Biodiversité : Dans la forêt de Sénart, des naturalistes tout ouïe pour les chauves-souris
REPORTAGE Avant la nuit des chauves-souris qui se tient ce week-end, le mammifère avait déjà toute l’attention des naturalistes de l’ONF en forêt de Sénart. Trois nuits durant, ils ont scruté leurs ultrasons pour mieux connaître les espèces présentes. Etape cruciale pour mieux les préserver
- On compte 36 espèces de chauves-souris différentes sont présentes en France, et 23 en Ile-de-France. Mais les tendances ne sont pas très bonnes. Les populations du mammifère volant - le seul - ont baissé de 38 % en dix ans.
- Pour inverser la courbe, la première étape est de mieux les connaître, répète Alexandre Butin, forestier à l’Office national des forêts et spécialiste des chauves-souris. L’ONF y travaille en réalisant des inventaires de populations dans les forêts françaises.
- C’était le cas cette semaine encore dans la forêt de Sénart, en Ile-de-France, qu’Alexandre Butin et de trois de ses collègues ont arpenté trois nuits durant… A l’affût des moindres ultrasons, qu’ils ont appris à faire parler.
Des « clac clac » répétés. Parfois, aussi, comme le bruit d’un grelot… Il faut les puissants micros qu’Alexandre Butin a installés à ses pieds, au beau milieu de la forêt de Sénart (Essonne), pour percevoir les ultrasons qui s’élevaient dans la nuit, ce mercredi soir.
Difficile - voire impossible - pour un novice d’identifier ces cris. Casque sur les oreilles et regard braqué sur la tablette qui retranscrit en direct la fréquence de ces sons, Alexandre Butin, lui, y reconnaît les signatures de chauve-souris. « Là, on a de la pipistrelle commune, de la pipistrelle de Kuhl et de la noctule commune », énonce le chiroptérologue , forestier * à l’Office national de forêts (ONF) après une nouvelle série de claquements. Trois espèces de chauve-souris différentes, donc, dans les parages. « Mais en étant plus attentif, on devrait aussi sûrement trouver de la Leisler, une autre noctule, et de la Sérotine », assure-t-il.
« Connaître – gérer - préserver »
Sur les plus de 1.400 espèces de chauves-souris connues dans le monde aujourd’hui , 36 sont présentes en France, 23 en Ile-de-France. Mais les tendances ne sont pas très bonnes. La destruction de leurs abris (surtout en milieu urbain), les pesticides qui raréfient les insectes dont elles se nourrissent ou les éoliennes font que les populations du mammifère volant baissent. « De 38 % dans l’hexagone ces dix dernières années », indique-t-on à l’ONF.
Pour espérer inverser la courbe, Alexandre Butin martèle le triptyque « connaître-gérer-préserver ». Autrement dit, « mieux connaître les chauves-souris pour mieux gérer la forêt, et ainsi mieux préserver le mammifère », expose-t-il. La première étape passe par des inventaires complets des populations de chauve-souris, que l’ONF mène régulièrement dans les massifs forestiers dont il a la gestion, en s’appuyant sur la quarantaine de naturalistes de son réseau mammifère.
C’est dans ce cadre qu’Alexandre Butin et trois de ses collègues ont arpenté trois nuits durant, cette semaine, les 3.000 hectares de la forêt de Sénart. Une première campagne s’était déroulée fin avril, à la sortie de l’hibernation, puis une seconde fin juin, au moment de la mise bas. Celle de cette semaine était la dernière et correspondait à un autre moment important du cycle biologique de la chauve-souris. « C’est le début de l’accouplement pour certaines espèces, avec les premiers cris de parade que pousseront les mâles pour attirer leurs partenaires. »
Dix minutes à l’affût des chauves-souris
Quelle que soit la période, le protocole est toujours le même. « Chaque nuit, nous avons chacun dix points d’écoute à réaliser à des endroits déterminés à l’avance, reprend Alexandre Butin. Ils sont choisis aléatoirement, en veillant à ce qu’on couvre différents types de configuration : zones feuillues, zones résineuses, à proximité de points d’eau, le long de routes forestières… » Une fois à destination, les naturalistes déplient leurs chaises, plantent leurs micros dans le sol, enfilent leurs casques… C’est parti pour dix minutes d’écoute à l’affût des moindres ultrasons qu’émettent les chauves-souris pour se repérer dans l’espace, et qui trahissent alors leur présence dans les parages.
Aussitôt, les passages sont consignés dans le carnet, en précisant l’espèce : chacune dispose en effet d’une fréquence et d’un rythme qui lui est propre, ce qui permet de les distinguer. Et ce mercredi soir, aux abordsde la mare du Rut, il y en avait des choses à noter. Pas étonnant à l’écouter : « En cette période de sécheresse, les points d’eau sont forcément très fréquentés des chauves-souris, autant pour boire que pour chasser. »
Ralentir le signal pour accéder à de nouveaux détails
Ces dix minutes ne sont que la première partie de l’enquête. Le lendemain, les enregistrements sont passés à la moulinette d’un nouveau logiciel, qui va permettre d’abaisser la fréquence du signal, de le ralentir plusieurs fois pour permettre à ces oreilles aguerries de l’ONF d’accéder à de nouvelles informations. « Lorsqu’ils sont sur une même zone, deux individus d’une même espèce vont décaler la fréquence de leurs cris pour ne pas se gêner mutuellement, illustre Alexandre Butin. Cette écoute au ralenti va permettre de discerner ces différences, et ainsi d’avoir une idée plus précise du nombre d’individus. » Cette seconde analyse ne s’arrête pas là. « Par le son qu’elle émet et par le rythme auquel elle le répète, nous allons avoir des informations sur le comportement de la chauve-souris, poursuit Alexandre Butin. Autrement dit, est-elle seulement de passage sur le point d’écoute ? S’y attarde-t-elle pour chasser ? Les mâles viennent-ils y parader ? »
Il est encore trop tôt pour tirer les enseignements de cet inventaire. D’autant que l’étude ne se limite pas à la forêt de Sénart. « L’an dernier, nous avions déjà fait la même campagne sur les massifs forestiers de Notre-Dame et d’ Armainvilliers, et nous en ferons encore une l’an prochain, cette fois en forêt de Crécy-la-Chapelle, avant de faire la synthèse de toutes les données l’année suivante. » Car c’est à l’échelle de cet arc boisé que forment que ces quatre forêts franciliennes, à cheval sur plusieurs départements, que l’enquête prend tout son sens. « Nous aimerions voir ce qui se passe le long de ce corridor, glisse le chiroptérologue. Y a-t-il des brassages de populations entre ces massifs ? Sont-elles présentes plus dans l’un ou l’autre à certaines périodes de l’année ? Quel type d’habitats privilégient-elles ? »
Un précieux allié des forestiers
Un travail de longue haleine, mais crucial. « Ces inventaires vont nous permettre d’affiner la gestion de nos réserves naturelles, explique Alexandre Butin. Notamment en laissant des îlots de vieillissement – des zones volontairement abandonnées à une évolution spontanée de la nature –, là où ils pourront être le plus utiles aux chauves-souris. » C’est que ces dernières sont dépourvues de tout comportement constructeur ; elles ont besoin d’habitats d’origine naturelle, comme arbres morts et troncs à cavité que fournissent ces îlots de vieillissement.
Les chauves-souris ne seront pas les seules à profiter de ces petits coups de pouce. « Ce sont des espèces dites sentinelles, rappelle-t-on à l’ONF. Si elles se portent bien quelque part, alors le milieu est favorable à d’autres espèces. » Alexandre Butin en fait aussi des précieux alliés du forestier. « Elles sont le prédateur naturel de nombreux insectes ravageurs, comme la chenille processionnaire, dont les populations sont elles en augmentation et causent des dégâts aux forêts ».
* Au sein de l’ONF, Alexandre Butin est responsable territorial adjoint au massif de Fontainebleau et membre du réseau national mammifères de l’office.