COP26 : A Glasgow, après les belles paroles, les négociations entrent dans le dur
CLIMAT Certes, la COP26 a déjà donné lieu à un florilège d’initiatives et nouvelles coalitions promettant des avancées sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Mais cela ne dit rien de la réussite de ces quinze jours à Glasgow
- Une nouvelle semaine s’est ouverte ce lundi à la COP26 de Glasgow. La dernière, qui devra mettre un point final aux négociations officielles de ce sommet de l’ONU pour le climat.
- La première semaine a surtout été marquée par un florilège de nouvelles initiatives et de coalitions ambitieuses. Sans doute comme jamais auparavant. Mais ces annonces ont leur lot d’imprécisions et ne sont pas contraignantes juridiquement, mettent en garde les ONG.
- Pas suffisant, donc, pour déterminer la réussite de l’événement. Tout l’enjeu alors de ces derniers jours à Glasgow sera de traduire ces engagements dans la décision finale de la COP26. Pas gagné ?
De notre envoyé spécial à la COP26 de Glasgow
Vingt-trois États, dont la Pologne et le Vietnam, qui s’engagent pour la première fois à sortir du charbon pour leur production d’électricité. Quatre-vingts autres qui annoncent vouloir réduire de 30 % leurs émissions de méthane, puissant gaz à effet de serre, d’ici à 2030. Vingt-quatre pays et acteurs publics qui signent un accord interdisant le financement d'énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon) à l'étranger d’ici à 2023. L’Inde qui vise la neutralité carbone en 2070… Ou encore ces 450 acteurs financiers, représentant quelques 130.000 milliards de dollars d’actif, qui promettent d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050.
A Glasgow, la première semaine de la COP26 s’est traduite par une avalanche d’annonces ambitieuses, de la part de chefs d’Etats et d’acteurs privés. Comme jamais ? De plus en plus médiatisés, ces sommets de l’ONU sur le climat sont devenus des moments privilégiés pour clamer de nouvelles promesses de réduction d’émissions et nouer de nouvelles coalitions. Et à Glasgow, « ce fut la première fois, depuis la COP22 de Marakech, qu’il y a eu autant de chefs d’Etats et de gouvernement à venir en début de COP. Et surtout en y restant longtemps, souvent 48 heures », glisse Pierre Cannet, responsable « plaidoyer » au WWF France.
Des promesses aux détails manquants
Pas plus mal, d’une certaine façon. Le 26 octobre, juste avant que cette COP26 ne démarre, le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) pointait le manque d'ambition des engagements pris par les pays pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (GES). Mises bout à bout, ces promesses nous mettaient sur une trajectoire de + 2,7 °C à la fin du siècle [par rapport à l’ère préindustrielle]. Jeudi dernier, l’Agence internationale de l’énergie a repris le calcul en intégrant les nouvelles promesses formulées à Glasgow, estimant à + 1,8°C la trajectoire sur laquelle elles nous mènent désormais. « Un moment historique », notait alors l’agence, soulignant que « c’est la première fois que des gouvernements proposent des objectifs suffisamment ambitieux pour maintenir le réchauffement de la planète en dessous des 2 °C. »
Faut-il encore que ces promesses soient tenues. « Ces initiatives et coalitions ne contraignent pas juridiquement les pays qui les lancent, rappelle Clément Sénéchal, porte-parole "climat" à Greenpeace France. Ce sont des objectifs qu’ils se donnent, il n’y a pas d’obligations de résultat, pas de systèmes de pénalités s’ils ne les remplissent pas. » Bien souvent aussi, le diable se cache dans le détail de ces annonces clinquantes. Ainsi, lorsque ces 450 grandes institutions financières, pesant 130.000 milliards de dollars d’actifs, s’engagent à atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050, « cela ne veut pas dire qu’elles comptent arrêter de financer des projets d’énergies fossiles * », met en garde Myrto Tilianaki, chargé de plaidoyer à CCFD-Terre Solidaire. « De la même façon, les 80 pays qui se sont engagés à réduire de 30 % leurs émissions de méthane n’ont que très peu précisé les secteurs qu’ils comptaient viser pour y parvenir ** », regrette Aurore Mathieu, responsable « politiques internationales » au Réseau action climat (RAC), fédération d’ONG climatiques françaises.
Transcrire les nouveaux engagements dans la décision finale de la COP
Voilà donc des précisions qui manquent. Il y en a d’autres, que liste le RAC dans le florilège d’annonces qui ont émaillé le début de cette COP26. Le risque est qu’on s’arrête à celles-ci pour décréter la réussite de ces quinze jours. Pour Clément Sénéchal, c’est le jeu – à peine voilé – de la présidence britannique. « Avant que le sommet ne commence, elle a multiplié les communications pessimistes sur les chances de succès des négociations. Une façon de se dédouaner d’un éventuel échec, commence-t-il. En parallèle, elle publie une avalanche de communiqués sur ces nouveaux d’engagements qui ne font pourtant pas partie du processus de négociations officielles. »
C’est tout l’enjeu de cette deuxième semaine qui s’ouvre à Glasgow : « traduire concrètement ces nouveaux engagements dans les négociations officielles, notamment la décision finale de la COP26 », insiste Aurore Mathieu. C’est par ce texte que se clôturent les COP. Il récapitule l’ensemble des points de l’action climatique discutés pendant les quinze jours et sur lesquelles les 197 pays représentés s’accordent et s’engagent, cette fois-ci de façon beaucoup plus contraignante.
Ces négociations « techniques » ont déjà commencé en première semaine, menées par les délégations diplomatiques dans l’ombre des discours à la tribune des chefs d’Etat. Elles se poursuivent à un plus haut niveau politique avec l’entrée en piste, ce lundi, des ministres***, qui arbitreront politiquement les points de désaccord restants.
Se servir des promesses pour aboutir à une décision finale ambitieuse
Pour aboutir à cette décision finale, les nombreuses initiatives et alliances de la première semaine peuvent tout de même s’avérer utiles malgré leurs imperfections. « Elles peuvent insuffler une dynamique intéressante sur les négociations officielles », estiment Clément Sénéchal et Pierre Cannet. C’est le cas notamment sur la question de la finance climat, qui empoisonne la COP sur fond de tension Nord-Sud. Là encore, la première semaine a été maillée d’annonces prometteuses dans ce domaine. Plusieurs pays, dont la Norvège et le Japon, ont annoncé l’augmentation significative de leurs financements alloués à « l’adaptation », le parent pauvre de la finance climat à ce jour, mais capital puisqu’il vise à aider les pays du Sud à faire face aux conséquences du changement climatique.
Fanny Petitbon, responsable des plaidoyers pour l’ONG Care France, ajoute la question des « pertes et dommages », qui concerne elle les réparations financières à apporter aux pays qui ont subi de premiers impacts du changement climatique, auquel ils contribuent pourtant le moins. « C’est un sujet qui monte de plus en plus à l’agenda politique à la demande des pays du Sud, sur lequel on part de très loin, commence-t-elle. Malgré tout, au premier jour de la COP26, l’Ecosse s’est engagée à mobiliser 1 million de pounds [1,17 million d’euros] pour financer spécifiquement les pertes et dommages. C’est certes une goutte d’eau dans l’océan, mais un joli coup de poker politique, l’Ecosse étant la première Nation développée à le faire. »
Tout l’espoir alors du RAC est que ces annonces éparses sur l’adaptation ou les pertes et dommages bougent peu à peu les lignes et se retrouvent, d’une façon ou d’une autre, dans les décisions finales de cette COP26. Ça ne sera pas facile. La question des énergies fossiles permet de s’en faire une idée. « Avec ces coalitions annoncées en première semaine pour sortir plus rapidement du charbon ou cesser de financer des projets fossiles, on peut espérer que ces énergies soient mentionnées dans la décision finale de la COP26, commence Clément Sénéchal. Au moins que les pays les reconnaissent comme la principale source d’émissions de GES, ce qui serait un premier pas. » Dans le premier « brouillon » de cette décision finale, publié dimanche, c’était loupé : les fossiles y étaient largement occultés… On peut se dire qu’on n’est que lundi, après tout.
* Ces 450 acteurs financiers pourraient choisir, pour atteindre la neutralité carbone, de ne pas réduire autant qu’il le faudrait leurs financements à des projets fossiles, fort émetteur de gaz à effet de serre, mais plutôt de compenser. Ce qui n’a pas la même valeur, pour CCFD-Terre Solidaire.
** Il n’est pas fait mention notamment de la nécessité d’agir sur l’élevage intensif, source majeure d’émissions de méthane, précise Clément Sénéchal.
*** Pour la France, ce sera Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique, et Jean-Baptiste Djebarri, ministre des Transports.