Tiques : L'être humain serait bien responsable – mais pas vraiment coupable – de leur prolifération en France
BIODIVERSITÉ•Découvrez, chaque jour, une analyse de notre partenaire The Conversation. Aujourd’hui, une parasitologue nous explique pourquoi l'on n'est pas prêts de se débarrasser des tiques (et des maladies qu'elles transmettent)20 Minutes avec The Conversation
L'essentiel
- Les populations de tiques ne cessent d’augmenter en Europe, selon notre partenaire The Conversation.
- Les tiques évoluant surtout dans les bois, toutes les pratiques qui conduisent à augmenter le couvert forestier favorisent leur prolifération. Or celles-ci ont quelque peu changé au cours des dernières années…
- L’analyse de ce phénomène a été menée par Nathalie Boulanger, enseignant-chercheur en parasitologie à l’Université de Strasbourg (UR7290).
Depuis plus de cinquante ans, on constate une augmentation des populations de tiques en Europe, qui s’accompagne d’une propagation plus importante des maladies qu’elles véhiculent.
Changement climatique, activités humaines, modifications des écosystèmes… Plusieurs facteurs ont été avancés pour expliquer les raisons de cette situation. Plus précisément, quelles en sont les causes et quel est le rôle de l’être humain dans ce phénomène ?
Des tiques essentiellement forestières
En Europe, les tiques les plus concernées par cette augmentation de population sont Ixodes ricinus et, à un degré moindre, la tique Dermacentor reticulatus.
Ixodes ricinus est la tique la plus abondante de l’hémisphère nord. Elle se nourrit exclusivement de sang sur des hôtes très variés : petits et grands mammifères, oiseaux et même des reptiles… Plus de 300 espèces animales sont susceptibles d’être piquées ! L’être humain, en revanche, est un hôte accidentel. Après l’éclosion, le développement de cette tique suit plusieurs étapes (appelées « stases ») : larve, nymphe, puis adulte. Les nymphes de petite taille sont particulièrement impliquées dans transmission de bactéries (comme celle responsable de la maladie de Lyme), virus, voire de parasites à l’être humain.
Ixodes ricinus a besoin d’une forte hygrométrie et d’une température d’au moins 5 °C pour être active. Elle se développe dans la végétation, principalement dans les forêts (même si sa présence en ville est de plus en plus signalée, souvent dans des espaces fortement végétalisés). Elle vit dans l’humus et les litières de feuilles, passant son temps à monter sur les herbes pour chasser à l’affût puis à redescendre au sol pour se réhydrater. En hiver, elle entre en diapause, cessant toute activité.
La tique Ixodes ricinus est la plus fréquente dans notre environnement (femelle : couleur orangée-écusson noir) mais Dermacentor reticulatus est également répandue (femelle : écusson marbré) © Nathalie Boulanger (via The Conversation)
Cette tique évoluant surtout dans les bois, toutes les pratiques qui conduisent à augmenter le couvert forestier favorisent sa prolifération. Or celles-ci ont quelque peu changé au cours des dernières années.
Évolution des pratiques d’exploitation forestière
Autrefois, après une coupe de bois, toutes les parties des arbres étaient exploitées : les grumes étaient utilisées pour la fabrication de meubles, le houppier fournissait du bois de chauffage ou de la matière pour la production de copeaux ou de pâte à papier. En revanche à l’heure actuelle, une quantité importante de bois est laissée au sol. Rongeurs et oiseaux peuvent s’y abriter, y nicher, tandis que les tiques y trouvent une protection adaptée (et de quoi se nourrir…). Critiquables sur un plan écologique, l’ écobuage (défrichage par brûlage) et les coupes à blanc, qui rendaient l’environnement peu propice aux tiques, ont été largement abandonnés.
La présence des scolytes sur certaines essences d’arbre a conduit à l’utilisation d’insecticides par poudrage des arbres atteints dans les années 1950 (et plus récemment par aspersion de pyréthrines), ce qui a probablement aussi impacté indirectement les tiques dans l’environnement forestier.
Les modifications des pratiques de sylviculture entraînent une accumulation de bois mort © Nathalie Boulanger (via The Conversation)
Pas ailleurs, dans notre pays, la prolifération des tiques a pu être favorisée par la modification des paysages : la forêt occupe aujourd’hui 31 % du territoire (67 % des peuplements sont constitués de feuillus). Or le développement des infrastructures routières, de l’agriculture intensive (nouvelles dimensions des exploitations agricoles) et de l’urbanisation ont conduit à une fragmentation du paysage. Dans certaines régions, les massifs forestiers sont désormais des parcelles isolées, dans lesquelles prolifère une faune favorable aux populations de tiques (et aux pathogènes associés), tels que rongeurs et chevreuils.
Rôle de la faune sauvage
Les tiques sont strictement hématophages : elles se nourrissent de sang uniquement. De beaucoup de sang : les tiques femelles ont besoin de 100 fois leur poids de sang ! Pour se le procurer, elles doivent avoir à disposition une faune variée. Leurs hôtes privilégiés sont les cervidés, notamment les chevreuils, et les suidés comme le sanglier.
Or au cours des 40 dernières années, les populations de ces deux espèces ont globalement augmenté d’un facteur 10, même s’il existe des disparités régionales. Résultat : chevreuils et sangliers sont de plus en plus souvent retrouvés dans les zones urbaines et périurbaines, où ils se nourrissent dans les jardins.
Agrainoir artisanal pour sangliers (mai 2018) © Sebleouf / Wikimedia CC BY-SA 4.0
Si la chasse des cervidés et des suidés peut participer à la régulation de leurs populations, certaines pratiques telles que l’agrainage (nourrissage artificiel du gibier) favorisent au contraire leur prolifération. En effet, si l’agrainage de dissuasion a pour objectif de maintenir les suidés au cœur des forêts, les lieux d’agrainage attirent non seulement les sangliers, mais aussi toute une faune porteuse de tiques : rongeurs, oiseaux et leurs prédateurs, blaireaux, voire des chevreuils et des cerfs.
En concentrant davantage d’animaux sur une surface restreinte, les agrainages fixes créent des espaces favorisant non seulement le développement des tiques, mais aussi celui d’autres maladies véhiculées par la faune sauvage.
Le rôle des modifications socio-économiques
Un certain nombre de transformations socio-économiques ont pu favoriser l’augmentation des populations de tique en France. Dans de nombreuses régions, la désertification rurale et l’abandon de parcelles dédiées à l’agriculture ont favorisé la plantation d’arbres (ou afforestation), le plus souvent des épicéas. Des friches se sont également développées, habitats de choix pour les petits et grands mammifères, qui sont les hôtes privilégiés des tiques Ixodes.
Feuilles mortes, bois mort… Des environnements qui peuvent favoriser la prolifération des tiques en leur fournissant, ainsi qu’à leurs proies, des abris © Analogicus / Pixabay
S’ajoute à cela le fait que certaines pratiques humaines qui altéraient l’environnement des tiques et maintenaient probablement leurs populations à bas bruit ont aussi disparu. On consomme aujourd’hui moins de gibier, on ne collecte plus le bois de houppier résiduel après les coupes forestières, les feuilles mortes ne sont plus utilisées pour la fumure des jardins…
Le changement climatique
L’impact des modifications climatiques est souvent mentionné, en particulier dans la diminution éventuelle des populations de tiques Ixodes ricinus. Cette tique a en effet besoin d’une forte hygrométrie ambiante (au moins 80 % d’humidité). Si la fréquence et l’intensité des canicules augmentent, les tiques pourraient disparaître de certaines régions. Toutefois, cet impact sur les populations d’Ixodes spp. est pour l’instant limité.
À l’inverse, les changements climatiques pourraient aussi créer des conditions favorables à la colonisation d’autres lieux par les tiques, notamment en altitude si des modifications de végétation survenaient. Elles pourraient aussi devenir actives toute l’année en cas de saison hivernale moins marquée.
Une tique en plein « repas » © francelyme.fr
Un grand nombre de ces phénomènes sont bien documentés aux États-Unis. Si le contexte européen n’est pas tout à fait identique, on peut s’attendre aux mêmes observations sur notre continent.
Mener des actions coordonnées
Compte tenu de leur large répartition dans l’environnement, il est illusoire d’espérer parvenir à éradiquer les tiques. Les raisons de l’augmentation de leurs populations étant multifactorielles, réduire la taille de ces dernières et maîtriser leur propagation passe par des actions coordonnées impliquant de nombreux acteurs : forestiers, chasseurs, agriculteurs, autorités compétentes…
En parallèle, nous devons également réfléchir à la définition d’une biodiversité favorable à la cohabitation êtres humains-tiques. En quelques années, nous sommes passés d’un extrême à l’autre en matière « d’environnement à tique ». Nous devons à présent nous demander comment végétaliser correctement notre environnement sans le rendre propice à la prolifération de ces ectoparasites.
Installer des barrières autour de son jardin permet de tenir la faune sauvage à distance, et donc les tiques qu’elle peut transporter © Randy Fath / Unsplash
Quelques mesures simples peuvent d’ores et déjà être appliquées par tout un chacun pour y parvenir : installation de barrières pour empêcher les suidés et les cervidés de s’approcher des habitations, fauchage des herbes à leurs abords (les tiques n’aiment pas la sécheresse), élimination des zones d’humidité, déparasitage des animaux domestiques…
Notre dossier « MALADIE DE LYME »
La lutte contre les tiques est de plus en plus médiatisée, mais peine encore à s’inscrire, en France, dans une réelle problématique de santé publique. En attendant que la situation s’améliore, il faudra donc continuer à procéder à un minutieux examen corporel après chaque promenade en « zones à tique »…
Cette analyse a été rédigée par Nathalie Boulanger, enseignant-chercheur en parasitologie et responsable du groupe Borrelia à l’Université de Strasbourg (UR7290), en collaboration avec Catherine Bertaux, présidente de l’association de chasse Artémi55.
L’article original a été publié sur le site de The Conversation.