COP27 : L’objectif des + 1,5 °C en passe d’être enterré à Charm el-Cheikh ?
climat Contenir le réchauffement climatique à + 1,5 °C est la cible haute fixée dans l’accord de Paris de 2015. La COP26 de Glasgow avait revigoré cet objectif l’an passé. La COP27, qui se tient jusqu’à vendredi en Egypte, va-t-elle faire l’inverse ?
- Plusieurs pays, dont la Chine et l’Arabie saoudite, ont d’ores et déjà fait part de leur réticence à voir figurer dans le texte final de la COP27 toute référence à l’objectif de contenir le réchauffement climatique à + 1,5 °C.
- Ce point de tension n’est pas nouveau mais revient régulièrement lors des sommets annuels de l’ONU sur le climat. Cette année, il prend une résonance particulière alors que la COP26, l'an dernier, avait au contraire réaffirmé la nécessité d’approcher le plus possible de cette cible.
- Surtout, ces réticences font écho à plusieurs appels de scientifiques à enterrer cet objectif des 1.5 °C. Non pas parce qu’on pourrait se permettre d’être moins ambitieux, mais parce que ce cap est d’ores et déjà quasi inatteignable.
D’un bonus, le pacte de Glasgow a fait de cette cible haute la trajectoire principale à viser. Non seulement, les quelque 200 pays représentés s’accordaient pour « poursuivre les efforts » afin de rester sous ce seuil. Mais ils reconnaissaient aussi que les effets du changement climatique seront bien moindres si la température augmente de 1,5 °C plutôt que de 2 °C, actant le message clé du rapport spécial 1.5 du Groupe d’expert sur l’évolution du climat (Giec) publié en octobre 2018.
Un pas en avant, deux pas en arrière ?
La COP27, qui se déroule en ce moment à Charm el-Cheikh, en Egypte, ira-t-elle dans le sens inverse ? Réponse dans la « décision de COP ». Négocié à la virgule près, ce texte récapitule l’ensemble des points négociés pendant les quinze jours et sur lesquels les pays s’engagent. Il est attendu vendredi au plus tôt. Mais des pays ont d’ores et déjà exprimé leurs réticences à y voir figurer une référence à l’objectif de + 1,5 °C.
C’est le cas notamment de la Chine et de l’Arabie saoudite, cite l’AFP. Lola Vallejo, directrice du programme climat à l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), évoque plus globalement le groupe arabe et le groupe LMDC. Le premier regroupe 21 pays – Arabie saoudite, Irak, Koweït, Qatar…- dont l’économie dépend largement des énergies fossiles, en particulier du pétrole. Le second, qui signifie littéralement « Les pays en développement qui pensent pareil », est une coalition spontanée de 24 États émergents qui considèrent qu’un objectif trop contraignant fait obstacle à leur développement. Y figurent la Chine donc, et l’Inde.
Ce n’est pas la première fois que des pays s’opposent à toute référence à l’objectif 1,5 dans une décision de COP. « Ils ne sont pas plus nombreux cette année », glisse même Aurore Mathieu, responsable politiques internationales au Réseau action climat (RAC). Mais ce point de tension a une résonance particulière cette année. « On sera très vigilant sur la question du 1,5 », assurait-on au sein de la délégation française lundi.
Déjà une ambition en berne sur l’atténuation…
L’absence de référence au 1,5 serait « un recul évident » par rapport au pacte de Glasgow, abonde Aurore Mathieu. Un pacte déjà bien écorné en un an. Au-delà de réaffirmer cette cible haute, les dirigeants de la planète s’y étaient aussi engagés à arriver à Charm el-Cheikh avec des Contributions nationales déterminées (NDC) - ce qu’ils prévoient pour baisser leurs émissions de gaz à effet de serre -, revues à la hausse. Le but était justement d’approcher la trajectoire 1.5 °C, quand les engagements actuels nous conduisent bien plus vers un monde à + 2,4 °C d’ici à 2100. « Au final, moins d’une trentaine de pays l’ont fait, dont le Mexique la semaine dernière, reprend Aurore Mathieu. La Turquie pourrait suivre cette semaine, mais on reste loin du compte. »
Sébastien Treyer, directeur général de l’Iddri, reste toutefois optimiste quant à la mention du 1,5 dans le texte final de cette COP27. « Les pays occidentaux, ainsi que les plus vulnérables [les petits états insulaires notamment, très écoutés à la COP], y tiennent farouchement, commence-t-il. Par ailleurs, que certains s’opposent à cette référence ne veut pas dire qu’ils veuillent laisser tomber cet objectif. La position de la Chine, par exemple, est de dire que la cible des 1.5 °C est déjà inscrite dans l’accord de Paris, a été très appuyée l’an dernier, et que cette COP27 n’a pas besoin de le répéter. » Pas de quoi, a priori, en faire un point de blocage insurmontable…
« La Science se doit d’être honnête »
Mais jusqu’à quand ces 1,5 °C peuvent-ils tenir ? « Plus les Etats feront fi de leurs engagements, plus le changement climatique s’accélérera et plus cette cible deviendra objet de tensions », appréhende Clément Sénéchal, le chargé de campagne climat de Greenpeace France. A vrai dire, c’est déjà le cas. Le 27 octobre, le groupe d’action climatique Scientist Rebellion a publié une lettre, signée par 1.000 chercheurs de 47 pays, appelant à enterrer l’objectif des 1,5. Non pas pour dire qu’on peut se permettre d’être moins ambitieux, mais pour rappeler qu’il « n’y a plus de trajectoire crédible » pour atteindre cet objectif. « La Science doit être honnête, précise l’écologue et contributeur du Giec Wolfgang Cramer, signataire de la lettre. S’il reste physiquement possible de limiter le réchauffement climatique, on a tellement perdu du temps depuis 2015, et les engagements aujourd’hui sur la table sont tels, que cette perspective est désormais quasi hors d’atteinte. »
« Le problème est de s’être fixé un jour cet objectif, estime le politologue François Gemenne, spécialiste des migrations climatiques et lui aussi auteur du Giec. Ce sont les petits états insulaires qui ont poussé pour, dès la COP15 de Copenhague en 2009, alors qu’on le savait déjà inatteignable. Le seuil de concentration des gaz à effet de serre qui correspond à 1,5 °C est de 350 parties par million (ppm). Il a été franchi au milieu des années 1980, et on atteindra de manière quasi certaine les 1.5 °C de réchauffement dans la décennie 2030. »
Le risque d’ouvrir une boîte de Pandore ?
Retour alors à l’objectif des 2 °C ? « Ce cap sera également très difficile à atteindre et nécessite d’opérer des réductions drastiques de nos émissions de GES », commence François Gemenne. Toutefois, le politologue a bien conscience qu’un tel glissement pourrait « donner l’impression de baisser les bras » et « donner l’opportunité à des pays de réduire leurs ambitions ou de gagner du temps ». C’est le risque identifié par Sébastien Treyer et Clément Sénéchal. Ce dernier craint notamment l’ouverture d’une boîte de Pandore : « on se donnerait la possibilité de reculer les objectifs politiques fixés à chaque fois qu’on constate que la pente devient trop raide ». « C’est déjà ce qu’a fait Emmanuel Macron, lors de son premier quinquennat, avec la Stratégie nationale bas carbone (SNBC)* », tacle-t-il.
Quoi qu’il en soit, l'heure n'est pas au renoncement, insiste Sébastien Treyer, pas très à l’aise avec la lettre de Scientist Rebellion ou ce billet publié sur The Economist, qui va dans le même sens. « Le Giec ne dit pas que la trajectoire 1,5 est désormais inatteignable. Il reste des scénarios de décarbonation qui permettent de rester dessous. Certes au prix de transformations drastiques et avec des probabilités de réussite qui se réduisent plus on prend du retard, mais ça reste encore possible. »
* Cette SNBC fixe la feuille de route de la France pour atteindre la neutralité carbone en 2050 et les budgets carbone [les plafonds d’émission à ne pas dépasser] pour y parvenir. « Voyant que l’objectif 2019 de réduire de 2,3 % nos émissions devenait trop difficile à atteindre, il a tout simplement baissé le plafond pour pouvoir dire que la France était dans les clous », rappelle Clément Sénéchal.