Cinq choses à savoir sur les « mégafeux », ces incendies qui se sont démultipliés au cours de la dernière décennie

Incendies Alors que le Chili est ravagé par des « mégafeux », le Quai des savoirs de Toulouse consacre une exposition à ces phénomènes extrêmes qui se sont multipliés au cours des dernières années, en Europe comme ailleurs

Béatrice Colin
Lors des « mégafeux » qui ont parcouru la Californie en août 2021.
Lors des « mégafeux » qui ont parcouru la Californie en août 2021. — Peter DaSilva/UPI/Shutterstock/SIPA
  • Une exposition vient d’ouvrir au Quai des savoirs de Toulouse sur la thématique « feu, mégafeux », un sujet brûlant d’actualité.
  • Depuis une décennie, ces phénomènes intenses et incontrôlables se sont démultipliés à travers le globe, que ce soit en Australie ou encore au Chili, comme en ce moment.
  • Symptômes du réchauffement climatique, ces mégafeux vont continuer à se développer au cours des prochaines années, certainement dans des lieux jusqu’alors épargnés, selon les scientifiques.

Depuis plus d’une semaine, le Chili est en proie à des centaines d’incendies dans les régions de Ñuble et de Biobío, au sud de Santiago, qui ont déjà ravagé plus de 40.000 hectares. La situation pourrait s’aggraver au cours des prochains jours, avec une nouvelle vague de chaleur qui fait craindre une expansion de ces « mégafeux ».

Ce phénomène était encore méconnu il y a encore quelques années, mais a vraiment pris racine dans l’esprit des Français l’été dernier avec les grands incendies de Gironde, qui ont brûlé près de 30.000 hectares et nécessité environ 50.000 évacuations préventives. Ces événements extrêmes sont au cœur d’une nouvelle exposition qui s’ouvre au Quai des savoirs de Toulouse.



Déjà présentée à la Cité des sciences sous l’intitulé « Feu », elle a été enrichie pour Toulouse d’une expérience immersive sur les « mégafeux », un sujet brûlant d’actualité et sur lesquels on ne dispose pas encore de beaucoup de données.

C’est quoi les « mégafeux » ?

« Le terme de mégafeux est un terme médiatique. Les scientifiques préfèrent celui d’événements extrêmes d’incendie. Ce sont des feux qui sont extrêmes par leur vitesse, leur intensité, les phénomènes en jeu, l’ampleur qu’ils peuvent avoir et que nous avons rarement vus dans le passé », indique Mélanie Rochoux, chercheuse au Centre de recherche fondamentale et appliquée spécialisée dans la modélisation et la simulation numériques, qui planche sur la thématique des feux de forêt.

Les mégafeux représenteraient « seulement » 3 % des incendies, mais seraient responsables de plus de 50 % des surfaces brûlées de la planète. A la différence des incendies, qui surviennent régulièrement au cœur de l’été, ces phénomènes sont plus incontrôlables. « C’est quelque chose que l’on connaît mais qu’on ne maîtrise pas, car le principe même du mégafeu, c’est qu’il va tellement vite qu’il dépasse très rapidement les capacités opérationnelles des sapeurs-pompiers », reconnaît Sébastien Vergé, le directeur du service départemental d’incendie et de secours de la Haute-Garonne.

« Quand on pense aux feux australiens de 2019-2020, il y a eu de multiples sautes de feu, des projections de braises à très grande distance qui vont déclarer des nouveaux feux, mais aussi des phénomènes de pyroconvection, ces panaches qui vont à très haute altitude et qui vont faire que le feu va créer sa propre dynamique météo localement », poursuit Mélanie Rochoux.

Quels sont les grands mégafeux contemporains ?

Les phénomènes que l’on a pu constater en Gironde l’été dernier peuvent être classés dans la catégorie des mégafeux. Mais ils sont loin, en matière de surfaces brûlées ou d’impact sur les populations, d’atteindre ceux qui ont touché le continent américain ou australien ces dernières années. En 2018, à Camp Fire, en Californie, 85 personnes avaient perdu la vie et 19.000 habitations avaient été détruites.

L’année suivante, au cours de l’hiver 2019-2020, un véritable désastre écologique s’est joué en Australie lors des incendies qui ont coûté la vie à 33 personnes et ravagé 240.000 km de végétation. Baptisé le « black summer », cet événement serait à l’origine de la mort ou du déplacement de 3 milliards d’animaux et d’un montant de dégâts estimés à 6,5 milliards d’euros. Il y a deux ans, le Pantanal au Brésil agonisait, touché par des mégafeux qui ont brûlé 39.000 km2.

Mais l’Europe est loin d’être en reste. En 2017, la commune de Pedrogao Grande, au Portugal, a vécu un incendie d’une violence inouïe, causant la mort de 65 personnes. A l’été 2018, la Lettonie et la Suède ont aussi connu des mégafeux. Mais cette année-là, c’est en Grèce que l’incendie le plus meurtrier de la dernière décennie s’est joué. Au cœur de l’été, en Attique, 102 personnes y ont perdu la vie.

Des phénomènes liés au changement climatique

Comme la majorité des incendies, les mégafeux ont une origine humaine, qu’elle soit accidentelle ou volontaire. Hormis dans certaines zones reculées où les phénomènes météorologiques comme la foudre peuvent être à l’origine de l’étincelle. Mais un autre facteur entre en ligne de compte ces dernières années.

« Le fait que ces cas se multiplient est effectivement lié au changement climatique : les mégafeux sont à la fois les symptômes et les conséquences de ce changement climatique », souligne Mélanie Rochoux.

Les vagues de chaleur extrêmes, conjuguées à des sécheresses importantes et des vents forts, sont le combo idéal pour qu’ils se développent. La déforestation joue aussi un rôle. Selon le GIEC, en Amazonie, elle a eu un impact sur l’augmentation des surfaces brûlées plus important que le réchauffement climatique lui-même.



Ces feux eux-mêmes entretiennent certainement le réchauffement climatique. « Nous savons que les feux australiens de 2019-2020, parmi les plus extrêmes que l’on ait connu, peuvent être considérés comme une éruption volcanique modérée vis-à-vis de leurs impacts sur la haute atmosphère. Les panaches de fumée sont montés tellement haut dans l’atmosphère qu’ils ont réussi à injecter des particules dans la stratosphère. Et une fois qu’elles y sont, elles peuvent y rester plusieurs mois, et cela peut changer le rayonnement solaire et avoir un impact sur le climat. Des études sont en cours pour mieux comprendre et quantifier cet impact », note la chercheuse du Cerfacs.

… Et qui ont un impact aussi sur la santé

Ces nanoparticules vont avoir un impact sur la pollution atmosphérique, et donc directeur sur ceux qui les respirent. « Après les grands incendies en Australie, on a pu suivre le nuage de nanoparticules qui est allé jusqu’en Amérique latine. A des milliers de kilomètres, les gens ont respiré les nanos cendres émises en Australie », rappelle Laurent Chicoineau, le directeur du Quai des Savoirs.

Au cœur de l’exposition présentée par ce lieu de culture scientifique, on peut ainsi apprendre qu’au moment des mégafeux d’Indonésie en 2015, 43 millions de personnes ont souffert d’une exposition à long terme à la fumée. Il faut dire qu’ils ont émis 1,5 milliard de tonnes de CO2, soit 5 % des émissions mondiales annuelles. Avec une conséquence directe sur la santé humaine puisqu’on a estimé que jusqu’à 100.000 personnes sont mortes prématurément à cause de ces émanations et de la mauvaise qualité de l’air qui s’est ensuivie.

Plus de mégafeux à l’avenir, partout

Les feux ont toujours marqué l’actualité estivale en Europe. Depuis une décennie, on en dénombre au moins un, que ce soit au Portugal, en Suède ou en Grèce. La Sibérie aussi, même si l’on en parle moins, est souvent touchée par les mégafeux.

« Il y a des zones, comme le sud-est, qui sont régulièrement touchées, le massif des Maures dans le Var a, par exemple, brûlé trois fois en trente ans. Ces zones-là vont continuer à en avoir et on sait, avec les projections climatiques, que le risque va s’intensifier. Elles montrent aussi qu’il y a de nouvelles régions en France où le risque va augmenter, même si c’est sujet à des incertitudes importantes, notamment dans l’ouest de la France ou le centre. Par exemple, le massif forestier en Sologne, nous savons qu’il pourrait être vulnérable avec le changement climatique, qu’il a des essences d’arbre qui ne sont pas adaptées aux incendies », prévient Mélanie Rochoux.

A défaut de pouvoir les contrôler, aujourd’hui les scientifiques tentent d’identifier, « grâce à l’observation de l’état des sols ou la sécheresse, les lieux qui sont plus propices que d’autres à partir en fumée », explique Laurent Chicoineau. Avant d’ajouter qu’avec « les outils de télédétection, d’analyses cartographiques par satellite, mais aussi les laboratoires d’intelligence artificielle, les chercheurs développent des programmes qui vont permettre de prédire la survenue d’un mégafeu ou pas ».

En attendant, pour les éviter, la meilleure arme selon le patron des pompiers de la Haute-Garonne reste celle de la prévention. « Il faut accentuer aussi tout ce qui est débroussaillement de végétations, parce que tout ce qui est interface des forêts et des habitats est problématique. C’est là que nous avons des risques pour les vies des personnes et cela mobilise beaucoup de pompiers qui ne sont pas pendant ce temps-là à lutter contre le feu », assure Sébastien Vergé, qui a renforcé ces dernières années la formation spécialisée « feu de forêt ».