Jour du dépassement : « Même avec les circonstances exceptionnelles du confinement, il nous reste quatre mois dans le rouge »

INTERVIEW Ce samedi, l’humanité aura consommé plus que ce que la planète peut lui offrir en un an. 20 Minutes a interviewé Pierre Cannet, directeur du plaidoyer au WWF France, sur ce que cette date du jour du dépassement 2020 signifie compte tenu de la crise actuelle

Vous reprendrez bien quand même un peu de charbon?
Vous reprendrez bien quand même un peu de charbon? — Martin Meissner/AP/SIPA
  • Cette année, le jour du dépassement, date à laquelle l’humanité a épuisé toutes les ressources naturelles annuelles de la terre, c’est ce samedi 21 août. Il a reculé de trois semaines par rapport à 2019.
  • Dû au coronavirus et au confinement, ce recul semble presque faible par rapport aux circonstances exceptionnelles qui l’auront amené.
  • S’il ne veut en tirer aucune victoire, Pierre Cannet, directeur du plaidoyer au WWF France, voit de nombreuses leçons à en tirer.

On commence à le savoir, 2020 est une annus horribilis, et même les bonnes nouvelles sont pavées de mauvaises surprises. Alors que pour la première fois depuis des années, le jour du dépassement – date symbolique à laquelle l’humanité a épuisé les ressources naturelles que la Terre peut régénérer en un an – a connu un net recul, passant du 29 juillet en 2019 au 22 août cette année, on ne peut même pas sortir les confettis (biodégradables évidemment) et fêter ça.

Difficile en effet de se réjouir de ne même pas avoir gagné un mois, alors que plus de la moitié de l’humanité a été confinée une bonne dizaine de semaines. Comment voir ce 22 août comme une bonne chose, alors qu’il montre finalement les efforts titanesques qu’il faudrait faire pour repousser encore ce fameux jour du dépassement ? Explications avec Pierre Cannet, directeur du plaidoyer au WWF France.

Le jour du dépassement a été retardé de trois semaines par rapport à 2019. Pourtant, ce gain semble amer. Comment expliquer ce sentiment ?

On ne peut même pas parler d’un « gain », car ce résultat n’est pas dû à une évolution de nos politiques écologiques mais à une crise sanitaire majeure qui n’est pas amenée à se reproduire, ou en tout cas pas avec un confinement général d’une grande partie de la population mondiale. Il est donc difficile de s’enthousiasmer ou de voir comme une avancée ces trois semaines, car les causes de ce gain – le confinement – ne seront certainement pas réunies les années suivantes.

De plus, ce qu’on voit, c’est que même avec ces circonstances absolument exceptionnelles, il nous reste encore plus de quatre mois [de fin août à fin décembre] dans le rouge en ce qui concerne l’épuisement de nos ressources. Cela doit nous amener à comprendre que ce n’est pas seulement un problème de mauvaises habitudes - moins prendre sa voiture, utiliser moins d’eau –, mais que le mal est profond et qu’il y a un problème à la racine de notre système de consommation, trop élevé, trop dépendant des énergies fossiles, trop polluant.

Sans se réjouir, il y a donc des leçons à tirer de ce recul ?

Il montre principalement l’étendue et la profondeur du problème. Même sous cloche, l'économie continuait à tourner de façon problématique, en se basant principalement sur les énergies fossiles, sur une consommation énergétique trop importante, en continuant à ne pas rénover des logements insalubres, en ne supprimant pas les voitures diesels ou les SUV en ville, etc. Pire, la déforestation a augmenté, notamment en Amazonie, assouplissant les règles et les contrôles au nom de la crise du coronavirus et de l’urgence économique. Et lorsque le confinement a été levé, on a vu que la consommation repartait.

Y a-t-il quand même des motifs d’espoirs ?

Si ce confinement n’a pas vu une refonte du système, il aura permis à chacun une réflexion sur son rapport à la nature, à la consommation. On voit certes, depuis le déconfinement, une consommation encore élevée, mais aussi une progression et une réelle demande sur les mobilités durables, les demandes de circuits courts, les exigences écologiques de la part des citoyens. Et si c’est tout le système qu’il faut remettre en cause, cette diminution de la consommation énergique pendant le confinement a permis une réduction de 14,5 % de notre empreinte carbone.

Il y a également les plans de relance de chaque pays qui devront intégrer l’écologie. C’est une occasion rare de changer cette politique des petits pas et d’avoir de vraies ambitions en termes de transition écologique. WWF et de multiples associations appellent à des plans de relance qui mettraient emploi et écologie au cœur de leur projet. Il ne faut pas faire l’erreur que l’on a faite après la crise financière de 2008, lorsque les plans de relance n’incluaient pas ou trop peu la dimension écologique. En 2008 aussi, le jour du dépassement avait reculé à la suite du ralentissement de l’économie, mais nous n’avons pas su en profiter pour construire une économie plus verte et moins néfaste pour la planète. Voilà une seconde opportunité.

Enfin, dernier motif d’espoir, on a vu que les Etats avaient pris à bras-le-corps une crise sanitaire majeure et avait su mobiliser des moyens énormes pour lutter contre l’épidémie. Nous vivons une crise écologique majeure : aux gouvernements du monde d’à nouveau sortir les muscles, ils ont montré qu’ils pouvaient le faire.