Nouvelle-Aquitaine : Malgré le risque, les prix de l’immobilier continuent de flamber « car l’érosion est un phénomène lent »

INTERVIEW « 20 Minutes » a interrogé la chercheuse de l’Inrae Jeanne Dachary-Bernard, qui s’est penchée sur le phénomène des prix de l’immobilier qui continuent de flamber sur le littoral, malgré le risque d’érosion

Illustration immobilier sur le littoral, à Soulac-sur-Mer
Illustration immobilier sur le littoral, à Soulac-sur-Mer — SEBASTIEN ORTOLA
  • Du Pays basque à la pointe de la Gironde, les prix de l’immobilier continuent de grimper sur le littoral néo-aquitain.
  • Le risque d’érosion côtière, qui menace plus ou moins certains secteurs, y est pourtant connu.
  • « Les facteurs qui agissent positivement sur le prix sont beaucoup plus importants, quel que soit le risque », analyse Jeanne Dachary-Bernard.

La Nouvelle-Aquitaine ambitionne de devenir à terme un « pôle d’excellence de recherche sur les risques littoraux » en connectant davantage différents organismes et pôles universitaires. Parmi eux, l'Inrae (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) planche sur les conséquences économiques et environnementales de l’érosion sur les 790 km de côte en Nouvelle-Aquitaine, où résident un million d’habitants. 20 Minutes a interrogé Jeanne Dachary-Bernard, docteure en économie et spécialiste du trait de côte.

Jeanne Dachary-Bernar, docteure en économie et spécialiste du trait de côte à l'Inrae
Jeanne Dachary-Bernar, docteure en économie et spécialiste du trait de côte à l'Inrae - Mickaël Bosredon/20 Minutes

Vous avez étudié le phénomène de la flambée des prix de l’immobilier sur le littoral, et constaté que, finalement, le risque côtier ne joue pas sur les prix. Pourquoi ?

Sur certains territoires très prisés, c’est le cas du littoral, on a beaucoup de demandes pour très peu de biens. De fait, les prix augmentent. Par ailleurs, il y a tout un tas de facteurs qui entrent en compte – l’environnement, les activités aux alentours… – qui valorisent aussi les différents biens immobiliers. On pourrait supposer que là où il y a un risque, qu’il s’agisse d'inondation ou d’érosion, le prix devrait baisser. On constate qu’il y a un effet du risque inondation, notamment sur la métropole bordelaise où les biens en zone inondable sont un petit peu moins chers, mais beaucoup moins sur le risque d’érosion, parce que c’est un phénomène très lent. La conscience du risque d’érosion n’est pas encore là, parce que pour prendre conscience d’un risque, il faut parfois le vivre. On peut être amené à vivre une inondation, en revanche l’érosion, c’est quelque chose que l’on perçoit moins. On la voit quand on se balade sur une plage et que l’on constate qu’un morceau de dune a disparu… Mais le jour où ça arrivera sur un bien, ce sera brutal.

Les facteurs positifs l’emportent donc sur le risque ?

C’est cela : les facteurs qui agissent positivement sur le prix sont beaucoup plus importants, ce qui explique que les prix continuent d’augmenter, quel que soit le risque finalement.

Vous dites que le phénomène d’érosion ne se voit pas encore sur les biens immobiliers, mais il y a quand même l’exemple de l’immeuble du Signal à Soulac-sur-Mer, qui est concret…

L'exemple du Signal est très concret, et il a été médiatisé, ce qui est une très bonne chose car cela montre la réalité de ce que peut être l’érosion. C’est un exemple qui montre aussi que l’Etat ne pourra pas être systématiquement présent en cas d’indemnisation des propriétaires : c’est inimaginable de concevoir racheter au prix du marché, les biens exposés au risque inondation en France… Malgré tout, cela reste un cas très localisé.

Les leviers d’action des élus pour contenir la hausse des prix ne restent-ils pas trop faibles ?

Cela reste léger, même si la loi Climat et Résilience vient de rajouter quelques dispositifs, supposés venir aider les maires de communes ou responsables d’intercommunalité. On parle notamment de logique de préemption sur certains espaces, d’imposer des interdictions de construction voire d’agrandissement pour des logements existants… Il y a aussi le bail réel d’adaptation à l’érosion côtière, que la loi propose de mettre en place. Il permet à la mairie d’autoriser à louer ou de réaliser des constructions de manière temporaire, et pour une durée déterminée, en fonction de l’évolution prévisible du recul du trait de côte à la date de conclusion du bail. Ce genre de dispositif juridique va peut-être se généraliser à l’avenir. La ville de Lacanau est, à ce titre, un précurseur et essaye de développer ses propres outils. Il va, enfin, se poser également des questions d’assurance. Comment les assureurs vont-ils continuer à assurer certains biens, à quelle valeur, avec quel montant de franchise ?

Il y a aussi la question du tourisme, qui est un enjeu économique très important pour le littoral. Comment voyez-vous l’avenir pour ce secteur ?

On ne va pas empêcher les activités sur le littoral, où on pourra toujours venir se balader et pratiquer des activités nautiques… En revanche, on ne viendra plus y loger. Le camping ne sera pas en haut d’une dune, mais plus en retrait. Le secteur de l’hôtellerie s’y prépare déjà, et je suis convaincue que l’on va imaginer des offres très séduisantes, de type ecolodge.

Vous évoquez aussi un autre phénomène, celui de « gentrification climatique », que vous avez observé aux Etats-Unis. De quoi s’agit-il ?

La gentrification des quartiers est un phénomène que l’on connaît bien, notamment à Bordeaux. Il s’agit de quartiers anciennement populaires qui se retrouvent progressivement transformés, et qui attirent de nouvelles populations avec plus de capacités financières, si bien que les populations modestes qui y habitaient sont contraintes de le quitter car les prix augmentent.

On observe maintenant un phénomène de « gentrification climatique », notamment aux Etats-Unis, autour de Miami qui est très exposée au risque littoral. Une classe de population à très haut revenu, qui avait investi dans de belles demeures en front de mer, commence à partir un peu plus en arrière, en rétro-littoral. Les quartiers plus populaires de ces secteurs se sont ainsi retrouvés envahis par ces populations très favorisées. C’est là que l’on parle de « gentrification climatique », quand ce sont les facteurs du changement climatique, comme l’augmentation des risques ou la fréquence des tempêtes, qui induisent un mouvement de population, ce qui désorganise la structure socio-économique du territoire.

Est-ce que ce phénomène pourrait se produire en Nouvelle-Aquitaine, comme au Pays basque par exemple ?

La flambée des prix au Pays basque remonte à plusieurs années, et il y a déjà des communes de deuxième et troisième ligne, comme Arcangues, qui sont touchées. C’est déjà un phénomène de gentrification, mais ce ne sont pas les facteurs climatiques qui entrent directement en compte. La Gironde et les Landes sont, eux, des territoires littoraux beaucoup moins denses, ce ne sont donc pas les mêmes configurations urbanistiques.