TRAVAILLe télétravail bon pour l’environnement… mais pas sans effets collatéraux

Le télétravail bon pour l’environnement… mais pas sans effets collatéraux

TRAVAILPuisqu’il supprime des trajets domicile-travail, on a tendance à penser que le télétravail est bénéfique à l’environnement. A condition toutefois de bien maîtriser les effets rebonds
Fabrice Pouliquen

Fabrice Pouliquen

L'essentiel

  • Côté « vie de bureau », l’année 2020 sera incontestablement marquée par l’essor du télétravail en France, qui est encore plus utilisé à mesure que l’épidémie de Covid-19 reprend de la vigueur.
  • De quoi faire baisser sensiblement nos émissions de gaz à effet de serre ? C’est sur cette question que s’est penchée l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie dans une étude.
  • Nouvelles mobilités, déménagements, visioconférences, réorganisation des bureaux… Les effets rebonds du télétravail sont nombreux et pas si simples à caractériser. Certains bons pour l’environnement, d’autres non.

Un quart des salariés sur site fin mars, 50 % fin mai et un salarié sur dix en télétravail fin juillet, selon les données du ministère du Travail. Mais voilà que l’épidémie de Covid-19 repart de plus belle en France ces dernières semaines, au point que plusieurs de nos métropoles en zone d’alerte maximale. Et que le télétravail redevienne la norme dans bon nombre d’entreprises…

Ce boom du télétravail en cette année si particulière se fera-t-il sentir dans le bilan annuel des émissions de CO2 françaises qu’établit chaque fin d’année le Global Carbon Project ? Encore faut-il bien appréhender le bénéfice environnemental de cette nouvelle organisation du travail.

Ne pas s’arrêter à la suppression du trajet domicile-travail

Une réponse courte consisterait à prendre l’impact environnemental d’un trajet aller-retour entre le domicile et le bureau et à le soustraire au bilan de nos émissions annuelles. C’est ce qu’on appelle l’effet direct modal du télétravail. L’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) l’évalue, en moyenne, à 271 kg eqCO2 économisés sur une année par jour de télétravail. Fin de la discussion ? Loin de là. Evaluer les bénéfices environnementaux du télétravail est bien plus complexe tant il bouscule nos habitudes et s’accompagne d’effets rebonds.

Première ambiguïté à lever : une journée de télétravail n’est pas forcément synonyme de zéro mobilité. Ne serait-ce parce qu’il ne se fait pas forcément à la maison, mais dans un tiers-lieu qu’il faut parfois rejoindre en voiture. Dans une enquête parue le 22 septembre* et qui a cherché à caractériser précisément ces effets rebonds, l’Ademe note aussi que « le trajet domicile-bureau est souvent marqué par plusieurs arrêts ou étapes, que ce soit à l’aller ou retour ». Typiquement le détour par l’école pour y déposer ou venir chercher ses enfants.

De nouvelles mobilités en télétravail

Ces trajets peuvent être maintenus lors de la journée de télétravail, on passe simplement d’une mobilité traditionnellement à la chaîne -sur le chemin du travail- à une mobilité en étoile, autour du domicile du télétravailleur. Surtout, le télétravail peut offrir de nouvelles possibilités de déplacements. Micro-shopping, nouvelles activités associatives, sportives ou familiales, transport d’un proche etc.

De quoi ternir les bénéfices environnementaux du télétravail ? Pas si simple de trancher. D’une part, certaines de ces nouvelles mobilités réalisées en semaine l’étaient auparavant le week-end et sont juste soustraites à celui-ci, observer l’Ademe. Par ailleurs, « dans une première enquête de terrain publiée en juillet [auprès de 3.990 personnes], les télétravailleurs et primo-télétravailleurs** en zone urbaine avaient tendance à vouloir profiter de la journée de télétravail pour ne pas prendre de transport/voiture, mais à privilégier les modes actifs (à pied, en vélo…) et à relocaliser leur quotidien autour de leur quartier, en sollicitant les commerces de proximité », ajoute Jérémie Almosni, chef du service transport et mobilité de l’Ademe. En revanche, en zones périurbaines, moins bien desservies par les transports, l’effet peut être plus contrasté. La complexité des trajets accroît statistiquement la probabilité de recours à la voiture, pointe l’Ademe.

On peut pousser un peu plus loin encore le raisonnement, en se disant que le télétravail rend soutenable des distances domicile-travail plus grandes puisqu’elles ne sont plus subies tous les jours. Cette relocalisation de nos domiciles est « un vrai sujet, glisse Jérémie Almosni. 50 % des primo-télétravailleurs que nous avions sondés en juillet exprimaient le souhait et disaient être en capacité de s’éloigner de leur lieu de travail pour gagner en confort de vie. » Résultat : des trajets domicile-travail peut-être moins fréquents, mais plus longs. Ou encore des installations en zones périurbaines ou rurales, ce qui peut se traduire par un recours accru à la voiture.

Un effet visioconférence aussi ?

Les effets rebonds ne sont pas tous liés à nos mobilités. Le développement massif de la visioconférence pendant le confinement et qui devrait perdurer dans les années à venir*** en est un autre. Pas neutre pour l’environnement. " Ces visioconférences impliquent des consommations d’énergies liées au transfert de données, à la sollicitation des serveurs, au fonctionnement de nos appareils, explique Thierry Leboucq, président de Greenspector, qui aide les entreprises à réduire l’impact carbone de leurs logiciels. Et ces consommations d’énergie multipliées par trois lorsque la visioconférence se fait avec partage de vidéo."

En reprenant les calculs de Greenspector -qui a estimé à 1g eqCO2 le coût environnemental d'une minue de visioconférence-, l’Ademe évalue cet effet visio-conférence à 2,6 kg eqCO2 par an et par jour de télétravail. « Mais c’est un point que nous devons approfondir par de nouvelles études l’an prochain, précise Jérémie Almosni. Cette estimation ne prend pas en compte par exemple le suréquipement des foyers que peut induire le télétravail. Or s’il tend à l’avenir à s’intensifier, on peut supposer que le salarié investira dans du matériel de confort. Une chaise, un écran supplémentaire etc. » Pas un détail. Dans sa note La face cachée du numérique, rééditée en novembre dernier, l’Ademe estimait que 45 % des gaz à effet de serre générés par nos activités numériques sont liés à la fabrication de nos équipements informatiques.

Le flex office, gros plus pour l’environnement ?

La hausse des consommations énergétiques au domicile (chauffage, électricité..) est aussi à prendre en compte, si on poursuit sur les effets rebonds « défavorables ». Mais il est à contrebalancer avec la réorganisation des espaces de travail que permet le télétravail. On parle ici, principalement, du bureau à la demande – ou flex office-, système dans lequel le salarié n’a plus de bureau attitré mais s’installe chaque matin là où il y a de la place. L’intérêt du flex office est d’optimiser les surfaces de bureau. « Et s’il y a un accroissement des jours télétravaillés, cela peut même conduire les entreprises à diminuer leur foncier, complète Jérémie Almosni. Elles réduisent ainsi les consommations énergétiques associées, mais ces surfaces plus petites permettent aussi d’éviter des émissions de gaz à effet de serre liées à la construction ou à la fabrication d’équipements. »

Ces réorganisations des espaces de travail ne se font pas du jour au lendemain, ne serait-ce parce qu’elles sont liées en partie aux baux de location. « Mais cet effet à long terme du télétravail est tout de même à prendre en compte, parce qu’il peut avoir un effet très significatif sur les bénéfices environnementaux du télétravail », pointe Jérémie Almosini. Sur les vingt-six organisations – représentant 350.000 salariés- interrogées par l’Ademe dans son enquête de septembre, 27 % étaient déjà passés en flex office et 39 % disaient y réfléchir.

Au global, une balance positive

Au total, l’ensemble des effets rebonds négatifs identifiés par l’Ademe pourraient réduire en moyenne de 31 % les bénéfices environnementaux du télétravail. Mais en ajoutant les effets positifs induits – en particulier ceux générés par le flex office-, la balance environnementale du télétravail reste largement positive, conclut l’Ademe.

L’Agence entend mettre à profit l’année 2021 pour analyser plus profondément ces effets rebonds. En attendant, elle émet déjà quelques recommandations pour éviter les effets rebonds négatifs. Comme celle de « décourager la pratique du télétravail par journée incomplète », d’« encourager le flex office organisé, sous réserve de maîtriser ses potentiels impacts sociaux », ou encore de « promouvoir les mobilités actives ou les transports pour éviter le recours à la voiture les jours de télétravail »… Thierry Leboucq en ajoute une autre encore : « celle de ne faire des visioconférences que lorsqu’elles sont nécessaire, lance-t-il. Quand on est que deux, un simple coup de fil suffit. »

*Cette étude s’est appuyée sur une revue biographique internationale et nationale sur le télétravail, mais aussi des entretiens menés auprès de 26 organisations représentant 350.000 salariés en France, et des focus groups au cours desquels 25 salariés de tous niveaux d’ancienneté vis-à-vis des pratiques de télétravail ont été interrogés. Enfin, l’analyse de 59 accords de télétravail de différentes organisations complète l’étude.

**Qui ont expérimenté pour la première fois le télétravail lors du confinement.

** Le cabinet d’étude Gartner prévoit que, d’ici 2024, les réunions en présentiel ne représenteront que 25 % des réunions d’entreprise, contre 60 % avant la pandémie.