Transports : Plus sensible à l’environnement, la génération Z prend-elle pour autant moins l’avion ?
MOBILITE Les jeunes nés entre 1998 et 2007 placent souvent l’environnement en tête de leurs préoccupations. Est-ce que cela se traduit dans leur rapport à l’avion ? Une étude répond à cette question
- Observe-t-on un tournant avec la génération Z dans sa manière de prendre l’avion ? C’est à cette question qu’a tenté de répondre la chaire Pegase, qui regroupe une vingtaine de chercheurs travaillant sur l’économie du transport aérien, dans une enquête publiée cette semaine.
- Résultat : cette génération Z ne semble pas prendre moins l’avion que ses aînés. Et le premier critère au moment de choisir son vol reste le prix, bien avant l’empreinte carbone du vol.
- Mais la chaire Pegase n’est pas la première à vouloir sonder le rapport de la jeunesse Française à l’avion. Greenpeace et l’Obsoco l’ont fait aussi en février dernier. Les résultats et les conclusions qu’ils en tirent sont bien différents. Explications.
Comment la génération Z prend-elle l’avion ? La classe d’âge, qui regroupe les jeunes nés entre 1998 et 2007, soit ceux qui ont aujourd’hui entre 15 et 25 ans, constitue 30 % de la population mondiale et 12 % de la population française. Ce qui en fait une part non négligeable des passagers aériens potentiels. Mais d’un autre côté, il y a le « flygskam », cette honte de prendre l’avion pour lui privilégier des modes de transports moins carbonés. Le phénomène, inspiré par la ligne de conduite de la jeune activiste Greta Thunberg, est partie de Suède fin 2017 avant d’en dépasser largement les frontières et en semblant toucher particulièrement les jeunes.
La chaire Pegase, qui regroupe une vingtaine de chercheurs travaillant sur l’économie du transport aérien, a essayé de sonder ce rapport de la génération Y dans une étude publiée cette semaine. Pour ce faire, elle a administré un questionnaire à un échantillon de 800 jeunes de 15 à 24 ans qu’elle a comparé à un deuxième, de 1.010 répondants ayant 25 ans ou plus. »
Seulement battu par les Millénials ?
Résultat : cette génération Z ne semble pas prendre moins l’avion que ses aînés. C’est plutôt l’inverse même. « Avant la crise du Covid-19, sur une année type comme 2019, la génération Z réalisait en moyenne 1,46 vol par an, indique Paul Chiambaretto, directeur de cette chaire rattachée à la Montpellier Business School. Seuls les Millennials (les 25-35 ans) faisaient plus avec 1,65 vol, ce qu’on peut expliquer par le fait que cette classe d’âge est plus installée financièrement et a plus l’occasion de faire des vols professionnels. » En revanche, la génération X (35-65 ans) en réalisait 1,34 et celle des baby-boomers (65-75 ans), 1,015. Et la pandémie n’a a priori pas rebattu les cartes. Les intentions de vols exprimés pour l’année 2022 sont globalement équivalentes aux vols réalisés en 2019, constate l’étude.
C’est tout le paradoxe que pointe la chaire Pégase. « Cette génération est plus engagée que les autres sur les problématiques environnementales, de nombreuses études le soulignent, mais cela ne se traduit pas toujours par une consommation plus écoresponsable », note Paul Chiambaretto. Ainsi le rapport à l’avion des 15-24 ans se distingue assez peu de leurs aînés. Lorsqu’ils achètent un billet d’avion, « les critères de choix principaux de la génération Z sont en priorité le prix, la sécurité et le nombre d’escales, poursuit le professeur de management. La performance environnementale de la compagnie aérienne n’arrive qu’en 7e position (sur 10). » Là encore, le classement des 18-24 ans est similaire à celui des 25 ans et plus.
La chaire Pégase relève aussi plusieurs signaux qui laissent à penser que cette génération Z pourrait avoir, à l’avenir, un recours plus marqué à l’avion. « Ces 18-24 ans cherchent plus à consommer des moments, des expériences que des produits matériels, illustre Paul Chambiaretto. Plutôt que d’acheter une voiture, un appartement, des vêtements, ils vont privilégier les sorties et les voyages. »
Pas une seule génération Z ?
Alexis Chailloux, responsable « engagement citoyen » à Grennepeace France, nuance fortement ces conclusions. « Une première critique est que la chaire Pégase présente la génération Z comme un seul bloc cohérent, quand en réalité il y a des générations Z comme il y a des jeunesses », commence-t-il. En février dernier, l’ONG avait aussi publié une étude, commandée à ObSoCo, sur les pratiques de voyages des jeunes Français (18-30 ans). Ce baromètre observait alors, que parmi les sondés, une majorité (53 %) ne prenait jamais l’avion, ou très rarement pour leurs loisirs. A l’inverse, un tiers le prenait plusieurs fois par an, « parmi lesquels majoritairement des jeunes actifs urbains, très diplômées (> bac + 4), habitant l’agglomération parisienne », détaille Alexis Chailloux. L’avion s’est bien moins démocratisé qu’on l’imagine, y compris chez les jeunes. » On assisterait donc à une multiplication des voyages, plutôt qu’à une multiplication des voyageurs.
Toutefois, on retrouve en partie dans cette étude d’Obsoco le même paradoxe soulevé par la chaire Pégase. Entre, d’un côté, une forte disposition des jeunes – y compris ceux qui volent le plus aujourd’hui à moins prendre l’avion par souci environnemental et de l’autre, des intentions qui augmentent au moment de choisir le mode de transports pour ses vacances. « Là encore, le baromètre faisait le constat que le coût du trajet arrive en tête des critères pris en compte (69 %), devant l’existence ou non d’un trajet direct (40 %) et le confort (39 %).
Plus de transparence, un enjeu clé ?
Comment pousser alors cette génération Z à une utilisation plus verte de l’avion ? Pour la chaire Pégase comme pour Greenpeace, une partie de la réponse réside dans une meilleure information apportée aux voyageurs. Mais Paul Chiambaretto et Alexis Chailloux ne mettent pas les mêmes enjeux derrière. Le directeur de la chaire Pégase s’appuie sur un autre enseignement tiré de son étude selon lequel 79 % des 15-24 ans sont enclins à payer plus cher leur billet pour voyager à bord d’une compagnie plus respectueuse pour l’environnement. « Contre 69 % chez les 25 ans et plus, détaille-t-il. Et sur ces 79 %, 27 % sont prêts à payer plus de 21 euros. Là encore, une proportion plus élevée que leurs aînées. »
Paul Chiambaretto y voit alors un encouragement, pour les compagnies aériennes, à réduire l’empreinte carbone de leurs vols et, pour celles qui ont déjà engagé des efforts, à les mettre bien plus en évidence dans leur stratégie de communication. « Ce n’est pas du tout le cas aujourd’hui, regrette-t-il. Sur les comparateurs de vols, il n’y a aucun élément qui permette aux internautes de comparer les vols sur leur bilan carbone. »
A Greenpeace, on ne croit pas beaucoup à l’avènement de l’avion vert, cette grande promesse du secteur aérien qu’on pourra un jour voler sans émettre d’émissions de gaz à effet de serre ou, du moins, drastiquement moins qu’aujourd’hui. Pour l’ONG, la priorité est donc de réduire notre recours à l’avion. « Ce qui passe, là aussi, par un besoin de plus de transparence, « mais pour informer les passagers du réel coût carbone que peut avoir un seul trajet en avion, insiste Alexis Chailloux. Nous nous sommes rendu compte, dans l’étude d’Obsoco, que les jeunes la sous-estiment très largement, en particulier sur les long-courriers. »
Jouer sur le signal prix, pour Greenpeace
Cette plus grande transparence permettrait de rééquilibrer la balance entre l’avion et ses alternatives moins carbonés comme le train. Mais ce n’est qu’une partie de la réponse pour Alexis Chailloux. « Pour bien des destinations, les tarifs proposés par certaines compagnies aériennes sont tellement bas qu’ils ne souffrent pas la comparaison avec les autres solutions de mobilité, reprend-il. Il faut travailler sur ce manque de compétitivité. » A ce titre, Greenpeace fait la même demande que la Convention citoyenne pour le climat en 2019 : « celle de renforcer les taxes sur l’avion dont les recettes permettraient justement de financer les subventions sur le train. » En permettant, par exemple, d’offrir un billet de train à chaque jeune de 20 ans pour voyager gratuitement en Europe ? La proposition avait été soumise aux jeunes sondés par ObSoCo en février… Elle avait été plébiscitée à 78 %.