Transport maritime : Des voiliers-cargos pour donner un nouveau souffle au fret à voile

COMMERCE Grain de Sail, premier voilier-cargo moderne, vient d’achever à Nantes sa première boucle transatlantique, les cales chargées de 33 tonnes de cacao. Une goutte d’eau par rapport à ce que transportent les porte-conteneurs, mais en passe de grandir ?

Fabrice Pouliquen
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Goulwen Joss, skipper de Grain de Sail, à son arrivée à Nantes le 17 février 2021.
Goulwen Joss, skipper de Grain de Sail, à son arrivée à Nantes le 17 février 2021. — AFP
  • Depuis plusieurs années, une poignée d’acteurs tentent de faire renaître le transport de marchandises par bateaux à voile, prenant le contre-pied des porte-conteneurs, ces géants des mers qui carburent principalement au fioul lourd.
  • Jusque-là, ce fret à voile mettait surtout à contribution des vieux gréements. On passe désormais à une nouvelle étape, avec l’arrivée des premiers voiliers-cargo modernes, conçus avec les technologies actuelles pour optimiser ce transport de marchandise.
  • Ça commence tout petit, avec la goélette Grain de Sail. Mais les projets foisonnent, notamment avec la Towt et Neoline qui cherchent à piquer des clients aux porte-conteneurs classiques.

Un petit pas de voilier mais un grand pas pour le transport de marchandise à voile ? Le 17 février, la goélette Grain de Sail a achevé à Nantes sa première boucle transatlantique, commencée trois mois plus tôt à Saint-Malo. Le navire était parti avec, dans ses cales, 15.000 bouteilles de vins écoulées chez des cavistes de New York.

Puis il a rejoint la République dominicaine pour y charger 33 tonnes de cacao à ramener sur nos côtes avant de les acheminer par la route jusqu’à  Morlaix (Finistère), où Grain Sail a sa chocolaterie et les transformera en tablettes.



Le premier voilier-cargo moderne

Cette première expédition marchande à voile, l’entreprise bretonne en rêvait depuis longtemps. « Dès 2013, nous avons commencé à vendre des produits [café, chocolat…] à partir de matières premières que nous faisions venir à bord de porte-conteneurs classiques mais avec, déjà, l’idée de mettre des fonds de côté pour construire notre voilier-cargo », raconte Stefan Gallard, directeur marketing de Grain de Sail.

Certes, avec ses 24 mètres de long et sa capacité de chargement de 50 tonnes, la goélette ne paie pas de mine face aux porte-conteneurs actuels, dont les plus gros font 400 mètres et embarquent plus de 20.000 conteneurs. Mais Grain de Sail a ceci de notable « qu’il est le premier voilier-cargo moderne », lance Stefan Gallard. 

L’enjeu n’est pas anodin. 90 % des marchandises transportées dans le monde empruntent la voie maritime, l’immense majorité sur des porte-conteneurs qui carburent au fioul lourd, énergie fort émettrice de gaz à effet de serre. Le secteur représente ainsi 2 à 3 % des émissions mondiales et l’OMI (Organisation maritime mondiale) s’est engagé  à les réduire de moitié d’ici 2050.

Déjà une première étape de validée avec des vieux-gréements

Dans ce contexte, le fret à voile a une carte à jouer. Des entrepreneurs travaillent en tout cas à le faire renaître. En France, c’est le cas de la Towt (Transoceanique Wind Transport). Depuis 2011, cette compagnie maritime affrète de vieux gréements pour leur faire traverser l'océan Atlantique ou relier les ports d’Europe, les cales remplies de marchandises. Du rhum de Marie-Galante, du café et du cacao d’Amérique centrale, du thé vert des Açores, de la bière de Cornouailles… A la différence de Grain de Sail, la Towt ne transporte pas ces denrées pour elle-même mais pour le compte de marques et distributeurs prêts à payer un peu plus cher le convoyage de leurs marchandises mais dont ils peuvent valoriser la démarche auprès de leurs clients avec le label Anemos.

« En dix ans, nous avons lancé une quarantaine d’expéditions et transporté 1.000 tonnes de marchandises, comptabilise Grégoire Théry, responsable développement de la Towt. Nous avons ainsi montré que le fret à voile pouvait être économiquement viable – la Towt a réalisé 200.000 euros de chiffre d’affaires en 2019 – et que cela intéressait un nombre croissant de marques et distributeurs. »

L’arrivée d’une nouvelle génération de grands voiliers cargo est à voir comme l’étape suivante. Si Grain de Sail prévoit d’ores et déjà la construction d’un second navire, cette fois-ci d’une capacité de transport de 300 tonnes, son modèle reste atypique. Ses embarcations restent de petits gabarits et prennent leur temps en mer : trois mois pour la traversée aller-retour de l’Atlantique. Pas de quoi donc rivaliser avec les porte-conteneurs, mais Grain de Sail s’en moque. « Nous ne transportons que pour nous-mêmes si bien que nos navires sont adaptés à nos besoins, pas plus », rappelle Stefan Gallard.

D’autres voiliers-cargos dans les cartons

D’autres acteurs français ont des projets de voiliers-cargos avec l’idée, cette fois-ci, de grappiller des clients aux porte-conteneurs classiques. La Towt veut ainsi passer commande, d’ici cet été, de quatre voiliers-cargo de 78 mètres de long et capables d’embarquer 1.100 tonnes de marchandises. « Le premier est attendu pour fin 2022 et les autres suivre à un rythme d’un par an, indique Grégoire Théry. Dès 2025, nous prévoyons de transporter 72.000 tonnes de marchandises par an. » Plus seulement des denrées alimentaires et des boissons, mais aussi du textile, des produits cosmétiques et de luxe… Toujours des deux côtés de l’Atlantique mais aussi vers l’Afrique (Abidjan et Djibouti) ou le Brésil.

La Towt prévoit d'avoir une flotte de quatre voilier-cargo comme celui-ci d'ici 2025.
La Towt prévoit d'avoir une flotte de quatre voilier-cargo comme celui-ci d'ici 2025. - /Image de synthèse Towt

Dans un autre genre encore, il y a Neoline. Fondé en 2015, l’armateur nantais veut mettre en service, fin 2023, un voilier-cargo de 136 mètres et 24 mètres de large. Assez pour embarquer 280 conteneurs mais aussi et surtout des marchandises « hors normes », sur lesquelles Neoline veut se spécialiser.

Le navire – un roulier – partira de Saint-Nazaire pour rejoindre  Saint-Pierre-et-Miquelon, Halifax (Canada) puis Baltimore (Etats-Unis) avant d’amorcer le retour. Si la construction n’a pas démarré, Neoline a déjà conclu plusieurs accords avec des entreprises s’engageant à utiliser son navire. C’est le cas de Renault, du groupe Manitou (chariots et nacelles) ou  Benneteau (bateaux de plaisance) pour les produits hors gabarit, mais aussi JAS Hennesy & Co (cognac) et  Michelin pour le transport par conteneurs. « Sur le trajet aller, les cales sont déjà quasi pleines », indique Bénédicte Enaux, chargée de communication à Neoline. L’armateur prévoit déjà d’ajouter un deuxième voilier-cargo sur la ligne. Et Florent Violain, président de l’association française Wind Ship, qui fédère les acteurs qui promeuvent la propulsion vélique (utilisant le vent) dans le transport maritime, attire aussi l'attention sur le projet de voilier-cargo tout juste dévoilé de la compagnie maritime scandinave Wallenius Wilhelmsein. L'Orcelle Wind est annoncé pour 2025 et sera lui aussi spécialisé dans le transport de véhicules. Il pourra embarquer jusqu'à 7.000 tonnes.

Neoline veut mettre à l'eau, d'ici fin 2023, un cargo-voilier, plus précisément un roulier, ces navires spécialisées dans le transport de véhicules.
Neoline veut mettre à l'eau, d'ici fin 2023, un cargo-voilier, plus précisément un roulier, ces navires spécialisées dans le transport de véhicules. - / Image de synthèse Neoline

Des atouts à faire valoir par rapport aux porte-conteneurs?

Un signe, là encore, d’un intérêt croissant pour le fret à voile ? Pour Grégoire Théry comme Bénédicte Enaux, les entreprises qui s’y intéressent ne cherchent pas seulement à améliorer l'image de leur marque. Pour certaines marchandises, le fret à voile devient aussi de plus en plus attractif économiquement. « Et plus encore avec cette nouvelle génération de voilier-cargo, précise le responsable développement de la Towt. Ils iront presque aussi vite que les porte-conteneurs [14 jours pour un Le Havre-New York, prévoit la Towt] et leur capacité d’embarquement permettra de réduire les coûts de transport. De quelques euros le kilo de marchandise sur un vieux gréement à quelques centimes demain. »

Sur ces deux critères, les voiliers-cargos se rapprochent donc de ce que proposent les porte-conteneurs classiques. Ils ont aussi leurs atouts. Celui du vent, déjà, dont le cours fluctue beaucoup moins que celui du fioul lourd. Celui de leur taille, aussi, qui reste petite par rapport aux porte-conteneurs et leur permet de partir d’un plus grand nombre de ports que ces derniers. Pas négligeable. Bénédicte Eneaux prend l’exemple de Benneteau, groupe vendéen, « dont les bateaux destinés au marché américain doivent actuellement être chargés à Rotterdam ». Pas simple par la route. Demain, avec Neoline, ils partiront de Saint-Nazaire.

La marine marchande de plus en plus séduite par la propulsion vélique ?

Grain de Sail, la Towt, Neoline…. Si ces entreprises planchent actuellement sur des navires marchands carburant principalement au vent, ce n’est toutefois qu’une partie des armateurs et des développeurs de technologies que l’association Wind Ship fédère. « En parallèle, d’autres acteurs travaillent aussi à encourager le développement de la propulsion vélique dans le transport maritime de marchandise, rappelle Florent Violain, président de l’association. Au moins comme mode de propulsion complémentaire qui va permettre au bateau d’avoir moins recours au principal qui peut être le fioul lourd ou le gaz naturel liquéfié, qui reste une énergie fossile. »

C’est toute l’idée alors des Français Jifmar et Zephir & Borée, tandem qui a remporté l’appel d’offres d’Ariane Group pour convoyer les pièces de la future fusée Ariane 6 d’Europe à Kourou. Et ce sera à bord de Canopée, leur cargo hybride dotée de quatre ailes verticales articulées qui lui permettront de consommer en moyenne 30 % de carburant de moins qu’un navire conventionnel. Voire 45 % dans des conditions optimales.