Protection contre les pesticides : Le projet du gouvernement n’est « pas sérieux » pour le collectif Nous voulons des coquelicots

INTERVIEW François de Beaulieu, vice-président du collectif Nous voulons des coquelicots pense plutôt qu’il faut aider les agriculteurs à sortir de l’agriculture intensive

Lors d'une manifestation du collectif Nous voulons des coquelicots, à Paris, place de la Bataille-de-Staningrad. (archives)
Lors d'une manifestation du collectif Nous voulons des coquelicots, à Paris, place de la Bataille-de-Staningrad. (archives) — ISA HARSIN/SIPA
  • En réaction aux différents arrêtés municipaux qui interdisent l’usage des pesticides dans un rayon de 150 mètres autour des habitations, le gouvernement a décidé de légiférer et de proposer une interdiction dans une zone de cinq à dix mètres autour des habitations.
  • Pour 20 Minutes, François de Beaulieu, vice-président de Nous voulons des coquelicots, ironise sur cette proposition, jugée « pas sérieuse ».
  • Pour lui, il faut sortir de la logique de l’agriculture intensive pour éviter une catastrophe écologique majeure.

C’est peu de dire que les organisations de protection de l’environnement sont déçues. Alors que l’affaire du maire de Langouet, en Ille-et-Vilaine, qui a interdit les pesticides sur sa commune dans un rayon de 150 m autour des habitations, défraie la chronique,  Emmanuel Macron, avait dit comprendre l’élu et avait annoncé que le gouvernement légiférerait. C’est donc fait : le ministère de l’Agriculture propose une interdiction des pesticides dans une bande de cinq à dix mètres autour des habitations. Largement insuffisant pour François de Beaulieu, vice-président de  Nous voulons des coquelicots, qui lutte pour la fin pure et simple du système de l’agriculture productiviste.

Comment jugez-vous l’annonce du gouvernement d’une bande cinq à dix mètres sans pesticides près des habitations ?

A moins que le gouvernement publie un décret disant que le vent cesse de souffler en France à partir de la date d’application du décret sur les cinq à dix mètres… C’est ridicule, on se moque du monde. On sait qu’il y a même des malheureux agriculteurs biologiques, il y a eu le cas récemment d’un arboriculteur fruitier, qui perdent leurs récoltes car on leur a trouvé des traces de pesticides qui venaient d’un champ plus ou moins lointain. Donc, ce n’est pas sérieux. On ne peut pas considérer que les riverains seraient protégés par ce type de distances. Sans compter que c’est limiter le problème à l’épandage alors que le problème ce sont aussi les résidus, dans toute la chaîne de fabrication. La seule solution c’est d’aider les agriculteurs à se passer définitivement de pesticides.

Pour vous, la bande de 150 mètres qui est défendue par d’autres, comme le maire de Langouet en Bretagne, ce n’est rien d’autre qu’un compromis ?

C’est un symbole, sachant que légalement ils ne peuvent pas prendre n’importe quel arrêté, afin de marquer leur volonté de protéger leur population. Eux ne peuvent pas interdire tous les pesticides, d’où cette mesure symbolique. C’est très courageux de leur part de prendre ce genre d’arrêté sur des bandes de 150 mètres, car il y a des endroits du territoire où ça interdit tout simplement toute utilisation de pesticide, compte tenu du mitage.

On peut considérer que c’est leur manière d’alerter, leur manière de prendre en compte la protection de la population, mais ça restera malgré tout insuffisant. Quand on connaît le dossier des pesticides, et encore plus avec le scandale des SDHI, on n’a pas d’autre solution que de faire un plan général pour la sortie des pesticides, aussi rapide que possible, avec les agriculteurs.

Vous répondez quoi aux organisations syndicales du monde agricole, je pense à la FNSEA notamment, qui estiment déjà que la bande des 150 mètres c’est de la folie ?

La FNSEA marche depuis des dizaines d’années, la main dans la main, avec le lobby des pesticides, on ne va pas attendre d’eux qu’ils commencent à discuter là-dessus. Parce que, de fait, cette distance de 150 mètres, dans de très nombreuses régions, correspond quasiment à une interdiction d’utiliser des pesticides et donc rend impossible le fonctionnement de l’agriculture conventionnelle actuelle. Il s’agit bien, à travers ces arrêtés, d’alerter. Parce qu’on ne souhaite pas non plus rendre la vie des agriculteurs impossibles.

Il s’agit de permettre aux agricultures de sortir des pesticides. Et de trouver les moyens de vivre de leur métier sans s’empoisonner eux-mêmes, car ils sont les premières victimes, et sans empoisonner le reste du monde vivant. Car il y a la santé des riverains, la santé des consommateurs mais aussi la santé de la biodiversité. Si vous regardez la diminution du nombre d’invertébrés, de tous les insectes qui se traduit aussi par la chute massive des populations d’oiseaux, on est bien dans une catastrophe écologique majeure dont la cause principale est l’utilisation méthodique des pesticides.

D’accord mais si on n’est effectivement dans une catastrophe majeure, et que les agriculteurs s’empoisonnent eux-mêmes, comment interpréter le fait qu’une majorité d’entre eux continue de dire que c’est de la folie de s’en passer ?

Ce n’est pas une majorité d’entre eux.

La FNSEA est très majoritaire…

La FNSEA, syndicat majoritaire, se fait élire pour des raisons sociologiques extrêmement complexes. Elle tient son monde. Aux élections syndicales, quantité d’éléments rentrent en ligne de compte. Et je peux vous dire que les pouvoirs locaux de la FNSEA sont tels qu’une majorité d’agriculteurs, encore plus dans la situation actuelle, font le choix de dire « on va voter pour le plus fort pour nous défendre ». Ils savent bien que le ministère de l’Agriculture, depuis des dizaines d’années, est cogéré par la FNSEA. Ils se disent « autant avoir des mesures qui ne nous bousculent pas trop » que de rentrer dans quelque chose où on ne leur donne pas de garanties. A Nous voulons des coquelicots, bien sûr que l’on réclame des garanties pour les agriculteurs quand on va les amener à sortir du système.

Les garanties, concrètement, ça pourrait être quoi ?

Ce sont des garanties de revenus pour les agriculteurs. On sait bien qu’on ne change pas de système de culture impunément. On dit, en général, qu’une reconversion à partir de terres agricoles qui étaient dans le système intensif pour passer en biologique, c’est cinq-six ans. Donc, il faut leur laisser ce temps-là. Et, pendant ce temps-là, où ils vont avoir des pertes de revenus, que celles-là soient évidemment compensées. C’est un programme massif d’investissement, de soutien, et d’installation de jeunes agriculteurs. Parce que, il ne faut pas oublier que dans les dix ans qui viennent 50 % des agriculteurs français vont prendre leur retraite. S’ils ne sont pas remplacés on va se retrouver avec une situation dramatique : on aura très peu d’agriculteurs qui ne travailleront plus que sur de très grandes surfaces en intensif.