Zéro déchet : La consigne dans la restauration à emporter, une idée qui ne demande qu’à grandir

EMBALLAGE Plutôt que la poubelle, des restaurants et traiteurs proposent à leurs clients de rapporter les boites une fois le repas terminé. Elles sont lavées et remises dans le circuit par des startup qui se lancent sur ce marché. Comme Reconcil à Paris

Fabrice Pouliquen
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Au Petit Lux, boulangerie-traiteur du 14e arrondissement, les boîtes consignées ont été bien adoptées par les clients.
Au Petit Lux, boulangerie-traiteur du 14e arrondissement, les boîtes consignées ont été bien adoptées par les clients. — F.Pouliquen/20 Minutes
  • L’idée est simple : payer, une fois, deux euros plus cher le plat à emporter que l’on va chercher dans le restaurant de son quartier. On rince la boîte et on la rapporte, soit pour l’échanger contre un nouveau repas, soit pour récupérer ses deux euros
  • Des restaurants, des boulangeries-traiteurs et autres commerces spécialisés dans les repas à emporter se laissent peu à peu convaincre par ce système de contenants consignés et réutilisables, plutôt que les barquettes à jeter à la poubelle
  • Derrière, des entreprises se créent pour laver et mettre à disposition ces boites auprès des restaurants. Comme Reconcil à Paris qui, après les restaurants, vise désormais de plus gros acteurs comme ceux de la cuisine digitale

De la pluie et un petit vent frisquet… Au Petit Lux, on vous dira que la météo prévue toute cette semaine dans la capitale est propice « à prendre un plat chaud le midi ». Et par là même de faire un petit geste pour la planète. Dans cette boulangerie-traiteur du 6e arrondissement, prisée des étudiants et travailleurs du quartier, tous les plats chauds – du « foie de veau-purée-maison » au « Saucisse de Toulouse-lentilles » – sont logés à la même enseigne et servis dans un contenant en plastique en polypropylène épais coiffé d’un couvercle bleu.

Autrement dit du solide qu’il serait bien dommage de jeter à la poubelle une fois le repas fini. D’une part, parce qu’il se lave très bien. D’autre part, parce qu’il vous en coûtera deux euros. « C’est le montant de la consigne, explique Corinne Carnet, la gérante. Le client la paie une fois, repart avec son repas, mange, rince la boîte et la rapporte un prochain midi. En échange, il récupère ses deux euros s’il ne reprend pas un plat chaud, soit une nouvelle boite, le cas contraire. »

« On pourrait laver jusqu’à 15.000 boîtes par jour »

Les boîtes à laver ne restent pas longtemps au Petit Lux. Deux fois par semaine, Reconcil, à qui elles appartiennent, passe les récupérer. La tournée ne passe pas que par le Petit Lux, mais par la vingtaine d’autres restaurants de Paris où l’entreprise de Sofiane Hassaïne-Teston met à disposition ses contenants.

Direction ensuite rue d’Aubervilliers, tout au nord de la capitale. C’est là que Sofiane Hassaïne-Teston a installé les bureaux de Reconcil, en grande partie occupés par un tunnel de lavage, une sorte de lave-vaisselle géant. « Les boîtes y sont prélavées, puis lavées à 64°C et rincées à plus forte température encore (85°C), ce qui ne laisse aucune chance à de quelconque bactérie », raconte l’entrepreneur. Le tout en trente secondes chrono. » Sofiane Hassaïne-Teston et, son associé, ont fait le calcul : « on pourrait laver jusqu’à 15.000 boîtes par jour, disent-ils. Et chaque contenant peut être lavé et réutilisé trente à quarante fois avant d’être retiré du circuit. »

C’est le cœur de la démarche de Reconcil : « proposer à des restaurants de sortir des emballages jetables pour préférer la logique réemploi », « de la même façon qu’on ne déchire pas ses vêtements en rentrant chez soi le soir ou qu’on ne casse pas non plus son assiette et son verre une fois le repas fini, illustre Sofiane Hassaïne-Teston.

Sofiane Hassaïne-Teston au premier plan, fondateur de Reconcil, entouré de Nicolas Djamdjian, son associé (à droite) et de Micha Mendy, premier employé de l 'entreprise.
Sofiane Hassaïne-Teston au premier plan, fondateur de Reconcil, entouré de Nicolas Djamdjian, son associé (à droite) et de Micha Mendy, premier employé de l 'entreprise. - F.Pouliquen/20 Minutes

160 millions de repas livrés en 2018

L’enjeu est de taille. La livraison de plats en France est en plein essor avec 160 millions de repas livrés en 2018 et un marché en croissance de 20 % en 2018, selon les chiffres du cabinet d’études The NPD Group. Forcément, derrière, il y a des déchets d’emballages. Le ministère de la Transition écologique avance le chiffre de 180.000 tonnes par an pour le secteur de la restauration rapide. « Ces emballages ne sont pas tous recyclables ou, quand ils le sont, ne sont pas toujours déposés dans la bonne poubelle pour être effectivement recyclés », glisse Alice Abbat, chargée de mission consigne à Zero Waste France, association qui œuvre pour l’avènement d’une société zéro déchet et zéro gaspillage. « Et même lorsqu’ils sont effectivement recyclés, c’est pour un tout autre usage, reprend-elle. On n’est donc pas dans l’optique de créer des boîtes conçues pour durer, être lavées et remises plusieurs fois dans le circuit. »

Rien de mieux donc, pour Zéro Waste, que le réemploi et les systèmes de contenants consignés et réutilisables que cherche à faire adopter Reconcil. Pas que Reconcil, précise d’ailleurs Alice Abbat. « Noww (No Waste in the world), Milubo, La Consigne Greengo ont une démarche similaire en Ile-de-France. Et il faut ajouter encore « En boîte le plat » à Toulouse, « Ramène ton plat » à Lille, « Boxeaty » à Bordeaux, « LoopEat » à Montpellier, « Dabba » à Grenoble. »

Une dynamique à relancer après le confinement

Ça ne reste encore que des gouttes d’eau sur l’ensemble des repas pris à emporter ou livrer en France. Sofiane Hassaïne-Teston le dit sans détour : son tunnel de lavage ne marche pas à plein régime. « Le meilleur mois a été février avec 4.000 boîtes louées sur les différents restaurants de notre réseau », glisse-t-il. Le confinement a stoppé net la dynamique qui ne reprend que petit à petit ces dernières semaines. « Les gens sont encore beaucoup en télétravail », souffle l’entrepreneur.

Au Petit Lux, les boîtes consignées ont ainsi fait leur retour en vitrine mi-septembre. Corinne Carnet garde tout de même, en réserve, un lot de barquettes jetables pour les gens de passage. « Ou, plus rare, des clients réfractaires, souvent d’ailleurs parce qu’ils ne pensent pas être suffisamment disciplinés pour penser à ramener la boîte, confie la commerçante. Nous avions sondé nos clients en janvier dernier, avant de faire appel à Reconcil, pour avoir leurs avis sur les boîtes consignées. Nous avions récolté 90 % de oui. Cela nous a même ramené de nouveaux clients, sensibles à la démarche zéro déchet. » Un constat que dresse aussi Gloria Avila, dont « La Cantina de Gloria », petit traiteur récemment ouvert dans le 11e et qui a très vite adopté les boîtes consignées de Reconcil. C’est très bien accepté dans le quartier, en particulier des jeunes, dont certains avaient déjà pris l'habitude de venir avec leurs propres contenants. Et puis, c’est une façon de se démarquer, d’engager la conversation avec les clients… »

Toucher aussi de plus gros acteurs

Il reste encore à Sofiane Hassaïne-Teston à étoffer son réseau de restaurateurs. « L’idée serait d’arriver à 100 d’ici à six mois, annonce-t-il. Pour se faire, l’entrepreneur n’entend pas seulement frapper à la porte des restaurants et petits commerces de bouche de la capitale. Il vise aussi plus gros avec les acteurs de la cuisine digitale, spécialisée dans la livraison des plats cuisinés à domicile ou au travail. Les Frichti, Foodcheri, Nestor…

Le contexte s’y prête en tout cas. Début juillet, Brune Poirson, à l’époque Secrétaire d’État à la transition écologique, avait réuni ces grandes plateformes de restauration à emporter pour leur demander comment ils comptent parvenir au zéro déchet. A Frichti, on assure s’être emparé du sujet bien avant la réunion, « notamment en instaurant une nouvelle gamme de packaging plus responsable il y a un an et demi, précise Julia Bijaoui, la cofondatrice. Les contenants recevant les repas sont désormais en kraft ou en bagasse [chute de canne à sucre], à chaque fois biodégradables. »

En février, Frichti s’est aussi lancé dans la restauration collective avec Cantine 2.0 qui permet à des salariés d’une même entreprise de grouper leurs commandes. Une nouvelle offre qui pourrait lui permettre d’aller plus loin dans une démarche éco-responsable. « C’est plus facile en tout cas d’envisager la collecte de nos emballages sur les sites qui regroupent plusieurs commandes », note Julia Bijaoui. Des discussions et tests sont en cours. Sur le compostage de nos emballages avec des acteurs comme Les Alchimistes. Mais aussi pourquoi pas sur la consigne pour réemploi avec Reconcil. »

Des lavages aussi plus ponctuels à Reconcil

Si la location et le lavage de boîtes alimentaires pour la restauration à emporter reste l’activité première de Reconcil, elle ouvre aussi son tunnel de lavage à des prestations plus ponctuelles. C’est l’offre « tiers », décrit Sofiane Hassaïne-Teston, celle-ci sans abonnement et qui vient en aide aux commerçants qui se retrouvent épisodiquement avec une quantité importante de vaisselle sur le bras.

Voilà comment Reconcil en est arrivé à laver les pots en verre des yaourts de la Laiterie de Paris, installée à la Goutte d'or (18e) et qui a mis en place son propre système de consigne. « La différence avec notre offre classique est que ces pots sont la propriété du commerce, explique Sofiane Hassaïne-Teston qui aimerait développer cette offre, notamment en l’élargissant aux brasseurs franciliens désireux de mettre en place un système de consigne. Le hic : « Notre tunnel de lavage peut laver des boîtes en plastique ou verre, mais pas des bouteilles, indique Sofiane Hassaïne-Teston.

Le Parisien cherche en ce moment les fonds pour acheter une station de lavage qui permettrait de lever cet obstacle. Là encore, Zero Waste France soutient la démarche. « Nous avons eu en France tout un réseau de stations de lavage de bouteilles en verre que nous avons perdu progressivement dans les années 1980 en entrant, regrette Alice Abbat. Il faut le reconstituer si on veut relancer la consigne pour le réemploi en France. »