A Gonesse, le combat « militant » des maraîchers pour préserver leurs terres
EN TÊTE A TERRE A quelques encablures du Triangle de Gonesse, où se joue un combat écologique et politique pour la préservation des rares terres agricoles restantes d’Ile de France, Marie Proix et sa famille résistent, encore et toujours, à la bétonisation
- Issue d’une lignée de maraîchers installés à Gonesse depuis plusieurs décennies, Marie Proix, 28 ans, a grandi sur des terres qui se font désormais de plus en plus rares dans la région.
- A quelques kilomètres seulement des cultures de la famille Proix, 280 hectares de terres agricoles ont été déclarées « zone à défendre » par une poignée de militants espérant sauvegarder les vestiges d’une agriculture en mal d’espace.
- Malgré de multiples expropriations et la menace permanente d'une urbanisation de plus en plus prégnante, Marie Proix n'a pas hésité à suivre les pas de son père, même si « on ne se sent pas forcément les bienvenus quand on est agriculteur ».
D’un côté, l’odeur du bitume chauffé par les passages incessants des poids lourds venus ravitailler les grands magasins du parc d’activité des Cressonnières. De l’autre, celle des arômes des fruits et légumes amoureusement cultivés par quelques maraîchers. Un peu plus loin, 280 hectares de terres agricoles déclarées « zone à défendre » par une poignée de militants espérant sauvegarder les vestiges d’une agriculture en mal d’espace. A Gonesse, petite ville de 26.000 habitants située à un peu plus de 15 kilomètres de Paris, dans le Val d’Oise, la schizophrénie semble permanente.
En quinze ans, les nombreuses et imposantes vitrines des commerces de vêtements, bricolage et autres équipements du quotidien ont remplacé les fermes de maraîchers invités, à coups d’expropriation, à se délocaliser. « Je faisais ma rentrée en 6e lorsque mes grands-parents ont été expropriés du domaine qu’ils occupaient et cultivaient », se rappelle Marie Proix. Issue d’une lignée de maraîchers installés à Gonesse depuis plusieurs décennies, la jeune femme, aujourd’hui âgée de 28 ans, a grandi sur des terres désormais occupées par les rayons surchargés de Leroy Merlin.
Cultiver la culture des terres familiales
« L’expropriation, qui était en suspens depuis presque 17 ans, est finalement arrivée au moment où ma grand-mère a décidé de s’arrêter. Donc mon père, qui travaillait à ses côtés, a dû réfléchir à faire autrement », raconte-t-elle. A l’époque, son père, Jacques, cultive du thym un peu plus loin dans Gonesse, sur les terres historiques de sa famille. Il décide alors de s’y installer pour de bon et de poursuivre la culture d’herbes aromatiques, tout en gardant un petit coin pour le potager familial.
De son côté, Marie, loin de se projeter maraîchère dans la lignée de son père, choisit de s’éloigner de Gonesse pour poursuivre ses études. Bien loin d’imaginer que, quelques années plus tard, elle retrouverait le chemin de la ferme familiale. « A la base, je ne voulais pas du tout travailler dans le milieu agricole. Je voulais vraiment partir de Gonesse et m’installer à Paris, pour travailler dans la communication. Mais après mon diplôme, et alors que j’avais signé un CDI, je me suis rendu compte que ça ne correspondait pas du tout à ce je m’étais imaginé », se souvient-elle. Alors un soir de cafard, elle appelle son père, des larmes dans la voix, et lui dit qu’elle veut tout arrêter.
« Viens, démissionne, on va relancer les légumes »
« Je savais qu’il avait envie de relancer la production de légumes qu’il avait dû arrêter après l’expropriation. Mais il approchait de l’âge de la retraite, et il n’avait pas forcément envie de céder son exploitation à des promoteurs. Alors, quand je l’ai appelé en pleurs, il m’a dit “viens, démissionne, on va relancer les légumes tous les deux”. J’ai réfléchi quelques jours, et puis j’ai dit go ! ». Depuis, rapatriés sur 1,25 hectare situé quelques kilomètres derrière le parc d’activité des Cressonnières, les légumes s’étalent avec bonheur sur un terrain en pleine conversion bio, depuis un peu plus d’un an.
« On est sur un concept de micro-ferme bio intensive. On essaye de faire du très bon, que ça soit pour la terre ou pour la santé des gens. L’idée, c’est aussi d’essayer de recréer du lien entre les producteurs, les paysans, et la population. Et à Gonesse, on est un peu pionniers, car on n’est pas nombreux à faire ça dans la région », milite Marie. Car la famille Proix continue de prêcher les bienfaits d’une agriculture respectueuse, résistant tant bien que mal à la crise. Celle de l’urbanisation intensive de la commune et de l’artificialisation systématique de ses sols, mais aussi celle de la montée du chômage et de la pauvreté dans les foyers alentours. « Ici, le bio peut faire peur et freiner les gens, car c’est plus cher. Mais on essaie de les habituer au juste prix, celui qui représente la valeur de notre travail », explique-t-elle. Une tactique qui, la jeune femme l’espère, permettra de recentrer le débat sur l’importance de la qualité des produits consommés, et sensibiliser les Gonessiens et Gonessiennes au savoir-faire paysan.
De la crise écologique au combat politique
« Quand on est maraîcher, on est forcément militant. Profondément même. Et d’autant plus lorsqu’on est à Gonesse, où on ne se sent pas forcément les bienvenus quand on est agriculteur », assure Marie. Et pour cause : en raison de la rareté des terres agricoles, et, de fait, de celles des maraîchers, seulement 1 à 2 % de la consommation de produits frais en Ile-de-France est assurée en local.
Alors, chaque parcelle est une pépite que tout le monde s’arrache. En témoigne le combat qui se joue toujours dans le triangle agricole attenant à la commune. Malgré l’abandon du projet de mégacomplexe baptisé Europa City, les 280 hectares de terres agricoles restent très convoités par son détenteur, Grand Paris Aménagement, qui poursuit aujourd’hui le projet de construire une gare assortie d’un quartier d’affaires. Au détriment des agriculteurs qui, eux, continuent malgré tout de cultiver ce terrain fertile très loin d’être en friche, mais stratégiquement situé entre les aéroports de Roissy-Charles-de-Gaulle et du Bourget.
« Mon père, il s’est senti hyper marginalisé pendant longtemps parce qu’il avait un mode de vie qui ne collait pas du tout avec l’évolution de notre société. Et de voir Gonesse comme ça, aujourd’hui, je pense que ça le rend un peu triste », conclut Marie.