« Planète vivante » : Le changement climatique, facteur en puissance des extinctions d’espèces
BIODIVERSITE Le WWF publie une nouvelle édition de son rapport Planète Vivante, qui suit l’abondance de milliers de populations d’animaux depuis 1970. La chute est drastique avec un déclin moyen de 69 %. Le changement climatique pourrait noircir le tableau encore
- Tous les deux ans, le WWF publie son rapport « Planète vivante », sur l’état de santé des populations d’animaux vertébrés et les impacts des activités humaines sur elles. L’indicateur principal est l’IPV, qui suit l’abondance de 32.000 populations issues de 5.230 espèces, depuis 1970.
- Et la tendance est toujours plus alarmante. Dans la nouvelle édition publiée ce jeudi, le WWF évoque un déclin moyen de l’abondance des populations suivies de 69 % depuis 1970. La chute est plus vertigineuse encore dans les zones tropicales ou les milieux d’eau douce.
- Les causes ? Le WWF en liste cinq principales, toutes liées à l’activité humaine. Et si, jusqu’à présent, le changement climatique figurait en bas de classement, il grimpe cette fois-ci à la troisième place des pressions. Et pourrait très bien à l’avenir devenir la première.
« Les conclusions ne sont pas réjouissantes », prévient d’emblée le Fond mondial pour la nature (WWF) . L’ONG sort ce jeudi la quatorzième édition de son rapport « Planète vivante », publié tous les deux ans et qui suit l’abondance de populations d’animaux vertébrés sauvages.
La tendance moyenne est à chaque fois restituée à travers l’indice Planète vivante, calculé avec la Société zoologique de Londres. La méthode est toujours la même. En revanche, la base de données s’élargit sans cesse. « 838 nouvelles espèces et 11.011 nouvelles populations ont été ajoutées depuis le rapport 2020 », indique Arnaud Gauffier, directeur de la conservation chez WWF France. Ces ajouts continuels permettent d’affiner cet indice, d’en réduire les marges d’erreurs. Et si « Planète vivante » ne se penche que sur les vertébrés, soit une petite partie du vivant, cet indice suit tout de même l’évolution de 32.000 populations d’animaux issues de 5.230 espèces.
Une chute d’abondance de 69 % entre 1970 et 2018
De quoi donc donner un aperçu solide de l’état de la biodiversité dans le monde. Et il est inquiétant. Cette nouvelle édition montre une chute de 69 %, en moyenne, de l’abondance relative des populations d’animaux sauvages entre 1970 et 2018. Ce chiffre était de 58 % en 2020 [entre 1970 et 2016] et de 60 % en 2018 [entre 1970 et 2014].
Certes, quelques bonnes nouvelles subsistent. WWF pointe notamment des chutes de populations qui sont sur des pentes différentes d’un continent à l’autre. C’est en Europe où la pente est la moins forte, avec une baisse moyenne de 18 % de l’abondance des populations observées. « Cela s’explique en partie parce que l’IPV a pour année de base 1970, époque à laquelle l’état global de la biodiversité en Europe était plus faible que sur les autres continents, commence Véronique Andrieux, directrice générale du WWF Europe. Néanmoins, ce déclin moins prononcé est dû aussi à des efforts de conservation, notamment la création de réserves naturelles et de parcs nationaux, qui ont porté leurs fruits. » L’ONG cite ainsi, en France, plusieurs espèces dont les effectifs progressent après avoir disparu ou quasi. Le thon rouge, le lynx boréal, le loup, le gypaette barbu….
Pas de quoi faire oublier que la tendance mondiale est alarmante. Très alarmante, même, dans les zones tropicales, où les plus forts déclins sont observés. Quand ce ne sont pas des régions, ce sont des écosystèmes qui inquiètent. L’IPV « eau douce », qui suit l’abondance de 6.617 populations, affiche ainsi une baisse moyenne de 83 % entre 1970 et 2018. « Les poissons migrateurs ont vu leurs populations totalement s’effondrer dans les rivières, pour des raisons de pollutions, d’obstacles… », détaille Arnaud Gauffier.
Le changement climatique, la menace qui monte…
Dans son édition de 2020, « Planète Vivante » dressait cinq causes principales à ces chutes, toutes en lien avec les activités humaines. Dans l’ordre d’importance : le changement d’usage des terres, [la déforestation typiquement], la surexploitation des ressources [la pêche essentiellement, mais aussi la chasse, le braconnage], la pollution, les espèces invasives et les maladies. Et le changement climatique.
Dans « Planète Vivante 2022 », les deux premières menaces restent inchangées. Mais, en troisième position, arrive désormais le changement climatique. « La revue de littérature faite pour ce rapport, basée sur l’état de la science, notamment le rapport commun du Giec et de l’Ipbes [son équivalent sur les enjeux biodiversité] publié en juin 2021, nous pousse à remonter fortement le changement climatique dans les causes de disparition », reprend le directeur de la conservation du WWF France. D’ores et déjà, la hausse des températures entraîne des phénomènes de mortalité massive et des extinctions d’espèces. Une sorte de deuxième lame de fond qui fragilise un peu plus les espèces sous pression.
La lame de fond pour le dugong et la tortue luth ?
Pour l’illustrer, l’ONG prend l’exemple de deux populations emblématiques de nos territoires ultramarins. D’abord le dugong, cette vache marine « dont la Nouvelle Calédonie a la chance d’héberger l’une des dernières populations jugées viables », précise Marc Oremus, directeur du bureau local de l’ONG. Ce qui ne veut pas dire qu’elle soit en bonne forme. « Sa population est estimée à quelques centaines d’individus, contre 1.500 au début des années 2000 », reprend Marc Oremus. La première pression qui pèse sur le dugong est le braconnage. Il faut y ajouter les prises accidentelles de la pêche ou les collisions avec les bateaux. « Mais c’est aussi, de plus en plus, le changement climatique qui dégrade les herbiers marins sur lesquels les dugongs se nourrissent, complète le biologiste marin. Cette menace peut paraître plus insidieuse mais aura sur le long terme un impact considérable sur les dugongs, qui ont besoin d’avoir un écosystème en bonne santé pour se reproduire. »
L’histoire est quasi la même avec la tortue luth dont les populations, après avoir traversé les millénaires, se retrouvent en bien mauvaise posture, notamment dans l’estuaire du Maroni, entre la Guyane française et le Surinam, l’un de ses lieux de ponte favoris. « D’un millier de femelles qui le fréquentaient il y a une vingtaine d’années, elles ne sont plus qu’une vingtaine », signale Laurent Kelle, directeur du bureau du WWF France en Guyane.
Pour la tortue luth, la première menace est celle des captures accidentelles de la pêche. Mais une nouvelle fois, Laurent Kelle évoque l’incidence du changement climatique. « Le sexe ratio – le nombre de mâles et femelles qui naissent chaque année sur les plages- est déterminé par la température du sable, explique-t-il. Plus le sable est chaud (au-delà des 29,6 °C) et plus on a des femelles et plus, à terme, on déséquilibre la capacité de la population à se reproduire. »
« Des effondrements complets d’écosystèmes dans un monde à + 4 °C »
C’est toute la perversité du changement climatique : peut-être pas la menace la plus frontale à ce jour, mais bien réelle et amenée à monter en puissance. « Si nous ne parvenons pas à limiter la hausse des températures à 1,5 °C, le changement climatique deviendra la principale cause de perte de biodiversité au cours des prochaines décennies », assure WWF. Arnaud Gauffier attire ainsi l’attention sur un autre chiffre fort repris dans ce rapport : « Dans un monde à + 4 °C en 2100, dans de nombreuses zones du globe - Afrique Australe, Asie du sud-est, une partie de l’Europe –, jusqu’à 75 % des espèces terrestres végétales et animales seraient à risque de disparition. Soit un effondrement complet d’écosystèmes, pourtant cruciaux ne serait-ce que pour capter une partie de nos émissions de gaz à effet de serre. »
La COP27 « climat » et la COP 15 « biodiversité », deux rendez-vous à ne pas manquer ?
D’ici à la fin de l’année, à quelques semaines d’intervalles, les dirigeants du monde entier se réuniront à deux reprises sur les enjeux environnementaux. D’abord à Charm-el-Cheikh, en Egypte, pour la COP 27 sur le changement climatique, du 7 au 18 novembre, puis à Montréal, pour la COP15 biodiversité, du 7 au 19 décembre, sous la présidence chinoise et maintes fois reportées.
Cette COP15, en particulier, est primordiale, selon Véronique Andrieux. « Nous en attendons qu’elle fixe l’objectif d’arriver à 30 % des terres et océans sous protection d’ici à 2030, précise-t-elle. C’est un premier axe pour inverser cette érosion de la biodiversité : protéger plus et mieux. »
Mais le WWF veut aussi profiter de ces deux événements rapprochés « pour définir une boussole et un cap commun sur ces crises jumelles que sont le changement climatique et l’érosion de la biodiversité, reprend Véronique Andrieux. De la même façon qu’il existe un objectif de zéro émission nette en 2050, il faut un objectif « nature positive » 2030, qui soulignerait que l’enjeu n’est pas seulement de stopper l’érosion de la biodiversité, mais d’en avoir plus en 2030 qu’en 2020. »