Présidentielle 2022 : La stratégie du tout nucléaire de Marine Le Pen est-elle impossible, comme le dit Macron ?

ECOLOGIE Si Emmanuel Macron et Marine Le Pen se rejoignent sur la relance du nucléaire en France, la présidente du RN s’arrête là ensuite. Ou du moins ferme la porte à l’éolien et au solaire. Une stratégie impossible, a fustigé mercredi son adversaire. Vraiment ?

Fabrice Pouliquen
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La centrale nucléaire du Bugey (Ain).
La centrale nucléaire du Bugey (Ain). — ALLILI MOURAD/SIPA
  • Sur les trois heures du débat qui a opposé mercredi soir Emmanuel Macron à Marine Le Pen, une vingtaine de minutes a été consacrée à l’écologie. Enfin, surtout à la question de notre futur mix électrique pour arriver à la neutralité carbone. Avec ou sans nucléaire ? Avec ou sans ENR ?
  • Les deux candidats se retrouvent sur la nécessité, à leurs yeux, de relancer l’atome en France pour répondre à la hausse attendue de nos consommations électriques. En revanche, Marine Le Pen veut un moratoire sur l’éolien et le solaire, soit les deux principales énergies renouvelables.
  • Une « stratégie du tout nucléaire qui n’est pas possible », qualifie Emmanuel Macron, qui reproche à son opposante de faire fi du « temps industriel ». Explications.

« Votre stratégie est une stratégie du tout nucléaire… Elle n’est pas possible », assenait mercredi soir Emmanuel Macron à Marine Le Pen. Sur les trois heures du débat, une vingtaine de minutes a été consacrée à l’écologie. Enfin, surtout, à notre futur mix électrique. En clair : sur quelles sources de production d’électricité miser pour atteindre  la neutralité carbone en 2050 ?

Sur ce sujet, Emmanuel Macron y voit l’une des illustrations du manque de cohérence du programme écologique de Marine Le Pen, au point de le qualifier d’« édifiant ».

La relance du nucléaire comme point commun

Les deux candidats tombent tout de même d’accord sur un point sur le dossier «énergie» : la nécessité de relancer la filière nucléaire en construisant de nouveaux EPR sur le territoire. Le président sortant avait détaillé sa vision lors d’un déplacement à Belfort, le 10 février, exprimant sa volonté de « prolonger [la durée de vie de] tous les réacteurs qui peuvent l’être, au-delà de 50 ans si possible ». Surtout, il avait annoncé l’objectif de construire six réacteurs nucléaires de type EPR2 d’ici à 2050, dont le premier attendu pour 2035, et envisagé huit autres supplémentaires.

Marine Le Pen va plus loin encore. Dans son plan «Marie Curie», elle plaide pour la réouverture de  la centrale de Fessenheim (Haut-Rhin), fermée à l’été 2020, et promet la construction de cinq paires d’EPR pour une mise en service en 2031, et cinq paires d’EPR2 pour 2036. Et à côté ? La candidate du Rassemblement National évoque bien son intention de développer les énergies renouvelables (ENR), mais ne cite que l’hydroélectricité et la  géothermie. Sur l’éolien et le solaire, elle est pour un moratoire, et souhaite même le démantèlement progressif des éoliennes déjà installées, en commençant par celles qui arrivent en fin de vie.

« Pas de stratégie de sortie des énergies fossiles qui passe par le tout nucléaire »

En choisissant cette voie, « Marine Le Pen se couperait des deux ENR les plus mûres et avec le plus fort potentiel de développement, indique Nicolas Goldberg, responsable du pôle énergie du think tank Terra Nova. Quant à l’hydraulique [qui assure déjà environ 11 % de production énergétique], on peut considérer les gisements quasi saturés en France. Il ne sera pas possible de construire beaucoup plus de barrages. »

Emmanuel Macron, lui, n’entend pas choisir. Il veut non seulement relancer le nucléaire mais développer aussi massivement les ENR. Avec un accent mis sur l’éolien en mer et le solaire. Il souhaite l’implantation de cinquante parcs éoliens en mer d’ici à 2050 et veut multiplier par dix notre puissance solaire installée, pour dépasser 10 gigawatts d’ici à 2030. On retrouve donc le fameux « en même temps », expression qui lui est désormais associée tant il l’a utilisée depuis la campagne de 2017.

« Il n’y a pas de stratégie de sortie des énergies fossiles qui passe par le tout nucléaire », justifie-t-il, assurant que tous les experts indépendants le disent. « Les systèmes électriques alimentés principalement par des énergies renouvelables deviennent de plus en plus viables », constatait en tout cas  le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) dans son dernier rapport le 4 avril. Depuis 2010, « les coûts de l’énergie solaire, de l’énergie éolienne et des batteries n’ont cessé de diminuer, parfois jusqu’à 85 % », pointait-il aussi.

L’impératif d’augmenter les capacités de production d’électricité

De là à dire qu’une stratégie du « tout nucléaire » comme le conçoit Marine Le Pen, est impossible ? Xavier Moreno renvoie au caractère très particulier du mix énergétique français. « Pendant trente ans, l’atome a assuré 80 % de notre production électrique, et ça a bien fonctionné », rappelle le président et fondateur du Cérémé, un cercle d’étude « pour une autre approche de la stratégie énergétique de la France », proche au final de celle que propose Marine Le Pen.  Le scénario qu'imagine le Cérémé repose sur un mix composé, d’ici à 2050, de 80 % d’électricité d’origine nucléaire (contre environ 70 % aujourd’hui) complétée par de l’hydraulique et du solaire. « En diffus (toitures, ombrières de parking) seulement, c’est-à-dire sans centrale photovoltaïque au sol », précise Xavier Moreno. Quant à l’éolien, en terre ou en mer, son développement est stoppé net.

« Il ne s’agit pas de penser le système électrique du futur comme celui du passé, estime de son côté Maxence Cordiez, ingénieur dans le secteur de l’énergie et auteur d’Energies, Fake or not ? (Tana éditions). Il y a tout de même un enjeu dont on ne cesse de parler qui est la décarbonation de l’économie. Qui nécessitera, en partie, d’électrifier des usages *. » Comme Nicolas Goldberg, il renvoie à   l’étude Futurs énergétiques rendue par RTE, le gestionnaire du réseau électrique français, à l’automne dernier. « Elle prévoit une augmentation de la consommation électrique d’ici à 2050, reprend Maxence Cordiez. Mais il faudra aussi, sur cette période, renouveler l’essentiel du parc nucléaire français ou encore fermer les dernières centrales à charbon et nos quelques centrales à gaz… » Autrement dit, mettre en service au plus vite de nouvelles capacités de productions d’électricité, et bas carbone qui plus est, ce qui limite les options.

Garder toutes les cartes en main ?

En ne gardant que le nucléaire comme option quasi-exclusive, Emmanuel Macron reproche alors à Marine Le Pen de s’affranchir du « temps industriel ». « Elle annonce dix nouveaux réacteurs en 2031, quand EDF dit lui-même ne pas être en mesure de rendre les premiers réacteurs qui pourraient lui être commandés avant 2035 », rappelle Nicolas Goldberg. Pas avant treize ans, donc, dans le meilleur des cas. « Mais ça ne coince pas seulement sur les délais, ajoute le responsable du pôle énergie de Terra Nova. Se pose aussi la question des chaînes logistiques, soit la capacité de la filière à sortir à un rythme soutenu toutes les composantes d’un réacteur avec le niveau de sécurité exigé. EDF considère elle-même qu’elle ne pourra pas faire plus de quatorze réacteurs d’ici à 2050. »

Xavier Moreno a bien une solution pour faire face à la hausse de la consommation prévue en attendant l’arrivée de nouveaux EPR que le Cérémé imagine à partir de 2035. « Revenir sur la décision, actée dans la dernière programmation pluriannuelle de l’énergie, de fermer quatorze réacteurs [douze désormais si on enlève les deux de Fessenheim], avance-t-il. Tout cela parce qu’ils ont plus de 50 ans, alors qu’on pourrait très bien les prolonger jusqu’à 60 voire 70 ans. » Le président du Cérémé regrette que Marine Le Pen n’ait pas interrogé Emmanuel Macron sur ce sujet. « Emmanuel Macron est revenu sur ce plan de fermetures à Belfort », signale Maxence Cordiez, qui invite à ne pas se tromper de débat. « L’urgence est de réduire le plus possible et le plus rapidement nos consommations d’énergies fossiles. Se priver d’une des solutions, pour y parvenir est en complet décalage. Un tel scénario peut éventuellement tenir sur le papier, mais ça demande de tels efforts aux autres filières que les probabilités d’échec augmentent… »