Agriculture : Trouver des terres, le parcours du combattant des candidats à l’installation

TRANSMISSION La France a perdu 100.000 agriculteurs en dix ans et des départs massifs à la retraite sont attendus d’ici 2030. Pourtant, les candidats peinent bien souvent à trouver des terres, pointe l'association Terre de liens

Fabrice Pouliquen
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Un agriculteur conduit un tracteur à travers un champ à Peguilhan, dans le sud de la France
Un agriculteur conduit un tracteur à travers un champ à Peguilhan, dans le sud de la France — Fred SCHEIBER / AFP
  • Le dernier recensement agricole, dont les premiers chiffres ont été dévoilés en décembre, ont confirmé la longue et lente disparition des agriculteurs en France. Et départs massifs à la retraite d’agriculteurs sont attendus d’ici 2030.
  • Que faire alors des terres qui vont être ainsi libérées ? C’est la question que pose Terre de liens, association qui aide depuis plus de vingt ans des nouveaux agriculteurs à s’installer, dans un rapport publié ce mardi.
  • Terre de liens pointe les difficultés que rencontrent déjà des candidats à l’installation pour accéder aux terres. Parce que celles à céder ne correspondent pas toujours à leurs projets et qu’ils ne font pas le poids face aux projets d’agrandissement.

« La seule chose qui faisait sens était de m’installer comme paysan », lance Emeric Duclaux, 28 ans. Le jeune agriculteur est l’un des profils que met en avant Terre de liens, association qui aide à l’installation de jeunes agriculteurs, dans le rapport qu’elle publie ce mardi ​sur l’état des terres agricoles en France​. Emeric Duclaux précise bien « paysan » pour mieux insister sur la nécessité à ses yeux, « de se détourner de l’agro-industrie et de s’engager dans des productions biologiques sur des fermes à taille humaine ». Avec ce projet bien en tête, il se lance dans des études d’agronomie et en parallèle, se met en quête de terres.

Des deux aventures, c’est bien la dernière qui se révélera la plus complexe. Après avoir cherché autour de chez lui, parlé de son projet aux amis d’amis, Emeric Duclaux élargit sa recherche à l’échelle de l'Ain, son département. « Je plantais des petites pancartes avec mon numéro et quelques lignes sur mon projet et je consultais également toutes les annonces Internet », raconte-t-il.

7.000 nouveaux agriculteurs de plus à trouver par an…

Mais chou blanc à chaque fois. « Ce n’est pas qu’il n’y avait aucune offre, mais elles ne correspondaient pas à mes attentes, souvent parce qu’il s’agissait de fermes immenses et nécessitant un budget astronomique à l’installation », précise Emeric. Autre obstacle : le jeune agriculteur est un « Nima » comme sont qualifiés les candidats à l’installation « non issus du milieu agricole ». « C’est plus difficile, alors, de nouer des contacts avec des agriculteurs susceptibles de céder des terres », constate-t-il. Emeric Duclaux ne lâche rien pour autant. Il achète un camping-car et s’en va visiter des terres sur toute la France, avant de trouver enfin son bonheur  en Haute-Loire où il a repris, depuis janvier 2021, une petite exploitation spécialisée en fruits rouges bio. A trois heures de là où il a grandi.

Un parcours du combattant qui a de quoi étonner, alors que l’agriculture française est face au défi du colossal renouvellement des générations. Un agriculteur sur deux arrivera à l’âge de la retraite dans les cinq à dix prochaines années. « Et si le nombre d’installations d’agriculteurs reste stable [15.000], il en manque encore 7.000 par an pour compenser ces départs », exposait Julien Denormandie, ministre de l’agriculture, le 10 décembre, en dévoilant t les chiffres du dernier recensement agricole.

« On s’installe là où on peut »

Pourtant, Emeric Duclaux l’assure : « d’autres amis ont eu les mêmes difficultés que les miennes ». « 20.000 jeunes se présentent chaque année au « Point d’accueil installation » (la porte d’entrée pour tous les porteurs de projet agricole) pour 15.000 installations », raconte Coline Sovran, chargée de plaidoyer à Terre de liens. Soit 5.000 qui restent sur le carreau ? « Dans le lot, certains abandonnent en se rendant compte qu’ils ne sont pas faits pour ce métier », concède Coline Sovran. Mais beaucoup aussi jettent l’éponge faute d’avoir trouvé des terres, selon Terre de lien qui tire la sonnette d’alarme dans son rapport publié ce mardi.

Les chiffres dévoilés en décembre par Julien Denormandie n’ont fait que confirmer cette longue et lente disparition des agriculteurs en France constatée depuis plusieurs décennies, rappelle Maurice Desrier, économiste et statisticien agricole, membre du bureau de Terre de liens. « Rien qu’entre 2010 et 2020, la France a perdu 100.000 exploitations pour ne plus en compter que 390.000 aujourd’hui », détaille-t-il. Autre tendance : l’agrandissement des fermes. « La surface moyenne qu’elles exploitent est aujourd’hui de 69 ha, soit 26 de plus qu’en 2010 », poursuit Maurice Desrier. Quant aux grandes fermes, d’une surface moyenne de 136 ha (190 terrains de foot), quasi inexistantes il y a 60 ans, elles représentent aujourd’hui une ferme sur cinq et couvrent 40 % du territoire agricole métropolitain, indique Terre de liens. L’ONG pointe alors les conséquences d’une telle concentration à ses yeux : « diminution de l’emploi agricole, destruction de la main-d’œuvre familiale, industrialisation de la production, recours à la sous-traitance, mal-être des agriculteurs… »

Une inadéquation croissante entre les fermes à céder et les nouveaux projets ?

Cet agrandissement des terres est aussi et surtout l’un des freins au renouvellement des générations en agriculture. Premier obstacle : « une inadéquation de plus en plus marquée entre les fermes à céder et les projets d’installation, constate Coline Sevran. Les premières sont de plus en plus grandes, de plus en plus spécialisée et mécanisée quand les nouvelles générations d’agriculteurs sont plus à l’écoute des attentes sociales et environnementales. Une part croissante se tourne sur de plus petites surfaces, en bio avec de la vente en circuit court… »

Le deuxième obstacle, qui découle en partie du premier, est le coût d’installation. « Même si l’augmentation a été plus contenue qu’ailleurs en Europe, le prix des terres a en moyenne doublé en vingt ans, reprend la chargée de plaidoyer de Terre de liens. Or, alors que la surface d’installation est de 35 ha en moyenne aujourd’hui, il faut ainsi supporter l’équivalent de 200.000 euros d’investissement pour le seul achat des terres auquel s’ajoutent bien souvent des investissements à réaliser qui peuvent doubler le coût de l’installation. »

Pas facile alors de faire face aux projets d’agrandissements de fermes, pointe Terre de liens. « Si un agriculteur souhaite vendre rapidement sa terre, le plus simple est de la céder au voisin déjà installé, car capable dans bien des cas de mobiliser le capital plus rapidement », résume Coline Sovran. Pourtant, en France, le marché des terres agricoles est régulé et contrôlé par lessociétés d’aménagement foncier et établissement rural (Safer) avec pour mission d’encadrer l’acquisition du foncier agricole et de favoriser l’installation des jeunes. « Mais ce dispositif, qui date des années 1960, a vieilli et a de nombreux trous dans la raquette aujourd’hui, estime Tanguy Martin, également chargé de plaidoyer à Terre de liens. Beaucoup de transactions échappent aujourd’hui à la Safer. »

L’urgence d’une grande loi sur le foncier agricole pour Terre de liens

C’est alors un autre chiffre fort du rapport de l’association : deux tiers des terres aujourd’hui libérées partent à l’agrandissement des exploitations déjà existantes. « La question est désormais de savoir si on continue dans ce sens », lance Benjamin Duriez qui rappelle que nous sommes aujourd’hui à un carrefour. Avec les départs massifs à la retraite attendus, « cinq millions d’hectares de terres, soit près de 20 % de la surface agricole française, vont changer de main d’ici 2030 », s’attend Terre de liens. L’enjeu n’est pas seulement d’éviter que ces terres aillent à l’agrandissement. L’association cite aussi parmi les menaces  l’artificialisation des sols (lire encadré), ou encore l’irruption de firmes géantes de l’agroalimentaire qui investissent dans le foncier agricole  [lire l’enquête du Monde Diplomatique].

Pour Terre de liens, il y a urgence à se doter, en France, d’une grande loi sur les terres agricoles qui, à la fois, « renforcerait la préservation des terres agricoles, favoriserait l’installation de nouveaux agriculteurs, mais aussi assurerait une gouvernance plus démocratique et transparente des terres agricoles », détaille l’association. « Une telle loi a été promise à plusieurs reprises par Emmanuel Macron durant ce quinquennat avant d’être repoussée à chaque fois, déplore Tanguy Martin. Pour Terre de liens, les enjeux sont trop importants pour attendre encore cinq ans de plus.

L’artificialisation, l’autre grande menace pour Terres de liens

« En 1950, le territoire national était recouvert à 72 % par des terres agricoles, cette part est tombée aujourd’hui à 52 % », indique Tanguy Martin, chargé de plaidoyer à Terres de Liens. Pas grave ? Avec 27 millions d’hectares, la France dispose toujours d’une des plus grandes surfaces agricoles utiles. « Cette artificialisation des sols, qui se fait aux deux tiers aux dépens des terres agricoles, grignote tout de même entre 50.000 et 60.000 ha par an, reprend Tanguy Martin. C’est l’équivalent d’une surface permettant de nourrir une ville comme Le Havre que nous perdons ainsi chaque année. »

Terres de Liens déplore alors surtout le rythme très soutenu de cette artificialisation, parmi « les plus élevés d’Europe » et que ne sont pas parvenues à réduire les différentes politiques prises à ce jour. « Elles consistent toujours à définir des objectifs de réduction en laissant ensuite les collectivités se débrouiller avec, ce qui n’a jamais marché », déplore Tanguy Martin. Terres de Liens demande à passer à des politiques beaucoup plus interventionnistes jusqu’à décréter un moratoire sur les nouvelles zones à urbaniser.