Pollution lumineuse : Va-t-on enfin éteindre les enseignes et les pubs la nuit en France ?
SOBRIETE Agnès Pannier-Runacher, la ministre de la Transition énergétique, fait des enseignes et panneaux publicitaires allumés toute la nuit l’une des pratiques qui choquent les Français. Elle dit préparer un décret pour généraliser leur interdiction. C’est la bonne, cette fois-ci ?
- Dans une interview au « JDD », la ministre de la Transition énergétique a dit préparer un nouveau décret pour généraliser l’interdiction des publicités lumineuses entre 1h et 6h du matin… Un de plus, craint-on à l’ANPCEN.
- L’association, qui agit pour préserver le ciel et l’environnement nocturnes, rappelle déjà l’existence, depuis dix ans, de plusieurs décrets et arrêtés censés réglementer ces sources lumineuses. Mais sans jamais être appliqués, faute de contrôles notamment.
- Plus qu’un nouveau texte, la priorité serait donc de faire appliquer ceux existants, pointe l’ANPCEN. Et de changer aussi notre façon d’aborder ce sujet, ajoutent les chercheurs Samuel Challéat et Dany Lapostolle. Explications.
C’est un vieux serpent de mer qu’a réveillé Agnès Pannier-Runacher le week-end dernier. Dans une interview au Journal du dimanche, la ministre de la Transition énergétique annonce, dans les prochains jours, un décret visant à généraliser l’interdiction des publicités lumineuses en France. Dans le viseur, les enseignes, pré-enseignes et panneaux publicitaires – il y en aurait 3,5 millions – qui restent encore trop régulièrement allumés toute la nuit, même lorsqu’il n’y a plus un chat dans les rues.
Agnès Pannier-Runacher range cette pratique parmi celles qui choquent « à juste titre » les Français. Or, en théorie, elle ne devrait plus avoir court depuis des années déjà.
Un besoin d’harmoniser les règles ?
Dès la loi Grenelle II de juillet 2010, les impacts de ces lumières artificielles sur la santé et la biodiversité, mais aussi le gaspillage d’énergie qu’elles représentent, commencent à être pris en compte. Le décret du 25 janvier 2012 impose l’extinction de la publicité lumineuse et des enseignes lumineuses au minimum entre 1h et 6h du matin. « Il devait s’appliquer dès le 1er juillet 2012, indique Anne-Marie Ducroux. Mais très vite, la mise en conformité pour les installations lumineuses déjà existantes est reportée de six ans, sans justification réelle », déplore Anne-Marie Ducroux, présidente de l'Association nationale de protection du ciel et de l'environnement nocturnes (ANPCEN). L’arrêté ne rentrera donc pleinement en vigueur que le 1er juillet 2018. Ce qui ne change rien sur le terrain. L’absence de travail pédagogique et de contrôles font que le texte n’a jamais été réellement appliqué, fustigent régulièrement les associations environnementales.
Alors, que va changer le décret que prépare Agnès Pannier-Runacher ? Les contours restent vagues, indique le ministère lui-même. L’idée est d’instaurer la même règle d’extinction – entre 1h et 6h - à toutes les communes de France. La réglementation actuelle met en effet à part les agglomérations de plus 800.000 habitants, dans lesquelles les règles sont fixées par le règlement local de publicité (RLP). Anne-Marie Ducroux peine à voir la réelle avancée : « Le décret du 30 janvier 2012 précise déjà bien que ces RLP ne peuvent être que plus restrictifs que la règle nationale ». En clair, ces grandes agglomérations ne peuvent être que plus ambitieuses. A l’image de la métropole de Grenoble, où les enseignes lumineuses doivent être éteintes entre 23h et 7h depuis février 2020. Celles de Lyon, Nantes ou Rennes viennent de prendre des dispositions similaires.
Faire appliquer déjà les textes existants
Mais ces exemples sont trop rares pour le ministère. « Seules 6 % des communes ont pris un règlement en ce sens », y précise-t-on pour justifier ce besoin d’harmoniser les règles d’extinction. Par ailleurs, le décret en préparation alourdirait les sanctions en cas de non-respect, jusqu’à 1.500 euros (contravention de 5e classe) contre 750 euros jusqu’alors. Les apports restent faibles selon Anne-Marie Ducroux, qui aurait préféré, par exemple, qu’Agnès Pannier-Runacher élargisse les horaires d’extinction. « Dès 22h ou 23h ».
Quoi qu’il en soit, tant pour la présidente de l’ANPCEN que pour le géographe de l’environnement Samuel Challéat, chargé de recherche au laboratoire Geode (Toulouse/CNRS), la priorité n’est plus tant à la publication d’un nouveau texte qu’à faire appliquer, enfin, ceux existant. « En rendant public chaque année le nombre de contrôles et de sanctions », insiste Anne-Marie Ducroux.
La France pas meilleure sur les autres sources lumineuses ?
Cet impératif ne vaut d’ailleurs pas seulement que pour la publicité lumineuse. Le 28 mars 2018, saisi par des associations, dont l’ANPCEN,, le Conseil d’État condamnait la France pour son inaction dans la lutte contre la pollution lumineuse en général. Le gouvernement avait l’obligation de compléter la réglementation sous neuf mois. « Ce qu’il fera par un arrêté de décembre 2018 en se penchant sur diverses sources lumineuses, reprend Anne-Marie Ducroux. De l’éclairage des parcs et jardins à celui des parkings et chantiers, en passant par l’illumination du patrimoine, des bureaux inoccupés ou des vitrines de commerces. » Mais il faudra attendre 2025 pour que cet arrêté entre pleinement en vigueur. Et pour les parties du règlement qui s’appliquent déjà, les ONG pointent encore et toujours l’absence de contrôles. « Aussi bien de l’État sur les installations lumineuses communales que les collectivités locales sur toutes les autres », précise Anne-Marie Ducroux.
Samuel Challéat évoque plusieurs facteurs pour expliquer cet attentisme. « Il y a encore un manque de connaissance des règlements, tant des élus locaux que des acteurs, commence-t-il. Le flou et la technicité des textes n’arrangent rien. S’ajoutent, sans doute, les intérêts des uns et des autres. Ceux de commerçants, qui s’estiment lésés et ne veulent pas s’y plier, ceux aussi d’élus qui ne veulent pas se mettre leurs commerçants à dos. » De son côté, Anne-Marie Ducroux pointe surtout l’inertie de l’État. « Ne serait-ce parce que les équipes au ministère changent constamment, et avec elles les priorités ».
« Questionner notre besoin d’obscurité »
L’annonce d’Agnès Pannier-Runnacher laisse à penser que la pollution lumineuse est de nouveau sur le haut de la pile des dossiers. Anne-Marie Ducroux reste sceptique. « La publicité lumineuse n’est qu’une partie de la pollution lumineuse, rappelle-t-elle. Petite, même, comparée à l’éclairage public, sur lequel de nombreuses communes commencent à agir, mais où il reste encore beaucoup à faire. »
Dany Lapostolle, enseignant-chercheur en aménagement et urbanisme à l’Université de Bourgogne, tique aussi sur l’angle choisi par la ministre : « celui des économies d’énergie ». « Éteindre les enseignes lumineuses entre 1h et 6h permettra d’économiser l’équivalent de la consommation électrique annuelle moyenne de 110.000 foyers », met effectivement en avant le ministère.
« Autrement dit, ce sont des raisons économiques plus qu’écologiques qui pousse le gouvernement à s’emparer du sujet », reprend Dany Lapostolle. Tout autant que Samuel Challéat, il regrette cette hiérarchie. « On a du mal à percevoir la pollution lumineuse comme telle, avec des impacts documentés sur la santé et la biodiversité », pointent les deux chercheurs. Et d’appeler à un changement de paradigme. « Nous n’interrogeons que notre besoin de lumière, au titre de la sécurité des biens et des personnes, poursuivent-ils. Rarement, nous questionnons notre besoin d’obscurité, au nom d’une sécurité environnementale et sanitaire. »
Une pollution lumineuse qui ne cesse de s’accroître ?
A l’échelle mondiale, l’augmentation de la pollution lumineuse était estimée, entre 2012 et 2016, à 2,2 % par an, en termes de surfaces artificiellement éclairées, et de 2 % aussi, sur la même période, pour ce qui est de l’intensité lumineuse des zones éclairées », indique Samuel Challéat. Cette croissance peut être bien plus élevée dans les coins du globe en pleine urbanisation. « C’est net pour Inde qu’on a vu s’illuminer de façon phénoménale, ces dernières années, sur les images satellitaires », illustre le géographe.
En Europe, le mal est déjà fait d’une certaine façon. « La pollution lumineuse touche actuellement 23 % des terres immergées du globe et 88 % de celles européennes », reprend Samuel Challéat. En France, nous n’avons pas à ce jour réussi à inverser la tendance. « La pollution lumineuse continue de s’étendre, tout simplement parce que l’étalement urbain se poursuit, poursuit le chercheur. Quand on étale la ville, on étale aussi ses infrastructures, à commencer par ses routes qu’on éclaire. » Mais la pollution lumineuse n’augmente pas qu’en surface dans l’hexagone, mais aussi en intensité. C’est tout l’effet pervers de la technologie LED, « qui permet d’éclairer plus en consommer moins », rappelle Samuel Challéat. Autrement dit : un bon point pour nos consommations énergétiques, mais un mauvais pour la préservation de la faune sauvage.