Bretagne : Pour « réparer » les rivières, la longue traque des pollueurs
POLLUTION En Ille-et-Vilaine, seules 3 % des masses d’eau sont considérées comme de bonne qualité écologique. Une conférence vient de se réunir pour tenter de les « réparer »
- En Ille-et-Vilaine, seules 3 % des masses d’eau sont considérées comme « de bonne qualité écologique ». Une nouvelle instance a été créée pour tenter de ramener ce chiffre à 27 % en 2027.
- Depuis plusieurs années, des associations se battent pour traquer les pollueurs et les traduire en justice afin de les faire payer.
- Sur le terrain, la surveillance de la nature se heurte à un problème de moyens. La police de l’environnement mise en place par l’Etat est sous-dotée. Ses agents doivent « prioriser ».
Elle a été installée fin janvier avec l’ambition de « réparer l’eau en Ille-et-Vilaine ». Tout juste constituée, la conférence bretillienne de l’eau mise en place par la préfecture se heurte à un problème majeur. Son objectif de présenter « 29 % de masses d’eau en bon état écologique en 2027 » semble impossible à atteindre.
Actuellement, seules 3 % des eaux de surface du département sont épargnées par la pollution. Même en prenant des décisions drastiques – ce qui ne semble pas être la solution privilégiée – il faudra des années au milieu pour se débarrasser des quantités excessives de nitrates qui souillent ses rivières et ses lacs depuis des dizaines d’années. Dans l’ombre, certains se battent pour défendre la nature face aux attaques répétées sur l’environnement. Un combat silencieux qui vise à faire condamner les pollueurs. Pas simple.
Lactalis condamnée pour pollution en 2019
C’était un beau jour d’été, en 2017. Un jour pourtant sombre où la Seiche s’est parée d’une anormale couleur verte, asphyxiant toute la vie qu’elle abritait. Six tonnes de poissons morts avaient été repêchées dans les eaux polluées de la rivière qui irriguent le sud-est de l’Ille-et-Vilaine.
Deux ans après la pollution, le groupe Lactalis avait écopé d’une amende de 250.000 euros, assortie de 70.000 euros d’indemnités. Une petite victoire pour les sept associations qui s’étaient portées partie civile, dans un combat judiciaire l’opposant au géant du lait. « C’était une bonne avancée. Mais à mes yeux, ça reste insuffisant par rapport au préjudice subi. Dans le cas de Lactalis, on parle de délinquance environnementale. Parce que la société a pris des risques pour l’environnement », regrette Brieuc Le Roch, juriste au sein de l’association Eau et rivières de Bretagne.
Devant le tribunal correctionnel, le mastodonte de l’agroalimentaire avait fait profil bas. D’abord parce que la responsabilité de son usine laitière de Retiers avait été clairement établie. Mais aussi parce qu’elle avait mis un temps infini à s’en soucier. « Dans les premiers jours, ils étaient arrivés avec une épuisette et un canot pour ramasser les poissons morts. Et surtout, ils n’ont pas arrêté le rejet. Pas parce qu’ils ne pouvaient pas mais pour des considérations économiques », estime Thomas Dubreuil.
Faire payer les pollueurs
Cet avocat installé à Vannes s’est spécialisé dans les pollutions de l’eau, sans doute inspiré par l’ampleur du procès de l’Erika quand il suivait ses cours de droit. C’est lui qui défendait la fédération de pêche face à Lactalis. Mais il traque aussi d’autres cibles que les industriels : des agriculteurs fautifs, des collectivités qui laissent pourrir leur station d’épuration…
« Notre objectif, c’est d’envoyer un message fort aux pollueurs, de leur montrer que ça leur coûtera moins cher d’investir pour se moderniser que de payer une énorme amende. D’autant que le droit de l’environnement est très bien doté. Ça ne servira à rien de le renforcer. Ce qu’il faut, c’est qu’il soit appliqué ». L’absence probable de procès dans l’affaire de la pollution du méthaniseur de Châteaulin (Finistère) est un exemple de « ce qu’il ne faut surtout pas faire » selon les défenseurs de l’environnement, qui demandent que les coupables s’expliquent sur leurs méthodes.
« Tous les jours, des gens signalent des pollutions »
Depuis quelques années, les associations de défense de la nature ont su s’organiser pour constituer « un réseau de sentinelles » capables d’alerter les autorités en cas de pollution.
« C’est très important de caractériser l’infraction. Parfois, c’est assez simple. Quand une fosse à lisier fuit, on sait très vite d’où ça provient. Parfois, c’est beaucoup plus compliqué », résume l’avocat.
Le souci majeur, c’est que les moyens manquent. Et c’est criant. « On a des appels tous les jours de gens qui nous signalent des pollutions, des déversements. Mais nous ne sommes qu’une association, que des bénévoles. Le problème, c’est que l’administration ne répond plus », regrette le juriste d’Eau et rivières de Bretagne.
Le manque de moyens criants de l’Etat
L’administration en question s’appelle l’OFB, pour Office français de la biodiversité. Cette police de l’environnement doit faire respecter les droits de la nature sur une superficie de 500.000 km² avec 1.700 agents de terrain. Chacun d’entre eux doit « surveiller » des centaines de kilomètres de cours d’eau. Impossible.
« Nous n’avons pas d’autre choix que de faire de la priorisation parce que les demandes affluent mais que nous n’avons pas les effectifs pour y répondre. On doit sélectionner nos missions », explique Benoît Pradal. Cet agent de l’OFB est issu de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) qui a fusionné en 2020 avec l’Agence française pour la biodiversité (AFB) pour devenir le fameux OFB. « L’objectif était clair, ils voulaient faire des économies. Les agents n’étaient pas formés pour certaines missions. On est surchargés de travail », explique le secrétaire national du syndicat Force ouvrière.
Un élevage de volailles autorisé par le préfet mais retoqué par le tribunal
Lui exerce en Savoie, où il doit traquer les cimenteries qui déversent du béton dans les rivières. En Bretagne, ses collègues se plient en quatre pour tenter d’identifier les pollutions mais aussi pour les prévenir, notamment en donnant des avis techniques sur les demandes d’extensions d’exploitations agricoles. Sont-ils écoutés ? « Pas toujours, affirme-t-il. Le préfet n’est pas tenu de le faire. »
Ce fut le cas à Langoëlan (Morbihan), quand la préfecture a autorisé l’extension d’un élevage qui prévoyait 120.000 volailles. Une autorisation annulée par le tribunal administratif de Rennes qui a estimé que « les études d’impact étaient insuffisantes » au regard de l’ampleur du projet. « C’est le problème des algues vertes. On vise les agriculteurs mais c’est l’État qui a donné les autorisations d’installation dans des milieux déjà saturés ». Dans son rapport accablant, la Cour des comptes avait pointé du doigt le manque de moyens alloués par l’État pour lutter contre le phénomène. Le manque criant de moyens des agents en est un parfait exemple.