Transports : Mais pourquoi une telle pénurie de chauffeurs ?
MOBILITE Comme le secteur des autocars, celui des transports urbains doit faire face à une pénurie de conducteurs. De bus en particulier. Et les départs massifs en retraite attendus n’expliquent pas tout…
- L’Union des transports publics et ferroviaires (UTP) publiait ce mardi la nouvelle édition de son Observatoire des mobilités. Si les Français tendent à réutiliser régulièrement les transports en commun, on n’est pas encore revenu au niveau d’avant crise sanitaire.
- L’une des attentes identifiées pour prendre davantage les transports publics est d’en augmenter l’offre. Pas simple alors que les opérateurs de transports sont confrontés à une pénurie de conducteurs.
- L’UTP avance pour principales causes les départs en retraite massifs, la hausse de l’absentéisme depuis le Covid-19, la concurrence des autres secteurs en tension. Mais Eric Dugon, de la CFDT Transport Urbain, évoque une crise plus profonde.
Un choc de l’offre. Ce serait une demande forte des Français à l’égard des transports urbains afin de les utiliser davantage à l’avenir, un enjeu clé de la transition écologique. C’est ce que met en avant une nouvelle édition de l’Observatoire des mobilités que l’Union des transports publics et ferroviaires (UTP) a publié ce mardi.
Les 1.501 Français sondés, âgés de 18 ans ou plus et vivant dans une agglomération de 50.000 habitants ou plus, sont 93 % à estimer nécessaire de développer les transports en commun, soit quatre points de plus que l’an dernier, précise l’Ifop, qui a réalisé ce sondage.
4.000 conducteurs dans les transports urbains français
Le hic, c’est que ce « plus d’offres » implique aussi plus de conducteurs. Or, ils se font rares ces derniers temps. Des premières alertes avaient déjà été lancées à la fin de l’été, à l’approche de la rentrée, sur la pénurie de chauffeurs de car. La Fédération nationale des transports de voyageurs (FNTV) faisait alors état de 15.000 postes vacants en France, « du jamais vu dans le secteur ».
La semaine dernière, c’est Valérie Pécresse, présidente de la région Ile-de-France, qui appelait les opérateurs de transport – la RATP en tête – « à mettre tous les moyens à leur disposition » pour pallier le manque de conducteur de bus, qui commence à sérieusement perturber le trafic dans la région. Dans la foulée, elle annonçait le doublement à 2.000 euros de la prime régionale versée à ceux qui entreront dans une formation de chauffeur. De son côté, la RATP disait « mettre les bouchées doubles », « notamment avec une grande campagne de communication dans la première quinzaine d’octobre pour attirer davantage de conducteurs ».
« Nous comptons environ 15.000 conducteurs, et notre objectif en 2022 était d’en recruter 1.500 », rappelle ce mardi Marie-Claude Dupuis, directrice Stratégie, innovation et développement au sein de la régie parisienne. « Fin août, nous étions à 700 conducteurs recrutés », reprend-elle. Loin du compte, donc. Mais la pénurie ne touche pas seulement la régie parisienne. Marie-Ange Debon, présidente de l’UTP, évoque ; 55.000 conducteurs employés dans les transports urbains (bus, métro, tram…) en France, et entre 3 et 4.000 manquants au sortir de l’été. Essentiellement des chauffeurs de bus.
Et si on prend Keolis, l’un des principaux opérateurs en France, « on estime à 400 le nombre de postes manquants sur nos 15.000 conducteurs environ », poursuit Marie-Ange Debon.
Pyramide des âges élevée et hausse de l’absentéisme
Cette pénurie est inédite. « Jusqu’à la rentrée de septembre 2021, nous n’avions absolument pas ces pénuries, au contraire », fait remarquer Eric Hugon, secrétaire général de la CFDT Transport urbain, lui-même conducteur de bus.
Comment l’expliquer ? Il y a déjà une pyramide des âges élevée qui jouent en la défaveur du secteur. La part des salariés de plus de 55 ans représente plus de 20 % des effectifs de conducteurs et monte à 40 % si on l’élargit au 50 et plus, rappelle l’UTP. De quoi entraîner dès à présent, et plus encore à l’avenir, des besoins de recrutement accrus pour pallier les départs à la retraite.
En parallèle, l’UTP pointe le problème de l’absentéisme qui s’aggrave depuis la crise du Covid-19. Le nombre de jours moyen d’arrêt par salarié et par an était de 39 jours en 2021, contre 31,5 en 2019, note le syndicat professionnel dans le bilan social urbain qu’il dresse (hors RATP). La régie parisienne n’est pas épargnée non plus. « L’absentéisme est un indicateur que nous suivons de près, indique Marie-Claude Dupuis. Nous luttons depuis longtemps contre la triche aux arrêts de travail et venons de faire remonter au gouvernement les problèmes d’abus que nous rencontrons encore aujourd’hui sur le certificat d’isolement, qui doit permettre à la base de protéger nos salariés les plus fragiles du Covid-19. »
La concurrence des autres secteurs
Le transport urbain n’est pas le seul secteur à rencontrer des tensions sur le recrutement, ce qui, là encore, complique la donne. La restauration, les services à la personne, le BTP, la métallurgie, la logistique complètent la liste. « Ces filières se font concurrence », observe Marie-Ange Debon, en citant tout particulièrement la logistique, « en pleine croissance depuis la crise sanitaire et qui a pu attirer des conducteurs de bus avec des rémunérations plus élevées ».
Dans ce contexte, le transport public peine parfois à rivaliser, ne serait-ce parce qu’y implique bien souvent de travailler le week-end et à des horaires décalés. « Ce qui attire de moins en moins, reconnaît Marc Delayer, vice-président de l’UTP, évoquant une tendance observée depuis le Covid-19 et « qui touche tous les services publics ». Eric Hugon fait le même constat. « Cela ne se traduit pas seulement par une difficulté à recruter de nouveaux conducteurs, mais aussi à les garder, observe-t-il, en citant le réseau de Bordeaux, où il travaille, « et où 41 personnes ont démissionné depuis le début de l’année ». « Là encore du jamais vu », précise-t-il.
Le syndicaliste ne l’explique pas seulement par le refus croissant des horaires décalés et des week-ends. « Les conditions de travail se sont globalement dégradées dans tous les réseaux, déplore-t-il. Il y a d’abord une recherche accrue de productivité de la part des opérateurs depuis une décennie, avec des temps de parcours et de battement (entre deux tournées) de plus en plus réduits. » « L’une des conséquences est l’absentéisme, qui dégrade à son tour un peu plus la situation, puisque la pression s’accentue sur ceux qui restent, poursuit Eric Hugon. Si vous ajoutez des salaires qui n’ont pas évolué dans le bon sens, vous obtenez ce cocktail qui fait que le métier n’attire plus ou qu’on le quitte. »
Une vaste campagne de communication nationale à l’automne
Les salaires, c’est pourtant l’un des atouts que veut mettre en avant l’UTP dans la vaste campagne de communication qu’elle lancera cet automne, en complément de celle de la RATP. « 80 % des métiers du transport urbain sont payés 40 % au-dessus du SMIC, glisse Marie-Ange Debon. Soit une bonne rémunération pour un métier qui ne nécessite pas, pour y entrer, un haut niveau de qualifications. A cela s'ajoutent des emplois souvent stables : « 98 % sont en CDI et 94,1 % à temps plein », précise l’UTP. De son côté, Eric Hugon cite plutôt le chiffre de la Dares, donné l’an dernier. « Depuis 2013, le salaire d’un conducteur au minimum conventionnel ne fait que se rapprocher du Smic. Il n’est plus que 6 % au-dessus du Smic, contre 13 % en 2013 », rapporte-t-il.
Pas qu’une pénurie de conducteurs ?
Les chauffeurs ne sont pas les seuls à être difficile à trouver et fidéliser. L’UTP évoque aussi des tensions sur d’autres métiers liés à la maintenance ou à la sûreté.
Or, plus de sûreté est une autre attente forte pour prendre davantage les transports publics qui ressort de l’Observatoire des mobilités. Et à la question de savoir quelle serait le moyen le plus efficace pour l’améliorer, 42 % des sondés souhaitent le renforcement de la présence humaine dans les véhicules, arrêts et stations. Soit la première solution évoquée, nettement devant la vidéoprotection.
L’UTP salue la décision du gouvernement de doubler les effectifs des forces de sécurité intérieure dans les transports en commun. Mais s’attend tout de même à des difficultés de recrutement à venir dans ce secteur sur lequel les opérateurs de transports emploient 5.000 salariés. Deux raisons à cela, détaille Sylvie Charles, directrice générale de SNCF Transilien. « La première est que la police nationale connaît aussi des effectifs sous tension et recrute dans notre vivier d’agents, indique-t-elle. La seconde est l’organisation prochaine de la Coupe du monde de Rugby et encore plus des JO de Paris de 2024 qui nous poussent à anticiper des besoins accrus d’agents de sûreté. »