Corse: Le «chat-renard», animal mythologique des bergers, existe vraiment (et il est «stupéfiant»)

BIODIVERSITE L’ONCFS étudie depuis dix ans le «chat-renard». Ces spécialistes de la biodiversité ont réussi à prouver qu’il s’agit d’une espèce différente du chat continental. Le «ghjattu-volpe» est mythique en Corse

Jean Saint-Marc
Un chat-renard aux yeux vairons et aux oreilles abîmées par les combats, capturé par l'ONCFS.
Un chat-renard aux yeux vairons et aux oreilles abîmées par les combats, capturé par l'ONCFS. — P. Pochard-Casabianca / AFP
  • Les « policiers de l’environnement » de l’ONCFS ont révélé l’existence d’une espèce de chat unique en Corse.
  • Un animal au comportement stupéfiant, qui vit aussi bien en plaine qu’en haute montagne.

Un animal fourbe et discret, avide de sang, qui dévore les mamelles des chèvres et des brebis la nuit venue. Voilà comment les bergers corses ont longtemps décrit le « chat-renard ». Ou plutôt le « ghjattu-volpe ». Cette espèce existe réellement, selon des conclusions récemment dévoilées par l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS). Ces spécialistes de la biodiversité sont parvenus à établir que l’espèce était différente du chat sauvage continental.

« Leurs génomes ne sont pas les mêmes, martèle Pierre Benedetti, chef technicien à l’ONCFS. C’est un animal du genre felis, un félin donc, mais une autre sous espèce, avec une apparence assez différente. » Ses pavillons d’oreille sont plus larges, ses yeux plus grands avec des pupilles très dilatées, ses pattes zébrées, ses pieds noirs et ses poils très épais et très denses.

Un pelage tellement épais que les puces n’y rentrent pas

« Ça le protège d’ailleurs des parasites, reprend Pierre Benedetti. Sur les seize animaux que nous avons capturés puis relâchés, aucun n’avait de puce ni de tique, ce qui prouve que c’est un animal qui a trouvé un équilibre physiologique dans la nature. » L’aigle royal reste toutefois un prédateur dangereux pour le chat-renard, qui se dissimule sous un épais tapis végétal.

Un chat renard photographié par l'ONCFS.
Un chat renard photographié par l'ONCFS. - ONCFS

Pierre Benedetti, technicien expérimenté, aux cheveux blancs et à la solide carrure, se passionne depuis dix ans pour cet animal mystérieux :

Un homme m’en a apporté un dans mon bureau en 2008. Il était entré dans un poulailler, et il y avait fait pas mal de dégâts. Mais heureusement, la personne a compris sa valeur et ne s’est pas vengée tout de suite. »

Pierre Benedetti a alors obtenu des moyens pour lancer un programme de recherche, qui lui permet, en ce début d’été 2019, de « révéler » l’espèce, qui n’apparaît pour l’instant dans aucune nomenclature. « Il a toujours existé, il était connu par les bergers, relate le spécialiste… Mais un homme pouvait avoir passé sa vie dans le maquis et ne l’avoir vu qu’une fois, tant il est discret. »

De 300 à 2.500 mètres d’altitude

Discret… et grand voyageur : la pose de petits GPS de 80 grammes sur des animaux capturés a permis de prouver que le territoire d’un mâle pouvait s’étendre sur 3.000 hectares, et qu’il évolue, surtout, à des altitudes impressionnantes. Un même chat-renard a été observé à 300 mètres puis à 2.500 mètres. « Ils traversent même les grandes rivières, d’une pierre à l’autre, sans se mouiller, c’est stupéfiant », s’emballe Pierre Benedetti.

Un chat renard photographié dans son milieu naturel par l'ONCFS.
Un chat renard photographié dans son milieu naturel par l'ONCFS. - ONCFS

Son enquête doit désormais affiner la connaissance du génome de l’animal, préciser son mode de vie et étudier sa reproduction et son alimentation. D’ici deux à quatre ans, l’ONCFS espère que l’espèce sera reconnue et protégée. Elle cherche aussi à savoir quelle est l’origine de l’animal : les chats-renards pourraient être en Corse depuis la deuxième colonisation humaine de l’île, qui remonte à 6.500 ans avant notre ère.

Assez longtemps, en tout cas, pour que de solides légendes soient nées autour de cet animal. Dévore-t-il, oui ou non, les mamelles de ses proies ? « J’imagine que c’est un mythe, conclut Pierre Benedetti. Mais partout où vous allez, des bergers qui vivent à des heures les uns des autres vous racontent la même histoire… Alors j’espère pouvoir vérifier cette information un jour ! »