Aviation : Comme à Amsterdam-Schiphol, faut-il plafonner le nombre de vols à Roissy-Charles-de-Gaulle ?

TRANSPORT Pas plus de 440.000 mouvements par an… Le trafic aérien sera bientôt plafonné à l’aéroport d’Amsterdam. Objectif : protéger les riverains des nuisances sonores et réduire les émissions de CO2 du secteur. De quoi donner des idées en France ?

Fabrice Pouliquen
Une trentaine d'associations françaises souhaitent plafonner le trafic aérien à Roissy à 440.000 mouvements par an, comme l'ont fait les Pays-Bas pour l'aéroport d'Amsterdam-Schiphol.
Une trentaine d'associations françaises souhaitent plafonner le trafic aérien à Roissy à 440.000 mouvements par an, comme l'ont fait les Pays-Bas pour l'aéroport d'Amsterdam-Schiphol. — Odd ANDERSEN / AFP
  • Dans une lettre ouverte, un collectif d’une trentaine d’associations demande à Elisabeth Borne de plafonner à 440.000 le nombre de mouvements (décollages et atterrissages) à l’aéroport de Roissy. Contre 500.000 avant le Covid-19.
  • Les Pays Bas ont déjà franchi le pas avec l’aéroport d’Amsterdam-Schipol. L’objectif est de réduire la pollution sonore à laquelle sont exposées les populations riveraines et, en même temps, les gaz à effet de serre liés au trafic aérien.
  • Pour ces deux nuisances, le constat dressé par le collectif est le même : les progrès technologiques des dernières années pour réduire le bruit des avions et leurs émissions de CO2 ont été annihilés par l’explosion du trafic, rendant sa maîtrise indispensable.

Les Pays Bas ont ouvert une brèche fin juin, en annonçant que le trafic aérien serait plafonné à l’aéroport Amsterdam-Schiphol, l’un des plus fréquentés d’Europe, à partir de novembre 2023. Avant la pandémie de Covid-19, 500.000 vols y décollaient ou atterrissaient chaque année. A l’avenir, l’aéroport ne pourra pas dépasser 440.000 mouvements par an, soit une baisse du trafic de 12 % par rapport à 2019. Pas rien.

Deux mois plus tard, une trentaine d’associations saisissent la balle au rebond pour demander que la France en fasse de même pour les aéroports français. Une lettre ouverte à Elisabeth Borne a été publiée en ce sens le 29 août.

Mettre Roissy au même régime qu’Amsterdam-Schiphol

Dans le viseur, tout particulièrement : Roissy, dont le trafic avant pandémie était similaire à celui d’Amsterdam : 504.839 mouvements (atterrissage et décollage) en 2019, ce qui en faisait le premier aéroport français et le deuxième en Europe. Là encore, le collectif demande de ramener le trafic à 440.000 par an. Ce n’est pas le chemin pris à ce jour. Le Plan de prévention du Bruit dans l’environnement (PPBE) de Roissy pour la période 2022-2026 – document que doit réaliser chaque Etat pour ses aéroports dépassant les 50.000 mouvements par an – projette 680.000 vols fin 2026.

Cette augmentation de trafic correspond à celle prévue avec la construction du nouveau terminal T4 », pointe Françoise Brochot, présidente de l’Association de défense des riverains de Roissy et du Bourget (Advocnar) dans le collectif. En février 2021, ce projet d’extension de  a été jugé « obsolète » par le gouvernement et suspendu dans la foulée… Mais pas tout à fait abandonné. Barbara Pompili, alors ministre de la Transition écologique de l’époque, avait demandé à Aéroport de Paris (ADP) * de présenter une nouvelle copie plus cohérente avec ses objectifs de lutte contre le changement climatique et de protection de l’environnement. Pour Françoise Brochot, l’estimation de trafic prise en compte dans le PPBE laisse craindre que ce projet de T4 soit toujours dans les cartons ou, du moins, que l’aéroport s’inscrit toujours dans une optique d’augmentation de son trafic. « Une perspective qui n’est pas concevable à nos yeux », reprend-elle.

S’attaquer déjà à la pollution sonore

C’est tout le but de cette lettre ouverte destinée à Elisabeth Borne : inscrire dans le marbre le fait d’aller vers une réduction du trafic aérien. Comme aux Pays Bas, la première raison invoquée est sanitaire. Les conséquences du bruit sont de mieux en mieux connues. « Elles dépassent la simple gêne occasionnée et entraînent des perturbations du sommeil, des troubles cardiovasculaires et une baisse des capacités d’apprentissage », dit Mathieu Sineau, chef de projet Bruit et transport à Bruitparif. Selon l’observatoire du bruit d’Ile-de-France, dans la zone nord concernée par les aéroports Charles-de-Gaulle et du Bourget, 1,4 million de Franciliens sont exposés à des nuisances sonores aéroportuaires qui excèdent la recommandation de l’OMS* en journée, et 1 million la nuit.

Pour eux, des mois de vie en bonne santé perdue. « Nous l’avions estimé à 15 mois en moyenne, sur une vie entière, par individu dans les zones habitées autour Roissy-CDG, reprend Mathieu Sineau. Mais les disparités sont très fortes d’un territoire à l’autre, en fonction de leur proximité avec l’aéroport. On peut aller jusqu’à trois ans en bonne santé perdus dans certaines communes. »

Tout le problème, pour l’Advocar, est que cette pollution sonore ne s’est guère réduite ces dernières années. Pourtant, les dernières générations d’avions sont moins bruyantes et ADP assure, sur son site Internet, mettre en place des mesures qui permettent de réduire la gêne sonore aux décollages et atterrissages. En face, Françoise Brochot pointe un nombre d’avions toujours plus important à être passé par Roissy entre 2014 et 2019. Le nombre de mouvements est passé de 471.382 à 504.836 entre ces deux dates, indique l’Union des aéroports français et francophone associés (UAF & FA). « Tous ces petits progrès ont été annihilés par cette hausse du trafic », regrette-t-elle.

Pas d’aviation zéro carbone sans une réduction du trafic ?

Ce constat ne vaut pas seulement pour la pollution sonore. Idem pour l’empreinte carbone du transport aérien, qui contribue à hauteur de 2 à 3 %¨des émissions de CO2 mondiales. « Ces quinze dernières années, les constructeurs ont beaucoup investi dans l’efficacité énergétique pour réduire leur consommation de kerozène, dans un but d’abord économique plutôt qu’écologique d’ailleurs, raconte Pierre Leflaive, responsable transport du Réseau action climat (RAC). Mais l’explosion du trafic compense très largement ces petits progrès, si bien que les émissions carbone ont augmenté de façon continue ces dix dernières années, si on met de côté la parenthèse Covid-19. »

Pierre Leflaive renvoie alors au rapport de juin dernier du Haut conseil pour le climat ou encore à celui d’ Aero-Decarbo, de mars 2021, sur les conditions auxquelles on pourra voler en 2050. La conclusion y est la même : « le secteur aérien doit engager la décarbonation par la maîtrise de sa demande ». Autrement dit, en limitant le nombre de vols. C’est cette brèche qu’ont ouverte les Pays Bas en annonçant un plafonnement des vols de leur premier aéroport. Certes, plusieurs aéroports ont déjà limité leur trafic, ne serait-ce qu’en instaurant des couvre-feux la nuit. C’est le cas à Francfort, Orly*** ou, récemment, Nantes, mais peu respecté se plaignent les riverains… La région Wallone veut aussi introduire  un couvre-feu pour l'aéroport de Liège et limiter le nombre de mouvements à 50.000 par an (contre 70.000 jusque-là).

Les Pays Bas changent le narratif

« Ces mesures ont été prises dans l’optique de protéger les riverains de la pollution sonore, reprend Pierre Leflaive. Cette fois, le lien est fait aussi avec l’enjeu climatique. On change enfin de narratif, avec un pays qui n’inscrit plus la réussite de son secteur aérien dans une augmentation continue de son trafic, mais dans l’atteinte d’une équation entra la qualité d’un service – qu’on peut toujours largement assuré avec 440.000 mouvements par an – et le souci de réduire les nuisances liées au trafic aérien. »

Reste à savoir si d’autres pays suivront. La lettre ouverte est restée à ce jour sans réponse, signale Françoise Brochot qui entend aussi, prochainement, solliciter un rendez-vous auprès de Clément Beaune, ministre des Transports. Pierre Leflaive cite déjà deux rendez-vous manqués par la France avec  la Convention citoyenne pour le climat. « Ces 150 citoyens proposaient l’interdiction des vols intérieurs sur les lignes où il existe une alternative en train de moins de quatre heures, ou  d’interdire les extensions d’aéroports qui entraînent une augmentation du trafic aérien, rappelle-t-il. Les mesures ont été vidées de leurs substances dans la loi Climat & Résilience. Seules les lignes avec une alternative en moins de 2h30 ont été interdites. Et des dix projets d’extension aujourd’hui sur la table, aucun n’est formellement abandonné. »

* Contacté pour cet article, Aéroport de Paris n’a pas souhaité s’exprimer, estimant qu’il n’appartient pas au groupe de commenter ce sujet qui relève des pouvoirs publics.

** Pour le bruit des avions, l’OMS recommande vivement de réduire les niveaux de bruit moyens au-dessous de 45 décibels (dB) A Lden. Pour une exposition nocturne, il est recommandé de les maintenir au-dessous de 40 dB Ln.

*** Pour l’aroport d’Orly, parce que très inséré dans le tissu urbain, un couvre-feu est en place depuis de longues années déjà et le nombre de mouvements y est aussi déjà plafonné à 250.000 par an, explique Mathieu Sineau à Bruitparif.