Bouches-du-Rhône : « Toute la nuit, c’est Londres complet ! »… Les riverains de l’incendie de Saint Chamas, toujours actif, disent leur ras-le-bol

REPORTAGE UN MOIS APRES L'INCENDIE Maux de tête, toux chimique, yeux qui pleurent, les riverains décrivent tous les mêmes symptômes des fumées dégagées par le feu couvant du centre de déchets

Caroline Delabroy
Le mistral dégage les fumées, ce vendredi à Saint-Chamas
Le mistral dégage les fumées, ce vendredi à Saint-Chamas — C.Delabroy/20 Minutes
  • Les riverains du centre de stockage de déchets, en feu à Saint-Chamas depuis le 26 décembre dernier, décrivent tous les mêmes symptômes au contact des fumées.
  • La nuit, surtout, est difficile, lorsque le vent tombe et que le sol se rafraîchit.
  • Plusieurs plaintes sont en cours, mais l’urgence, pour ces habitants, est d’avant tout que le feu soit arrêté.

« Cela rentre, il n’y a rien à faire. » Georges Mélanie a beau fermer les fenêtres et boucher les aérations avec du scotch, il ressent les fumées de l’incendie de Saint-Chamas. Dehors, il lui arrive souvent de mettre deux masques pour se protéger. Le terrain de sa maison, où se trouve aussi son exploitation de terrassement, se trouve à 200 mètres à peine du centre de stockage de  déchets, en feu depuis le 26 décembre.

« Le plus terrible, c’est la nuit, raconte-t-il ce vendredi, attablé dans le salon d’où l’on a une vue sur tous les alentours. Vous avez l’humidité, et en ce moment beaucoup de gel, on dirait que l’air presse contre la terre, on ressent vraiment les odeurs chimiques. » Les yeux qui piquent, la gorge en feu l’empêchent de trouver le sommeil. Plusieurs fois, il se lève boire du Pulco pour tenter de calmer ses bronches. Sous sa main massive, une ordonnance est posée sur la nappe. Elle est datée du jour : un médecin lui prescrit un scanner thoracique. Il est écrit entre parenthèses : « toux chimique ».

Des serpillières humides sous la porte

« Pourquoi les pompiers ne sont pas là », ne décolère pas cet habitant, alors que plusieurs plaintes sont en cours contre l’exploitant du site, dont une déposée jeudi de France Nature Environnement. « L’argent, cela ne m’intéresse pas, ce que je demande c’est que le feu soit arrêté, qu’il n’y ait plus de fumées, c’est tout. Après, les déchets, ils ne me dérangent pas, il y a des hectares de terrain. »

Plombier chauffagiste, Patrick Portelli habite encore plus près du site, juste à côté de la voie ferrée. Lui, il appose en plus des serpillières humides sous la porte d’entrée : sa maison est plus ancienne. La gorge serrée, les maux de tête, il les subit aussi. « Aujourd’hui, il y a le mistral, ça va à peu près, mais la nuit, quand le vent tombe, c’est irrespirable, explique-t-il. Toute la nuit, c’est Londres complet ! » « On sait très bien que ces fumées sont toxiques, ajoute-t-il. Quand on va sur AtmoSud, il y a des pics de pollution qui font peur, et encore, ils ne mettent pas toutes les mesures de produits toxiques. » Les capteurs installés dans le secteur dès le 30 décembre ont encore mesuré des dépassements de seuil cette semaine.

Une pétition lancée

Lui aussi reste incrédule devant le temps mis pour arrêter l’incendie. « C’est hallucinant qu’on mette plus d’un mois, lance-t-il. On nous a expliqué qu’il ne faut pas trop arroser pour ne pas polluer la Touloubre, mais les nappes sont ici déjà polluées, on est autour de l’étang de Berre, et elles le seront avec les prochaines pluies ! Et dire qu’il y a des enfants qui jouent dehors dans les cours d’école. Moi, les fumées, je les ai senties jusqu’à Vitrolles, où j’étais pour le travail. » La mairie lui a bien proposé de financer un relogement temporaire mais, tout comme son voisin, il a refusé : « C’est aussi mon lieu de travail, on a trois chiens, le grand-père qui a 87 ans qui vit dans une maison plus bas, on ne peut pas partir comme ça. »

A l’incontournable Bistrot de Provence, sur la place principale du village, la partie de contrée bat son plein. Michelle, 76 ans, n’a pas l’air plus inquiète que cela, même si les fumées, elle les a bien vues du haut de la colline, en face du site. « On ouvre quand même les fenêtres pour le Covid », dit-elle. Près du bar, la pétition du collectif Cistude est à disposition des signataires, de plus en plus nombreux aux dires de Jean-Luc Platon, l’un de ces initiateurs : « On demande au préfet de mandater un laboratoire pour faire des carottages pour avoir une expertise exhaustive de la pollution en cours et des déchets carbonisés, avant que ceux-ci soient évacués. »

Selon lui, il existe des solutions pour stopper l’incendie. Et dans tous les cas, il y a urgence. « On en a ras le bol, lance-t-il. Et si l’entreprise était située dans les quartiers sud de Marseille, que pensez-vous qui se passerait ? »