Marches pour le climat : « A un mois du premier tour, il s’agit de se compter et d’imposer le sujet dans la campagne »
INTERVIEW Les marches pour le climat vont reprendre du service samedi, à l’appel de 498 ONG et collectifs. Au total, 128 événements dans autant de villes sont d’ores et déjà prévus. Marie Cohuet, porte-parole d’Alternatiba, en explique les enjeux à l’approche de la présidentielle
- Près de 500 ONG et collectifs appellent, ce samedi 12 mars, à une grande mobilisation pour le climat à travers des marches organisés dans 128 villes de France.
- Un mode d’action déjà éprouvé par le passé, notamment le 16 mars 2019, où entre 145.000 et 350.000 Français étaient descendus dans la rue pour dénoncer « l’inaction climatique » du gouvernement.
- Cette fois, les regards seront tournés vers la présidentielle, alors que le climat est pour l’instant le grand absent du débat. L’espoir des ONG est qu’une forte mobilisation permette enfin de corriger le tir, même dans ce contexte de guerre en Ukraine.
« Look up » (Regarde vers le haut)… C’est le message aux candidats à la présidentielle que comptent adresser les 498 ONG et collectifs qui organisent ce samedi une nouvelle salve de « marches pour le climat » à travers la France. Un clin d’oeil à Don’t Look Up, le film phénomène sorti à Noël sur Netflix. Une satire à peine voilée sur l’indifférence de nos sociétés face au changement climatique.
Cent vingt-huit événements, dans autant de villes de l’Hexagone, sont au programme. En très grande majorité des marches comme à Paris, où rendez-vous est fixé à 14h, place de la Nation, pour rejoindre République via Bastille. « Mais aussi parfois des débats, des forums citoyens », complète Marie Cohuet. L’enjeu ? « Montrer que les enjeux climatiques comptent pour de nombreux Français et qu’ils méritent de figurer dans la campagne », lance la porte-parole d’Alternatiba, mouvement citoyen de mobilisation sur le dérèglement climatique. Elle répond aux questions de 20 Minutes.
Avec la guerre qui vient de se déclencher en Ukraine, craignez-vous que les enjeux environnementaux ne disparaissent totalement de la campagne ?
C’est justement contre cette fatalité que s’est organisée cette nouvelle marche du climat. Avant même le déclenchement du conflit en Ukraine, on faisait déjà ce constat que l’environnement était complètement délaissé dans cette campagne présidentielle. Les questions climatiques n’ont occupé que 2,7 % du temps de parole dans les médias dans la semaine du 8 au 13 février *. Pourtant, 94 % des Français estiment que la crise climatique est un enjeu capital. Des études d’opinion sur les priorités des Français pour cette campagne concluent que cet enjeu arrive devant la sécurité et l’immigration.
Ces marches seront-elles l’occasion de le rappeler samedi ?
Le but de ces grandes marches est toujours double. Elles constituent déjà des portes d’entrée pour celles et ceux qui veulent s’engager dans la lutte contre le dérèglement climatique. C’est l’occasion pour beaucoup d’une première prise de contact avec les ONG, d’entendre leurs discours, de découvrir la panoplie de leurs actions. Mais c’est aussi et surtout l’occasion de se compter et d’imposer le sujet dans le débat, en montrant que des milliers de personnes descendent dans la rue pour appeler à une meilleure prise en compte des enjeux climats dans nos politiques.
C’est bien ce choc qu’on espère créer samedi chez les candidats encore en lice. Ces marches n’ont pas un impact anodin lorsque la mobilisation est au rendez-vous. On l’a vu en Allemagne le 25 septembre dernier. A deux jours des élections législatives cruciales pour l’avenir du pays, 620.000 défenseurs de l’environnement [selon l'organisateur, Fridays for future] étaient descendus dans la rue, ce qui a contribué à porter au pouvoir une coalition dotée d'une sensibilité environnementale plus prononcée que le gouvernement précédent.
Y a-t-il même des enjeux qui convergent, à vos yeux, entre la guerre en Ukraine et la crise climatique ?
L’idée n’est pas de faire des hiérarchies entre ces actualités terribles. Mais elle est de souligner que notre avenir dépend autant des tensions géopolitiques mondiales qui ont lieu en ce moment que des politiques climatiques qui sont mises en place dès à présent. Se mobiliser pour le climat reste une nécessité même dans ce contexte de guerre en Ukraine.
Ce conflit nous pose aussi des questions qui touchent à la transition écologique, à travers notamment la forte dépendance de l’UE aux énergies fossiles russes. On le voit bien, le gouvernement [Bruno Le Maire ce lundi encore] ne cesse de nous avertir des répercussions qu’aura ce conflit sur notre quotidien, notamment à travers la flambée des prix du gaz.
Les dernières marches pour le climat, le 6 novembre 2021, en pleine COP26 à Glasgow, avaient peu mobilisé en France…
Nous étions encore dans un contexte marqué par le Covid-19. Par ailleurs, plusieurs ONG françaises, dont Alternatiba, avaient fait plutôt le choix, pour cette journée de mobilisation internationale, de mener des actions de désobéissance civile à Glasgow plutôt que des marches en France. En revanche, le 16 mars 2019, la Marche du siècle avait rassemblé 350.000 manifestants [selon les organisateurs toujours] en France. Quelques mois plus tôt, l’Affaire du siècle [action en justice lancée par quatre ONG, qui a abouti à la condamnation de l’État pour « inaction climatique » en 2021] avait réuni plus de deux millions de signatures, faisant de cette pétition la plus signée de France. Nous étions aussi toujours en plein mouvement des « gilets jaunes », avec lequel les ONG climatiques avaient noué des liens, notamment sur l’idée que fin du monde et fin du mois faisait finalement partie du même combat. Bref, il y avait un alignement des planètes pour que la question climatique soit poussée très haut dans le débat public.
On peut estimer être plus proche aujourd’hui du contexte de mars 2019 que de celui de l’automne dernier. Avec le conflit en Ukraine, le nouveau rapport alarmant du Giec [sur l’adaptation au changement climatique, le 28 février], mais surtout l’élection présidentielle qui approche. Il est fort nombrable qu’on soit nombreux à ne pas avoir envie d’attendre de glisser notre bulletin dans l’urne pour se faire entendre. Un signe positif : nous sommes 498 ONG et collectifs à appeler à cette grande manifestation. C’est beaucoup et dans le lot, certaines rejoignent pour la première fois cette coalition.
*Ce baromètre est réalisé chaque semaine par l’institut de sondage Onclusive pour L’Affaire du siècle, à partir de l’analyse de 120 sources (presse écrite, en ligne, télévision, radio…). Pour la semaine du 28 février au 6 mars, le pourcentage était tombé à 1,5 %, chiffre en baisse par rapport à une semaine plus tôt (2,8 %), ce qui peut s’expliquer notamment par le déclenchement du conflit en Ukraine.