Réguler la pub, le bon levier pour contrer l’essor des SUV en France ?

ECOLOGIE Faut-il interdire la promotion des produits les plus émetteurs de gaz à effet de serre ? C’est l’un des débats ouverts par le projet de loi « Climat et résilience », en cours d’examen au Parlement. Avec, en ligne de mire, les SUV, de plus en plus présents dans les publicités

Fabrice Pouliquen
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La marque Citroën présente l'un de ses modèles SUV à Paris, le 12 juin 2017.
La marque Citroën présente l'un de ses modèles SUV à Paris, le 12 juin 2017. — ROMUALD MEIGNEUX/SIPA
  • Sur les 4,3 milliards d’euros dépensés dans la publicité par la filière automobile en France en 2019, 1,8 milliard l’était pour les SUV, pointe ce mercredi le WWF dans un rapport sur la part croissante qu’occupent ces modèles sur le marché publicitaire.
  • Au point de songer à interdire la promotion des véhicules les plus lourds, souvent plus émetteurs de CO2, et à favoriser celle des véhicules plus légers et plus sobres ? C’est l’un des débats ouverts par le projet de loi « Climat et résilience ».
  • Pour l’instant, l’interdiction de la publicité est limitée aux énergies fossiles. En parallèle, le gouvernement mise sur les engagements volontaires des acteurs de la communication pour aller vers des publicités plus vertueuses. Mais le WWF demande d’aller plus loin.

Dix-huit pages de presse quotidienne, 3h50 de publicités par jour… La SUV-isation de la société ne transparaît pas seulement sur le macadam. Elle se joue aussi sur le marché publicitaire. C’est du moins ce qu’entend montrer le  WWF France dans un rapport publié ce mercredi.

L’ONG s’est penchée sur les 62 modèles commercialisés par les onze marques automobiles ayant vendu le plus de véhicules particuliers en France en 2019. Pour chacun de ces modèles – parmi lesquels 23 SUV –, elle a ensuite regardé les investissements publicitaires consentis en 2018 et 2019, en s’appuyant sur les données du cabinet spécialisé Kantar.

Des SUV qui écrasent le marché publicitaire

Résultat ? En 2019, sur les 4,3 milliards d’euros de pub dépensés en France par ces marques, 1,8 milliard était consacré à promouvoir les SUV, note WWF France. Soit 42 % du total. C’était 40 % en 2018. A l’inverse, en 2018 et 2019, les citadines ont respectivement bénéficié de 25 % et 30 % du total des investissements publicitaires et de communication.

En octobre dernier déjà, l’ONG avait consacré un premier rapport sur les conséquences du boom dans l’Hexagone de ces « Sport utility vehicules », dont la part dans l’achat de véhicules neufs est passée de 5 à 38 % entre 2008 et 2019 en France.

En particulier sur les conséquences climatiques. Les SUV, croisements entre 4x4 et berlines, sont plus lourds et moins aérodynamiques que leurs équivalents standards. Et, bien souvent, plus émetteurs de CO2. De l’ordre de 20 %, estimait WWF France. « Ils ont constitué ces dix dernières années la deuxième source de croissance des émissions de CO2 françaises, derrière le secteur aérien », rappelle Pierre Cannet, directeur du plaidoyer et des campagnes de l’ONG.

« Actionner tous les leviers pour contrer l’essor des SUV »

Pour contrer cet essor des SUV, le gouvernement instaurera, à partir de 2022, une taxe à l’achat sur les voitures de plus de 1,8 tonne. Ce malus ne concernera toutefois que 3 % des nouvelles immatriculations chaque année en France, fustigent les ONG. « Son instauration reste tout de même une première en France et contribue à donner une direction à la filière automobile vers des véhicules moins émetteurs », tempère Pierre Cannet. Le  plan de soutien à la filière automobile dévoilé en mai dernier, en marge du plan de relance, allait aussi dans ce sens. « Mais tous les instruments de régulation doivent être utilisés pour freiner l’essor des SUV, reprend le directeur du plaidoyer du WWF France. Y compris une régulation de la publicité sur les automobiles. »


Ce levier est loin d’être anecdotique pour le WWF. Par son effet d’entraînement sur la demande, la publicité contribue au dynamisme de la consommation. En France, un euro investi en publicité génère en moyenne 7,85 euros de richesse, évaluait ainsi en janvier 2017 le  cabinet Deloitte. « La publicité est aussi un bon indicateur de ce que pourrait être le marché de demain, du moins ce vers quoi les constructeurs voudraient amener les consommateurs », reprend Pierre Cannet.

Dans son rapport final remis à Emmanuel Macron en juin dernier, la Convention citoyenne pour le climat faisait de la régulation de la publicité l’un  « des principaux leviers à actionner pour faire évoluer les comportements du consommateur de manière durable ». Elle allait jusqu’à proposer une « loi Evin sur le climat » , qui interdirait la publicité des produits les plus émetteurs de gaz à effet de serre, tout en favorisant la promotion des comportements et produits les plus vertueux.

Un projet de loi qui s’en remet aux engagements volontaires

Cette proposition a été édulcorée dans le projet de loi « Climat et résilience ». L’interdiction de la publicité ne concerne plus que les énergies fossiles. Le texte « prévoit aussi la création de codes de bonne conduite permettant aux secteurs des médias et de la communication de prendre des engagements pour des publicités plus vertueuses sur le plan du climat et de l’environnement », défendait mardi matin Barbara Pompili, la ministre de la Transition écologique.

En février, le gouvernement a lancé une mission pour favoriser l’éclosion de ces engagements, et dit déjà constater la formalisation de premières annonces prometteuses. Celles notamment de la filière automobile française d’investir de façon croissante en faveur de la promotion des véhicules électriques et hybrides. Dès 2021, elle consacrera 50 % de ses investissements publicitaires à la promotion de ces véhicules, 60 % en 2022 et 70 % en 2023.

Faut-il y croire ? Mardi, Barbara Pompili elle-même notait un décalage entre les grands principes établis dans la recommandation « développement durable » de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) -entrée en vigueur en août – et les publicités auxquelles nous sommes encore exposées. Pour éviter le « greenwashing », la ministre promet cette fois une évaluation et un suivi dans le temps de ces engagements volontaires.

Ne pas tomber dans le piège des SUV hybrides ?

Pour le député Matthieu Orphelin, co-président du groupe Ecologie, démocratie, solidarité (EDS), ça commence mal si on regarde de près les premières annonces de la filière automobile. « On se contente de dire qu’on va promouvoir les modèles électriques ou hybrides, mais sans jamais parler de la taille ou du poids des véhicules », pointe-t-il. Pierre Cannet invite également à ne pas tomber dans ce piège. « Si la réponse de la filière automobile est de faire plus de publicités sur les hybrides et les électriques tout en continuant à faire grossir les modèles et à faire des SUV la norme, la France ratera ses engagements climatiques », insiste-t-il.

Le WWF attend alors du projet de loi « Climat et résilience » qu’il envoie une direction plus claire et plus forte à la filière auto. L’ONG demande ainsi « d’interdire, sur tous les supports, les publicités pour les véhicules les plus lourds, pesant plus de 1,8 tonne, y compris ceux électriques », et « ceux aussi les plus émetteurs, dépassant les 95gCO2 par km ». « En parallèle, on pourrait imaginer un mécanisme qui permettrait de moduler le prix de la publicité selon le poids et le niveau d’émissions de CO2 des véhicules, de sorte que plus une voiture pèse lourd et/ou émet de CO2 et plus le constructeur paierait cher pour en faire la promotion », indique Pierre Cannet. Il reste au WWF à se faire entendre par les députés, qui examineront en séance plénière ce projet de loi « Climat et résilience » à partir de lundi.