’attendre à avoir un déficit de 50 % sur février, aujourd’hui on est à plus de 90 % », poursuit la spécialiste de Météo-France.

Nappes phréatiques et réserves artificielles au plus bas

Ce manque d’eau précoce a un impact direct sur les nappes phréatiques et les rivières et cours d’eau. Selon les données de compilées de l’agence gouvernementale l’Accès aux données sur les eaux souterraines (Ades), accessibles sur le site info-sécheresse, 352 des 457 nappes phréatiques recensées en France métropolitaine, soit 77 %, présentent des niveaux allant de très bas à modérément bas. Dans le détail, 140, soit 30 % d’entre elles, connaissent des « niveaux très bas » et 117, soit 22 %, « bas ». A l’exception du Tarn, de l’Allier et du Rhin, aucun bassin-versant n’est épargné par ces données plus qu’inquiétantes.

Cela se voit aussi sur les lacs de montagne, comme celui de Montbel, à la frontière entre l’Ariège et l’Aude. Au niveau de ce barrage, qui participe au soutien d’étiage de la Garonne et à l’irrigation des cultures, le paysage est lunaire. Cette retenue d’eau de 60.000 milliers de m3 présente un taux de remplissage de 20 % seulement, contre 70 % l’an dernier à la même époque.


En Provence, le niveau actuel des réserves d’eau artificielles de Serre-Ponçon, Sainte-Croix et Castillon, qui cumulent 2,3 milliards de mètres cubes d’eau, se situe dans les moyennes de saison. Le lac de Sainte-Croix présente cependant « un léger déficit » et oblige en l’absence de pluies à préserver la ressource.

« La situation est très préoccupante »

« La période optimale pour avoir les précipitations les plus utiles est celle allant de septembre à mars. C’est la période de recharge des nappes phréatiques, celle où l’eau s’écoule plus facilement puisque la végétation a moins besoin d’eau, capte moins. C’est aussi la période où les précipitations sont les plus abondantes, c’est cette période qu’on surveille puisqu’elle est décisive pour le reste de l’année. Or là, on est mal parti, puisqu’on a une période recharge qui est très déficitaire. Les précipitations du mois de mars et avril seront décisives pour la situation hydrique en France », indique Christine Berne de Météo-France pour qui « la situation est très préoccupante ».

D’autant que l’enneigement dans les Pyrénées est plutôt déficitaire et dans une moindre mesure dans les Alpes. Or, l’or blanc est un réservoir, qui, lorsqu’il fond, alimente les cours d’eau au printemps. Cette conjonction de circonstances est donc loin d’être un bon présage, d’autant plus qu’elle tend à se renouveler de plus en plus régulièrement, symbole d’un réchauffement climatique qui s’aggrave.

Si la sécheresse de l’été dernier avait atteint des sommets, avec près de 700 communes ayant eu des difficultés en approvisionnement en eau potable, elle pourrait donc s’avérer encore bien pire cette année. Et selon les prévisions du Giec, le niveau des cours d’eau pourrait baisser 10 et 40 % de baisse d’ici à 2050

De nouvelles mesures anti-sécheresse dès jeudi ?

Mais dans l’immédiat, s’il ne pleut pas abondamment et régulièrement d’ici la fin avril, il y aura donc très probablement des restrictions en cascade. Celles-ci ont déjà commencé pour le Var, où plus de 87 communes, soit la moitié que compte le département, sont placées depuis le 17 février en « alerte sécheresse » par les autorités ce qui contraint les agriculteurs à diminuer leurs prélèvements de 50 %. Dans ces communes, il est également interdit de laver sa voiture ou quelconques engins, de remplir ses piscines et autres bassins. Les fontaines des villes et villages ne fonctionnant pas en circuit fermé doivent demeurer à sec. Le reste du département se situe en vigilance, tout comme les Bouches-du-Rhône. Les derniers arrêtés sécheresse en date avaient été levés le 15 décembre dernier pour ces deux départements qui n’auront donc connu que deux petits mois de répit.

A l’image des mesures prônées dans le cadre du plan de sobriété énergétique, certains appellent à un big bang sur la question de l’eau. En janvier, Christophe Béchu, le ministre de la Transition écologique, a dévoilé les contours de son plan anti-sécheresse, avec l’objectif de diminuer d’un peu plus de 10 % le volume d’eau prélevée dans les sous-sols d’ici 2027 et la fin du quinquennat. Dès jeudi, il pourrait cependant annoncer de nouvelles mesures à mettre en œuvre danas la foulée. Le premier « comité d’anticipation et de suivi hydrologique » de l’année pour évaluer la situation aura en effet lieu ce jour-là. En attendant, on peut avoir recours aux incantations et à la danse de la pluie pour que les cieux soient cléments.