« Ce quinquennat en est resté à des convictions environnementales de façade », déclare Anne Bringault, du Réseau action climat
INTERVIEW Le Réseau action climat publie ce mercredi son bilan du quinquennat d’Emmanuel Macron sur la transition écologique. Anne Bringault, coordinatrice des programmes de l’ONG, fait le point
- « Depuis le début du quinquennat, on n’a jamais autant fait pour la transition écologique », assure Barbara Pompili, ministre de la transition écologique.
- Le Réseau action climat (RAC) concède qu’Emmanuel Macron a multiplié les déclarations fortes affichant ses ambitions environnementales durant ces cinq dernières années. Mais pointe un décalage entre les discours et leur traduction en actes.
- Au final, « ce quinquennat a fait aussi peu que les précédents sur le volet environnemental », déplore Anne Bringault, coordinatrice des programmes du RAC.
Que retenir du quinquennat d’Emmanuel Macron sur le climat et transition énergétique ? La synthèse n’est pas facile tant l’exécutif a multiplié les déclarations fortes et élaboré des grandes lois ambitieuses sur ces enjeux. De la loi Egalim (sur l’équilibre des relations dans le secteur agricole et alimentaire) à la loi Climat et résilience, en passant par la loi d’orientation des mobilités (LOM), la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (Agec)…
Mais, dans le même temps, « la justice a pris deux décisions historiques, dans l’Affaire du siècle et celle de Grande-Synthe, qui reconnaissant l’insuffisance des actions du gouvernement pour respecter ses objectifs climat et l’obligent à agir », rappelle le Réseau action climat (RAC), fédération d’ONG climatiques françaises.
Le signe que le compte n’y est pas ? Le RAC publie ce mercredi son bilan du quinquennat d’Emmanuel Macron et de sa majorité présidentielle sur ces enjeux climat et transition écologique. Anne Bringault, coordinatrice des programmes de l’ONG, répond à 20 Minutes.
« Depuis le début du quinquennat, on n’a jamais autant fait pour la transition écologique », avance la ministre de la Transition écologique ? Barbara Pompili. Est-ce qu’on peut attribuer de telles avancées à ce quinquennat ?
Malheureusement, ce quinquennat a fait aussi peu que les précédents sur le volet environnemental. Certes la thématique environnementale a été très présente dans les discours, du moins au début du quinquennat. Mais ce volontarisme affiché s’est très peu matérialisé dans des actions concrètes et l’environnement a rarement gagné dans les grands arbitrages réalisés au niveau des politiques gouvernementales. Au final, on en est resté à des convictions environnementales de façade. Ce décalage a éclaté au grand jour en septembre 2018, avec la démission de Nicolas Hulot, qui faisait ce constat : bien que nommé ministre d’État, il n’avait pas les manettes pour aller vers une transition écologique véritablement ambitieuse.
La convention citoyenne pour le climat et le sort réservé aux 150 propositions initiales élaborées par cette assemblée de citoyens sont-ils à vos yeux une autre désillusion forte lors de ce quinquennat ?
C’est un autre exemple des décalages qu’il y a eu, durant ces cinq ans, entre les ambitions affichées et les actes. Mais c’est sans doute, en effet, l’un des plus emblématiques, parce qu'il y a eu cette promesse publique et répétée d’Emmanuel Macron de soumettre sans filtre au parlement, par voie de référendum ou en application directe les propositions que feraient ces 150 citoyens tirés au sort*. La réalité a été toute autre. Bon nombre des 150 propositions de la convention, parmi celles reprises dans la loi Climat et résilience, ont été édulcorées et de nombreux experts s’accordent à dire que cette loi ne contient pas les mesures suffisantes pour atteindre 40 % de baisse des émissions de gaz à effet de serre en 2030 comme elle le visait. Mais nous n’avons pas été si surpris au RAC. Le quinquennat avait démarré avec le lancement de plusieurs grandes concertations avec la société civile avec cette volonté affichée de faire de la politique autrement. Il y a ainsi eu les Etats généraux de l’alimentation, les Assises de la mobilité, un débat public sur la programmation de l’énergie… Nous avions participé à plusieurs d’entre elles et nous étions plutôt satisfaits des conclusions. Mais elles ont été très peu reprises dans les lois élaborées dans la foulée de ces grands débats. Que ce soit la loi Egalim, la loi orientation des mobilités, la loi Énergie climat de 2019…
Retenez-vous tout de même du positif des grandes lois environnementales adoptées durant ce quinquennat ?
Oui, nous mettons en avant des points positifs dans notre bilan. C’est le vélo par exemple avec des moyens d’ampleur mis en place pour développer cette mobilité en France, ce qui est évidemment très positif. Sur la rénovation énergétique des logements, les ONG avaient beaucoup poussé, avec le collectif Renovons !, pour l’interdiction de location des passoires énergétiques. Il y a des dispositifs qui ont été pris en ce sens durant ce quinquennat, même s’ils ne suffisent pas à répondre à l’engagement pris en 2017 par Emmanuel Macron de supprimer ces passoires dans les dix ans. On pourrait citer encore l’arrêt de projets néfastes pour l’environnement, comme celui de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes ou encore des mesures actées dernièrement pour accompagner les salariés touchés par la fermeture des dernières centrales à charbon . C’est encore trop tôt pour faire le bilan de cet accompagnement mais ça va, là encore, dans le bon sens…
Mais ces quelques exemples ont été souvent les arbres qui cachaient la forêt des inactions et des reculs. Si on regarde le tableau général, on reste loin de la transformation des secteurs qu’il faudrait avoir pour se mettre sur la trajectoire des accords de Paris. Ce qu’a pointé le Haut conseil pour le climat dans son dernier rapport [juin dernier] en estimant qu’il faudrait baisser deux fois plus vite les émissions pour espérer atteindre les objectifs climatiques que la France s’est fixés.
Dans quels secteurs le bilan du quinquennat d’Emmanuel Macron pêche le plus ?
Il y a des lacunes dans un peu tous les principaux secteurs émetteurs, à commencer par le premier, celui des transports [31 % des émissions en 2019]. Encore une fois, si la loi LOM a permis quelques avancées, notamment donc sur le vélo, globalement, ce quinquennat n’a pas mis en place les conditions qui permettaient une baisse des émissions qui stagnent dans les transports, hors effet Covid. Ainsi, la baisse des émissions des véhicules neufs est trop faible en France. Seulement 9,8 % des véhicules neufs vendus l’an dernier étaient 100 % électriques, contre 64,5 % en Norvège, 13 % en Allemagne. Des projets autoroutiers et d’extensions d’aéroports et on a trop peu investi dans le ferroviaire. Dans l’agriculture aussi, on est loin du compte notamment parce qu’Emmanuel Macron s’est très peu attaqué aux facteurs majeurs d’émissions de ce secteur. Il n’y a rien eu sur les engrais azotés de synthèse par exemple et si des mesures ont été prises allant dans le sens d’une réduction de notre consommation de viande, notamment l’expérimentation de repas végétariens dans les cantines, mais on en reste au stade des expérimentations qu’il faut encore accélérer. Enfin, dans le bâtiment, les moyens financiers ont été renforcés pour la rénovation énergétique des logements, mais la quantité des rénovations prime à ce jour sur la qualité.
Est-ce que ce quinquennat vous laisse avec des regrets ?
Il y a eu des loupés oui. Sur le mouvement des « gilets jaunes » notamment. Les ONG avaient alerté sur les risques que représentait une hausse de la taxe carbone sans redistribution du produit de cette hausse entre les ménages les plus modestes, soit ceux qui sont les plus impactés. Le mouvement des « gilets jaunes » a poussé le gouvernement à geler toute évolution de la fiscalité carbone, craignant qu’elle soit perçue comme injuste, ce qui a grevé les résultats climatiques nationaux. Pourtant, une étude de l’Ademe montre que les Français sont prêts à faire des efforts pour le climat, mais si ceux-ci sont équitablement répartis. Il aurait été aussi possible de se saisir bien plus de la crise sanitaire comme d’une opportunité de redémarrer l’économie différemment. Des financiers considérables ont été alloués aux entreprises. Certaines aides, comme la baisse des impôts de production, devraient même durer au-delà de la crise sanitaire. Mais aucune éco-conditionnalité n'a été demandée en retour. Il n’a pas été demandé à ces entreprises bénéficiant de ces aides publiques de réduire leur impact sur le climat.