Pêche : Du chalutage de fond dans les aires marines protégées… Vers la fin d’une « aberration européenne » ?

MER Mardi, les eurodéputés peuvent envoyer un message politique fort à Bruxelles en votant un amendement demandant l’interdiction, dans les aires marines protégées de l’UE, du chalutage de fond. Une méthode de pêche épinglée pour ses impacts sur l’environnement

Fabrice Pouliquen
Un pêcheur français sur un chalutier dans la Manche, le 31 juillet 2018. (Photo illustration).
Un pêcheur français sur un chalutier dans la Manche, le 31 juillet 2018. (Photo illustration). — CHARLY TRIBALLEAU / AFP
  • Interdire le chalutage de fond dans les aires marines protégées. C’est la proposition de l’eurodéputée Caroline Roose, qui est parvenue à ajouter un amendement en ce sens à un rapport d’initiative qui sera voté au parlement de Strasbourg mardi.
  • Un vote positif n’obligerait en rien Bruxelles. « Mais serait un message politique fort envoyé », pointe l’ONG Bloom. Elle espère que ce sera une première étape vers la fin d’une aberration en Europe, où « les aires protégées n’en ont souvent que le nom ».
  • Mais l’amendement de Caroline Roose sera concurrencé. L’eurodéputé français Pierre Karleskind, proche d’Emmanuel Macron, en présente un autre qu’il juge plus pragmatique. Beaucoup moins ambitieux aussi, fustige Bloom.

« Mr Macron, allez-vous vraiment commencer votre mandat par un vote climaticide et anti-écologique ? », interpelle Claire Nouvian sur Twitter. La fondatrice de  l’ONG Bloom, qui œuvre pour la conservation marine, fait référence au vote de mardi prochain, au Parlement européen à Strasbourg, au cours duquel les eurodéputés ont « enfin l’opportunité d’interdire les méthodes de pêches destructrices » dans  les aires marines protégées (AMP) de l’Union européenne.

Cette opportunité, c’est le rapport d’initiative de l’eurodéputée socialiste portugaise Isabel Carvalhais qui l’a créé. Un ensemble de propositions sur la pêche et l’aquaculture pour aller vers  une économie bleue durable au sein de l’UE, avec l’espoir que le Parlement le vote et que la Commission s’en inspire pour élaborer une proposition de loi.

Le chalutage de fond dans le collimateur

A vrai dire, ce n’est pas tant ce texte qui attire l’attention de Claire Nouvian, mais bien plus une proposition d’amendement qu’est parvenue à faire ajouter Caroline Roose, eurodéputée belge du groupe Verts/ALE. Le texte propose d’interdire sans détour, dans les AMP, le chalutage de fond. Soit la pire technique de pêche, dénonçait une coalition d'ONG en janvier. Elle utilise un chalut – un filet en forme conique – relié par câbles au bateau qui le traîne sur les fonds marins. « Non seulement, cette pêche est non sélective [elle ne ramasse pas uniquement l’espèce visée], mais en raclant le fond, le chalut détruit les habitats de nombreuses espèces, pointe Frédéric Le Manach, directeur scientifique de Bloom. L’impact néfaste est évident sur la biodiversité, mais les scientifiques commencent aussi à étudier les conséquences qu’ont ces pratiques, en perturbant les sédiments marins, sur  la capacité des océans à capter le CO2. »

Frédéric Le Manach pointe d’autres techniques de pêche problématiques. « Toutes celles qui entrent en contact direct avec les fonds marins, dont la senne démersale, en plein essor en Europe ces dernières années, commence-t-il. Mais aussi les super-chalutiers – une trentaine de bateaux en Europe de 120-130 m de long –, qui pêchent dans la colonne d’eau. S’ils ne touchent pas les fonds marins, ils prélèvent en revanche des quantités astronomiques de poissons, toujours de manière non sélective, en ne laissant plus grand-chose à manger aux espères. »

Bloom aurait aimé élargir le vote de mardi à l’ensemble de ces techniques, « mais interdire le chalutage serait déjà une grande avancée », concède Frédéric Le Manach. Il y a fort à faire : 86 % des eaux européennes dites « protégées » sont intensément chalutées, déplore Bloom. L’ONG renvoie également vers une étude parue dans Science en décembre 2018, selon laquelle le chalutage était 1,4 fois plus intense à l’intérieur de la zone dite « protégée » qu’à l’extérieur dans plus des deux tiers des AMP du nord de l’Europe.

Des aires marines de papier ?

Pourtant, les AMP sont de plus en plus présentées comme l’outil principal de conservation de la biodiversité. Dans le cadre de la Conversion sur la diversité biologique (CBD), l’ONU appelle la communauté internationale à adopter l’objectif de protéger 30 % des terres et des mers d’ici à 2030. Dont 10 % en protection forte. Des objectifs que l’UE a faits siens et sur lesquels plusieurs de ses membres, la France en tête, disent être bien avancés. Caroline Roose appelle toutefois à regarder au-delà des chiffres. « Bon nombre de nos aires n’existent que sur le papier. Seule 1,8 % ont par exemple un plan de gestion. » « Et moins de 1 % sont strictement protégées dans le sens où les techniques de pêche intensives et les activités extractives y sont interdites, complète Anne Nouvian. C’est pourtant un impératif pour une AMP digne de ce nom, selon  L’Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN) . « En Europe, où les lobbies de la pêche sont très puissants, on a complètement vidé de sens le concept d’AMP, dès les premières créations il y a vingt ans, poursuit-elle. Même la Cour des comptes européenne en déplore l’échec dans  un rapport de novembre 2020, »

« Il est temps que l’hypocrisie s’arrête », dit Bloom. Et le vote pourrait être une étape fondamentale selon Claire Nouvian « Même s’il ne s’agit que d’un rapport d’initiative, qui ne consiste qu’à demander à la Commission de légiférer sur un sujet », précise-t-elle. En clair, même voté à Strasbourg, Bruxelles n’est pas tenue d’y répondre, encore moins par une proposition de loi. « En revanche, en votant l’amendement de Caroline Roose, les eurodéputés enverraient un message politique fort », estime-t-on à Bloom. « La commission doit prochainement présenter sa proposition de loi sur la restauration de la nature, glisse Frédéric Le Manach. Elle pourrait très bien y inclure l’interdiction du chalutage de fond dans les AMP. C’est le véhicule législatif parfait en tout cas. »

Un amendement concurrent

Reste que l’amendement de Caroline Roose n’est pas le seul proposé mardi sur le sujet. Le FrançaisPierre Karleskind, eurodéputé de Renew Europe, proche d’Emmanuel Macron et président de la Commission pêche au Parlement européen, en a  déposé un autre mercredi, cosigné par  Stéphane Séjourné, autre proche du président. Le texte ne se limite pas au chalutage de fond mais « aux techniques de pêches nuisibles ». En revanche, il propose de les interdire « dans les AMP strictement protégées, suivant les meilleures données scientifiques disponibles ». « Soit donc sur moins de 1 % du périmètre actuel des aires, et alors que ces pratiques y sont déjà interdites », fulmine Claire Nouvian. « Mais aucun texte européen ne l’impose formellement », se défend Pierre Karleskind. Il entend ainsi lever cette ambiguïté, « au moment même où l’UE doit accélérer pour atteindre l’objectif de 10 % d’AMP sous protection forte en 2030. » Et sur les autres pourcents ? « Il faut faire du cas par cas, estime-t-il. C’est à l’ensemble des gestionnaires des aires marines d’identifier les eaux où il faut interdire les pratiques les plus nuisibles. Ce travail est déjà en cours. » Au final, Pierre Karleskind dit son amendement « plus pragmatique ». Claire Nouvian, elle, parle d’une nouvelle imposture écologique des « Marcheurs » au Parlement européen, qui fait tache en ce tout début de quinquennat.