La Bretagne doit-elle apprendre à « vivre avec » les algues vertes ?
POLLUTION Une manifestation est organisée samedi à Lorient pour dénoncer l’inefficacité des plans de lutte successifs
- En Bretagne, le sujet des algues vertes refait surface à chaque printemps, au moment des premiers échouages sur les plages.
- Une grande manifestation est prévue ce samedi à Lorient pour demander des plans de lutte plus efficaces et ouverts à toute la Bretagne.
- Souvent pointés du doigt, les agriculteurs assurent avoir fait des efforts pour limiter les nitrates dans les cours d’eau. Mais dans certains secteurs comme la baie de Saint-Brieuc, la situation est toujours catastrophique.
Ce matin-là, l’odeur est supportable. Le sable de la plage de la Grandville est pourtant tapissé d’un léger manteau vert, virant au blanc quand il pourrit. A mesure que nous approchons, l’odeur se fait plus prégnante. Un côté « œuf pourri » dont il faut se méfier. En plus d’être un désagrément pour les yeux et un fléau environnemental, les algues vertes peuvent être dangereuses. Leur putréfaction génère de l’hydrogène sulfuré, un gaz nocif qui a déjà tué des chevaux, des sangliers. Et sans doute plusieurs hommes.
Au loin, un gyrophare orange s’agite. Ce tracteur chargé de ramasser les algues paraît bien petit au milieu de l’immensité de la baie. Ici, à Hillion, cela fait des dizaines d’années que l’on vit avec les algues vertes. Le sujet dérange. L’un des ouvriers chargé du ramassage vient nous parler, il s’inquiète de la teneur de notre article. « On dit toujours que c’est la faute des agriculteurs, ils en ont marre. Il n’y a pas que ça », explique-t-il. Nous échangeons cordialement. A sa veste est accroché un appareil de mesure, qui enregistre la teneur en H2S. « Parfois, il sonne quand on est dans le tracteur, alors on s’écarte de la zone », explique-t-il calmement. Inquiet ? « Pas du tout ».
En 2009, Thierry Morfoisse est pourtant mort au volant de son camion en transportant des algues vertes à Binic, dans les Côtes d’Armor. Il aura fallu près de dix ans au tribunal des affaires de Sécurité sociale de Saint-Brieuc pour reconnaître qu’il s’agissait d’un accident du travail. En 2016, un joggeur est mort lors d’un footing dans l’anse du Gouessant, à Hillion, mais aucune autopsie n’avait été pratiquée. Son corps avait dû être exhumé sous la pression des associations, renforçant l’impression que la vérité soit cachée.
Ce samedi, une grande manifestation est organisée à Lorient par l’association Eau et rivières de Bretagne. Un moyen de pression alors que le thème de l’agriculture bretonne est au cœur de la timide campagne des élections régionales.
« Sur la plage, il n’y a plus de vie. Plus de palourdes, plus de vers de vase. Avant, on allait pêcher le maquereau mais on ne ramasse plus que des algues dans nos filets, alors on a arrêté. Ici, des algues vertes, il y en a partout et tout le temps ».
André Ollivro est l’une des figures de la lutte contre les algues vertes. Depuis son cabanon surplombant la plage de la Grandville, il s’agace. « Les algues sur la plage ne sont que la partie visible. Allez voir dans la mer, c’est une soupe ».
Le président de l’association Halte aux marées vertes tire sur tout le monde, s’appuyant sur les rapports accablants du Sénat et de la Cour des comptes, décrivant les deux plans de lutte comme « insuffisants ». La secrétaire de son association brandit les schémas de modélisation réalisés par Alain Menesguen, l’un des spécialistes du sujet. « Même si on descend à 5 mg de nitrates dans l’eau, on aura encore des algues dans la baie de Saint-Brieuc », déplore Annie Le Guilloux. Mobilisée depuis des années, la secrétaire de l’association a déjà entendu des maires lui dire : « Les algues vertes, il va falloir apprendre à vivre avec ». André Ollivro brandit un test d’un flacon d’eau issue de la fontaine du village. Résultat ? Une concentration en nitrates chargée à 71 mg. Bien loin du compte.
Ce fatalisme, le maire de la commune s’y refuse. Elu en 2014, Mickaël Cosson réclame des moyens financiers pour aider à la transition agricole et au ramassage. « On est capable d’envoyer des gens dans l’espace, mais on utilise un tracteur pour ramasser les algues sur une plage ? Plutôt que de voir les stocks se déverser sur nos plages, ne pourrait-on pas les ramasser en mer ? », s’interroge le maire d’Hillion.
Ce dernier se veut optimiste et défend même les agriculteurs de sa commune, dont « 22 % des terres sont passées en bio ». Au-delà des pesticides utilisés et du déversement de lisier, l’un des problèmes de la baie de Saint-Brieuc réside dans la concentration d’exploitations. Dans ce bassin-versant, on compte environ 1.400 exploitations ! « La profession a fait des progrès. Ce n’est pas énorme mais les taux de nitrate baissent. Le problème, c’est que ça ne suffit pas », regrette Yann Yobé. Eleveur de vaches converti en bio depuis 1998, l’homme siège au comité opérationnel des algues vertes. Il cite quelques exemples probants comme la couverture des sols en automne et hiver, qui évite le « lessivage des terres ». Pour lui, l’une des solutions serait que chaque exploitation soit autonome en alimentation. Pas simple dans une région où l’on importe massivement le soja brésilien et parfois du maïs venu d’Ukraine.
Cette mesure se traduirait par une baisse évidente du nombre d’animaux dans les fermes, notamment dans les porcheries et poulaillers, principaux responsables des rejets d’azote dans la nature. Cette solution est brandie comme la seule solution par les associations environnementales. « Il faut réinventer le modèle agricole mais on ne le fait pas ! On continue d’autoriser les maternités à algues vertes à s’étendre. Les porcheries ne cessent de s’étendre et on ne peut rien y faire », critique André Ollivro.
L’extension des porcheries fait rager
Depuis des années, son association conteste les projets d’agrandissement. Et critique sévèrement l’amendement déposé en 2010 par le député costarmoricain Marc Le Fur a permis d’alléger la réglementation applicable aux installations ou extensions d’élevages. « Comment peut-on accepter ça et penser qu’on lutte efficacement contre les algues vertes ? », s’agace André Ollivro. Comme Eau et rivières de Bretagne, son association plaide pour un élargissement du plan algues vertes à l’ensemble de la région, et pas seulement aux huit baies concernées par le plan. Car des nitrates, il y en a beaucoup plus dans la rade de Brest que dans la baie de Saint-Brieuc. Mais à la pointe du Finistère, les marées et courants s’occupent de les disperser.