Environnement: «Les marches pour le climat et les pétitions ne suffisent plus», estime Cécile Duflot
INTERVIEW Quatre ONG entament ce mardi une procédure judiciaire contre la France pour son manque d’action aux regards de ses engagements climatiques. Cécile Duflot, directrice d’Oxfam France, l’une de ces quatre associations répond à « 20 Minutes »…
- Oxfam, Greenpeace, la Fondation pour la nature et l’homme et Notre affaire à tous engagent ce mardi une procédure en justice contre la France pour son inaction climatique.
- Du moins, ce mardi, c’est l’acte 1 qui est lancé avec la déclaration préalable, un courrier envoyé au gouvernement pour lui expliquer les motifs de l’action en justice et auquel il a deux mois pour réagir.
- « S’il n’y a pas de réponse ou si elle ne nous convient pas, nous saisirons le tribunal administratif », précise Cécile Duflot, directrice d’Oxfam France. Ces actions en justice contre des Etats au titre de l’inaction climatique se multiplient aujourd’hui.
« L’affaire du siècle », assurent-elles. Ce mardi matin, les antennes françaises d’Oxfam, de Greenpeace, ainsi que la Fondation pour la nature et l’homme et Notre affaire à tous, lancent l’acte « un » d’ une action en justice contre l’État français. Le motif ? « L’inaction de l’Etat dans la lutte contre le changement climatique qui met la France à la traîne sur tous les objectifs qu’elle s’est fixés, explique Cécile Duflot, directrice d’Oxfam France. L’ex-ministre de l’égalité des territoires et du logement répond aux questions de 20 Minutes.
Pourquoi ce mardi, il ne s’agit seulement que de l’acte 1 ?
La procédure judiciaire implique dans un premier temps d’envoyer une lettre au gouvernement qui démontre l’inaction de l’Etat en matière de réduction des gaz à effet de serre et lui demande de réagir. C’est ce qu’on appelle la demande préalable. Le gouvernement a deux mois pour répondre. S’il ne le fait pas ou si la réponse ne nous convient pas, nous déposerons alors un recours au tribunal administratif. C’est l’acte 2 et, potentiellement, le début d’une longue bataille judiciaire de plusieurs années. Voilà pourquoi nous sommes quatre organisations à s’unir dans cette action. Voilà pourquoi aussi, en plus d’envoyer cette lettre, nous lançons ce mardi une grande campagne de mobilisation citoyenne pour fédérer un maximum de personnes dans cette action en justice. C’est aussi un de ses buts : ces recours en justice sont devenus des outils de mobilisation des citoyens. Les marches et pétitions ne suffisent plus, il faut aujourd’hui mettre au pied du mur ceux qui ne respectent pas la loi.
A quels objectifs comptez-vous confronter l’Etat français ?
Aux engagements pris dans le cadre de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte [promulguée en août 2015]. Dans ce cadre, la France s’est fixé l’objectif de diviser par quatre ses émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050 par rapport à 1990, de diviser par deux sa consommation d’énergie en 2050 par rapport à 2012 et de baisser de 30 % son recours aux énergies fossiles d’ici à 2030. A cela s’ajoutent des obligations plus vastes que la France a prises, notamment en ratifiant l’accord de Paris sur le climat [qui vise à limiter le réchauffement climatique sous les 2 °C, au minimum, d’ici à 2100]. Aujourd’hui, la France manque la quasi-totalité de ses objectifs.
Le Réseau Action Climat (RAC), un collectif d’associations françaises engagées sur les questions climatiques, et le Cler-Réseau pour la transition énergétique le montrent très bien dans leur observatoire climat-énergie. Sur les neuf principaux engagements de la France pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre, la France était dans le rouge sur huit en 2017. Elle est juste parvenue l’an dernier à continuer à baisser les émissions de GES du secteur de l’industrie. Ces émissions globales de GES ont augmenté de 6,4 %, la consommation finale d’énergie a grimpé de 4,2 % l’an dernier, la consommation primaire d’énergies fossiles (gaz, charbon, pétrole) de 4,5 %…
Mais les objectifs pris par la France l’engagent-ils véritablement à agir ?
Justement, le but de notre recours en justice est d’ouvrir ce débat juridique qui revient souvent. Il faut ouvrir ce débat devant le tribunal pour deux raisons. Il faut déjà être fixé, une fois pour toutes, sur la force contraignante d’un engagement pris par le passé. Nous devons aussi nous interroger sur ce que ça veut dire de ne pas tenir ces obligations quand celles-ci sont nécessaires pour la survie de l’humanité. Peut-être que le droit répondra que ces engagements pris ne sont pas contraignants. Il faudra alors demander pourquoi. Pourquoi et à quoi bon se présenter partout comme un champion de l’action climatique si, derrière, la France ne respecte aucun de ses objectifs. Dans dix ou vingt ans, on se demandera ce que faisaient nos dirigeants actuels, qui savaient les conséquences de la crise climatique mais n’ont pas réagi comme il fallait.
Mais est-ce si facile de mettre ces engagements à l’œuvre ? Vous avez vous-même été ministre…
Oui, il est possible d’agir. J’ai décidé de quitter le gouvernement [en avril 2014 après le remplacement de Jean-Marc Ayrault par Manuel Valls au poste de Premier ministre] justement parce que j’étais en désaccord avec les choix qui étaient faits. Mais je n’ai jamais constaté l’impuissance de l’action publique. Les objectifs fixés dans la loi 2015 sur la transition énergétique sont tenables à partir du moment où il y a une volonté politique. Nous avons les solutions technologiques aujourd’hui. Nous savons même que c’est plus économique financièrement de se lancer dans la transition énergétique. Mais Nicolas Hulot l’a très bien dit en démissionnant en août dernier, si les dossiers ne sont pas posés sur le bureau du Premier ministre, il ne se passe rien.
De qui vous inspirez-vous dans votre action climatique : de l’ONG néerlandaise Urgenda, de Damien Carême, le maire de Grande-Synthe… ?
Forcément, le procès gagné en appel par Urgenda est marquant en matière de justice climatique. En octobre dernier, elle est parvenue à faire condamner le gouvernement des Pays-Bas pour son manque de détermination dans son action climatique. Il n’y a pas eu de sanction contre lui, mais la Cour d’appel de la Haye a tout de même estimé que l’Etat agissait « illégalement et en violation du devoir de diligence » et devait bel et bien viser l’objectif de 25 % de réduction des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2020 pour respecter ses obligations vis-à-vis des populations néerlandaises et du monde.
Mais Urgenda n’est pas la seule. De plus en plus de citoyens et d’acteurs de la société civile se retournent contre leur gouvernement pour inaction climatique. Vous avez mentionné le maire de Grande-Synthe. Les agriculteurs allemands ont aussi annoncé, début décembre, vouloir poursuivre leur gouvernement pour le contraindre en faveur du climat. L’État du Vanuatu (en Océanie) menace, lui, d’attaquer les compagnies pétrolières et charbonnières pour leur faire payer le coût de l’adaptation au réchauffement climatique… Il y a d’autres exemples encore. Tout cela converge aujourd’hui. Encore une fois, on se dit qu’on ne peut plus en rester aux marches pour le climat et aux pétitions.