Transport fluvial : Moins de CO2 et pas de bouchons… La Seine, le bon plan à redécouvrir pour livrer Paris ?
Logistique A compter de ce mercredi, Ikea passera par la Seine pour acheminer ses marchandises jusqu’au cœur de Paris avant de les livrer chez ses clients. Une idée dans l’air du temps ?
- Le géant de l’ameublement Ikea lance, ce mercredi, un nouveau dispositif de livraison de ses clients parisiens. Par le fleuve, du moins entre le port de Gennevilliers et le port de Bercy, avant que des camions prennent le relais.
- Ikea n’est pas le premier à miser sur la Seine pour atteindre le cœur de la capitale. Depuis dix ans, Franprix approvisionne, chaque jour, 300 magasins parisiens en produits secs de cette façon.
- A la clé, moins de camions sur les routes, une empreinte carbone diminuée et surtout une ponctualité améliorée dans les livraisons, selon Franprix. Alors pourquoi les entreprises ne sont-elles pas plus nombreuses à le faire ?
Un drakkar, des Vikings… et ce slogan : « Ils sont fous ces Suédois ». Telle était l’affiche accompagnant le lancement d’Ikea en France, se remémore Emma Recco, directrice stratégie et marketing de la marque d’ameublement suédoise. Quarante ans plus tard, la campagne pub pourrait être ressortie de la bibliothèque Billy. Car Ikea lance ce mercredi un nouveau dispositif de livraison pour ses clients parisiens : en passant par la Seine pour arriver au cœur de la capitale.
Les commandes seront préparées depuis l’entrepôt d’Ikea au port de Gennevilliers (Hauts-de-Seine), avant d’être rangées dans des caisses mobiles, chargées sur une péniche qui peut en contenir jusqu’à 35. Direction ensuite le port de Bercy, au pied du ministère de l’économie que le bateau ralliera en près de 4 heures. Il passera la nuit à quai, avant que commence un autre ballet, dès 6 heures le lendemain. « Douze camions, tous électriques, se relaieront pour charger les caissons et assurer les derniers kilomètres de livraison, dans la capitale », détaille Gautier Gindre, directeur d’exploitation fluviale à Box 2 Home, partenaire d’Ikea pour ces livraisons.
Franprix avant Ikea
En milieu de journée, la péniche regagnera le port de Gennevilliers et ainsi de suite, le tout sept jours sur sept. Ikea entend ainsi livrer 455 clients quotidiennement par la Seine et s’éviter 320.000 km par an, par la route, précise Emma Recco.
Ikea n’est pas le premier à choisir la Seine pour convoyer ses marchandises jusqu’au cœur de la capitale. Franprix s’y est mis il y a dix ans. Le circuit suit la même logique, mais avec un point de départ, cette fois-ci à Bonneuil (Val-de-Marne), l’autre grand port francilien, pour une arrivée au port de la Bourdonnais, au pied de la tour Eiffel. L’enseigne de la grande distribution charge ainsi 42 containers de produits secs (conserves, biscuits secs, l’eau…) sur une barge, qu'« une dizaine de camions se chargeront, au petit matin, de dispatcher ensuite dans nos 300 magasins à Paris et dans la proche banlieue ouest », détaille Arthur Caron, directeur « supply chain » de Franprix.
« Nous réduisons de 20 % les émissions de CO2 »
Là encore, ce court passage par le fleuve permet à Franprix d’économiser chaque année 420.000 kms par la route et 82.600 litres de carburant. Et puis, tout le monde en profite un peu. L’enseigne dit ainsi éviter 3.600 camions sur les routes franciliennes, déjà bien engorgées. « Et nous réduisons de 20 % les émissions de CO2 par rapport au transport routier classique », ajoute Arthur Caron.
Ikea n’a pas fait encore ce calcul, mais Emma Recco cite bien cet enjeu « de réduire le bilan carbone » dans le choix de fluvial. Elle en évoque un autre, à l’heure où la livraison jusqu’au domicile du client prend une place croissante dans l’activité du géant suédois. « En échappant à la congestion routière, le fluvial nous permettra d’augmenter la fiabilité de nos livraisons et donc d’améliorer l’expérience client », estime-t-elle. Arthur Caron confirme : « On arrive à livrer les magasins depuis le quai de la Bourdonnais à la demi-heure près, contre une heure et demie si nos camions partaient de nos entrepôts dans le Val-de-Marne. Ce gain est primordial dans notre organisation. »
20 millions de tonnes passées par les ports d’Ile-de-France en 2022
Alors, pourquoi ne sont pas plus nombreux à s’y mettre ? Car entre Franprix en 2012 et Ikea aujourd’hui, la liste des acteurs utilisant la Seine pour assurer leur logistique urbaine, ne s’est guère étoffé**. Antoine Berbain, directeur général délégué de Haropa Port, (l’établissement public qui gère les ports de Paris, Rouen et Le Havre), invite tout de même à élargir la focale. « Vingt millions de tonnes de marchandises ont été chargées ou déchargées depuis les ports d’Ile-de-France en 2022, indique-t-il. Une quantité qui progresse ces dernières années et qui est loin d’être négligeables. 20 millions de tonnes, c’est l’équivalent d’un million de camions. »
La majeure partie de ce trafic (60 %) est réalisée par le secteur du bâtiment et des travaux publics. « Autant pour approvisionner les chantiers en matériaux de construction que pour évacuer les déblais, notamment ceux que génère la construction du Grand Paris », précise Antoine Berbain. Vient ensuite l’agriculture, notamment le transport du blé jusqu’à Rouen, point de départ des exportations. Antoine Berbain cite enfin le commerce international, qui fait transiter diverses marchandises entre Le Havre et Paris, dans un sens comme dans l’autre. Voilà pour les acteurs historiques, « qui sont les mêmes sur la Seine que sur les autres fleuves », précise au passage Thierry Guimbaud, directeur général chez Voies navigables de France (VNF).
Quatre fois plus de trafic possible sur l’axe Seine ?
Mais d’autres secteurs pointent le bout de leur nez, assure-t-il. C’est le cas de la logistique urbaine. « Si Franprix a longtemps été tout seul, depuis deux ans, le mouvement est lancé et devrait s’accélérer à mesure que l’accès aux grandes métropoles par la route deviendra de plus en plus difficile pour les transporteurs », observe Thierry Guimbaud, en faisant référence à l’instauration progressive des zones à faible émission (ZFE). L’arrivée d’Ikea, ce mercredi, va dans ce sens en tout cas. VNF et Haropa Port citent également le tout premier appel à manifestation d’intérêt « pour développer une logistique urbaine fluviale sur l’axe Seine » lancée en avril dernier et qui a retenu 21 lauréats. Soit autant de projets portés par des acteurs du commerce ou de la logistique qui pourraient très vite s’ajouter à Franprix, Ikea et les quelques autres déjà existant. Cet appel à manifestation leur assure en tout cas un accompagnement aux petits oignons.
Il y a de la place en tout cas pour les accueillir. Sur la Seine comme sur le Rhône, le transport fluvial pourrait accueillir quatre fois plus de trafic qu’aujourd’hui, indique VNF. Et il pourrait être doublé sur le Rhin. Bref, le transport fluvial n’est pas près de perdre son avantage principal sur la route : celui d’accéder finement au cœur des grandes métropoles sans embouteillages.
Il faut tout de même pouvoir dénicher des entrepôts à proximité de ces fleuves. C’est l’un des principaux freins à l’accès au transport fluvial qu’évoque Arthur Caron chez Franprix. « Nous avons pu le faire sur nos produits secs parce que notre plateforme est tout près du port de Bonneuil. C’est en revanche impossible sur le frais pour les raisons inverses. » L’obstacle est bien identifié à Horopa Port. « On y travaille, en construisant des entrepôts à étages sur nos ports, pour densifier les espaces de stockage sans artificialiser plus », raconte Antoine Berbain. C’est notamment le projet Greendock, de 800 mètres de long et sur quatre étages, qui pourrait accueillir jusqu’à seize entreprises au port de Gennevilliers. En revanche, les riverains ne sont pas ravis, racontait Les Echos, le 29 août dernier.
*Cette empreinte écologique faible est aussi un argument que met en avant Voie navigable de France, VNF. Grâce à sa capacité d’emports plus plus importante qu’un camion, le mode fluvial émet jusqu’à cinq fois moins de CO2 que le routier pour une tonne transportée.
** Thierry Guimbaud cite également Fludis, spécialiste de la logistique fluviale dont le bateau-entrepôt et les vélo-cargos livrent dans Paris pour plusieurs clients, dont Lyreco, entreprise de fournitures de bureau. Urban logistic solutions (ULS) décline le même concept mais à Lyon et Strasbourg.
*** Outre VNF et Haropa Port, l’appel à manifestation d’intérêt a été lancé conjointement par les trois métropoles de Paris, Rouen, Le Havre, mais encore la Ville de Paris.