Environnement : Vingt-cinq multinationales françaises épinglées par « Notre Affaire à tous » sur leur devoir de vigilance
EMPREINTE CARBONE Depuis 2017, les grandes entreprises françaises doivent publier et mettre en œuvre un plan de vigilance pour prévenir les atteintes graves à l’environnement. L’ONG Notre Affaire à tous s’est penchée sur les copies de 25 multinationales françaises
- La loi sur le devoir de vigilance oblige les entreprises de plus de 5.000 salariés en France à établir un plan, notamment pour prévenir les risques en matière d’environnement, liés à leurs activités et celles de leurs sous-traitants.
- Une loi encore loin d’être respectée, déplore l’association Notre Affaire à tous, qui publie ce lundi une étude comparative des plans de vigilance de 25 multinationales françaises.
- L’association pointe le manque de transparence dans la comptabilité de leurs émissions de gaz à effet de serre, mais aussi le manque de mesures pour limiter leur empreinte carbone.
Publier et mettre en œuvre un plan de vigilance pour prévenir les atteintes graves aux droits humains et à l’environnement, sur leurs propres activités mais aussi celles de leurs filiales, sous-traitants et fournisseurs, en France comme à l’étranger. Depuis le 27 mars 2017 et l’adoption de la loi sur le devoir de vigilance, telle est l’obligation à laquelle doivent se soumettre désormais les sociétés françaises qui emploient au moins 5.000 salariés en France, et celles de plus de 10.000 salariés dans l‘Hexagone ayant leur siège social ailleurs dans le monde.
Une lourde empreinte carbone cumulée
Trois ans après sa promulgation, le compte y est-il ? C’est la question que s’est posée, sur le volet climat, Notre Affaire à tous. Dans un rapport publié ce lundi, l’association s’est plongée dans les plans de vigilance 2019 de 25 multinationales françaises choisies pour leur lourd impact climatique. On y trouve des poids lourds de l’énergie (Total, EDF…), de la finance (BNP Paribas, Crédit Agricole, Société générale), de l’industrie (Air liquide, Suez, Schneider Electric…), de la construction (Bouygues), des transports (Air France, Renault, Airbus), de l’agro-alimentaire (Carrefour, Danone)…
« Si on prend les chiffres que donnent ces entreprises, leur empreinte carbone cumulée s’élève à 1.517 millions de tonnes de CO2e [équivalent CO2], trois fois et demi supérieure aux émissions territoriales de la France », indique Paul Mougeolle, auteur et coordinateur de l’étude pour Notre Affaire à tous.
« Cinq entreprises ont la moyenne »
Dans son étude comparative, Notre Affaire à tous a alors cherché à mesurer où en étaient ces 25 multinationales sur leurs obligations découlant de cette loi sur leur devoir de vigilance. « Nous les avons notées sur trois critères principaux, reprend Paul Mougeolle. Premièrement, l’identification qu’elles font du risque climat via les activités qu’elles mènent. Deuxièmement, les actions qu’elles mettent en place et dont la loi sur le devoir de vigilance dit qu’elles doivent être adaptées pour prévenir et atténuer les atteintes graves aux droits de l’homme et à l’environnement. Troisièmement, l’intégration des enjeux climatiques dans leur plan de vigilance. »
Le tout donnait une note sur 100. « 100 étant la note qui permettrait seulement d’être dans la légalité », précise Notre Affaire à tous. Aucune de ces 25 multinationales ne l’atteint. C’est Schneider Electric, fabricant de matériel électrique, qui s’en rapproche le plus en décrochant la note de 77,5. L’association retient surtout de son étude que 20 des 25 sociétés prises en compte n’ont pas atteint la moyenne. Le plus mauvais élève est Air Liquide (15), suivi de Natixis et Total (17,5 tous les deux).
« Un manque de transparence »
Pour expliquer ces mauvaises copies, Notre Affaire à tous pointe déjà le manque de transparence de ces entreprises. « Elles ne dévoilent pas encore correctement leurs émissions de gaz à effet de serre directes et indirectes », fustige Paul Mougeolle. Le bilan carbone d’une entreprise se découpe en plusieurs périmètres, appelés Scope 1, 2 ou 3, du plus restreint au plus large. Le scope 1 représente les émissions directes de l’entreprise. Le scope 2 prend en compte les émissions de GES liées aux consommations d’énergie nécessaire à la fabrication d’un produit. Tandis que le scope 3 regroupe toutes les autres émissions de GES qui ne sont pas liées directement à la fabrication, mais à d’autres étapes du cycle de vie du produit (approvisionnement, transport, utilisation, fin de vie…). « Plusieurs de ces 25 entreprises, comme Airbus ou Axa, n’ont pas du tout divulgué leur scope 3, alors que ce champ est important dans leur domaine d’activité », reprend Paul Mougeolle.
Pour Notre Affaire à tous, l’empreinte carbone de ces 25 entreprises serait alors bien plus lourde que ce que laisse deviner les chiffres qu’elles publient officiellement. « Si on prend en compte certaines contre-expertises, ne serait-ce que l’étude publiée en novembre dernier par le cabinet Profundo, pour les Amis de la Terre et Oxfam, sur l’empreinte carbone des banques françaises, l’empreinte carbone totale de ces 25 entreprises ne serait pas seulement de 1.517 millions de tonnes de CO2 eq, mais de 3.549 millions de tonnes de CO2 eq, soit huit fois les émissions territoriales françaises », indique l’étude.
Une difficulté à reconnaître leur responsabilité ?
Voilà pour le manque de transparence. Notre Affaire à tous regrette par ailleurs que 10 entreprises sur 25 n’intègrent toujours pas le climat dans leurs plans de vigilance, se contentant de développer sur l’identification et la prévention des atteintes graves aux droits humains. « Pourtant, cela devrait être fait de manière systématique, en particulier pour les entreprises fortement contributrices au réchauffement climatique », déplore l’ONG.
« Beaucoup des entreprises de ce classement ne reconnaissent pas que les activités de leur groupe contribuent au réchauffement climatique », pointe encore Notre Affaire à tous. Elle regrette aussi que les sociétés mères ne mettent pas encore toutes les mesures en œuvre afin de faire baisser les émissions directes et indirectes de leurs filiales et sous-traitants. Il s’agit pourtant, là encore, du cœur de la loi sur le devoir de vigilance. Résultat : « aucune entreprise n’a encore mis en place une stratégie de diminution de son impact climatique en lien avec une trajectoire de + 1,5 °C, alors que c’est la seule qui permet de réaliser les objectifs de l’Accord de Paris sur le climat », reprend Paul Mougeolle.
Une lettre d’interpellation aux vingt-cinq
Le 28 janvier dernier, en s’appuyant déjà sur le devoir de vigilance, Notre Affaire à tous, avec les associations Sherpa, France Nature Environnement ou encore Eco Maires, avaient assigné Total en justice en demandant à ce qu’il lui soit ordonné de prendre les mesures nécessaires pour réduire drastiquement ses émissions de gaz à effet de serre.
Ce lundi, Notre Affaire à tous ne va pas jusqu’à attaquer en justice les 24 autres entreprises de son classement, mais elle accompagne la sortie de son étude d’une lettre adressée à chacune d’elle et leur demandant à agir. « D’ici à quelques jours, elles doivent publier leur plan de vigilance 2020, rappelle Paul Mougeolle. D’ici à fin 2020, nous publierons une nouvelle étude pour voir s’il y a du mieux dans les copies, et si les écarts entre ce que contiennent ces plans et les actions directes se réduisent. »