Monstres légendaires: Le monstre du Loch Ness, l’histoire d’une traque pas encore terminée
SERIE (4/5) Le monstre du Loch Ness continue à faire couler beaucoup d’encre. Mais pas autant que dans les années 1930…
- 20 Minutes, en partenariat avec Retronews, propose une série d’articles sur les « monstres légendaires ».
- Aujourd’hui, retour sur la traque du monstre du Loch Ness qui s’emballa en 1933 au gré d’un afflux de témoignages et des premières photographies.
- Le monstre du Loch Ness fait plus rarement aujourd’hui la une des journaux, mais les observations affluent toujours en 2018 et l’enquête reste ouverte.
20 Minutes, en partenariat avec Retronews, le site de presse de la Bibliothèque nationale de France, propose une série d’articles sur les « monstres légendaires ». Aujourd’hui, focus sur le monstre du Loch Ness...
Une petite tête plantée au bout d’un long cou surgissant de l’eau. Le cliché n’est pas net et on ne voit rien autour de l’animal qui permettrait de localiser l’endroit. Il n’empêche, pour le Daily Mail, ce 21 avril 1934, c’est tout vu : on tient là une photographie de Nessie, le monstre du Loch Ness.
Aussitôt, e cliché entre dans l’histoire, repris par de nombreux titres de presse étrangers. En France, La Croix, Le Petit Parisien, Paris Soir sont sur le coup. Ils n’y consacrent encore qu’un petit filet à la nouvelle, faute d’informations sans doute. On sait seulement alors que la photo est attribuée à un chirurgien londonien, Robert Kenneth Wilson, en excursion aux abords du lac écossais. Il raconte avoir vu « les eaux s’enfler soudain et un étrange animal émerger quelques instants à 200 mètres du rivage ».
Coup médiatique des hôteliers ou monstre préhistorique ?
Voilà l’affaire du monstre du Loch Ness relancée. « Relancée » car Nessie n’a pas attendu d’être pris en photo pour faire parler de lui. Dès le VIe sciècle, le moine irlandais St-Colomban rapportait avoir vu la bête. D’autres témoignages affleureront encore par la suite, mais l’affaire du Loch Ness prend une tout autre dimension dans les années 1930, avant même la photographie de Robert Kenneth Wilson. Le fruit d’une série de témoignages et de l’exploitation rusée de la légende par des personnages hauts en couleur en quête de coups médiatiques. Comme le directeur de cirque Bertram Mills qui offrait en 1933 une prime de 20.000 livres (une fortune à l’époque) à quiconque capturerait le monstre pour sa ménagerie. Comme encore le couple Mackay, gérant du « Drumnadrochit Hôtel », et qui affirme avoir vu le monstre le 14 avril 1933 déclenchant une vague touristique dont profitera pleinement leur hôtel.
Quoi qu’il en soit, la quête de Nessie est bel et bien lancée et la presse française s’en délecte. Le 25 décembre 1933, le quotidien L’intransigeant expose le problème : « Est-ce le monstre des hôteliers du Loch Ness qui amène 5.000 touristes pour les fêtes de Noël ? Ou est-ce un monstre préhistorique réel et véritable qui nous arrive de l’âge de pierre pour révolutionner la science de la zoologie ? »
La presse lance les expéditions
La nuit du 31, Paris Soir envoie même un reporter sur place pour suivre la chasse au plus près. Son article, empli d’ironie, raconte l’effervescence. « Certains journaux ont jusqu’à huit rédacteurs chargés de la recherche du monstre », s’étonne-t-il. Mais « pour l’instant ils sont au repos. Le whisky luit dans les verres », précise-t-il. Plus loin, le reporter retranscrit une conversation avec le maître du port de Drummsdrochit d’où partent les expéditions nautiques à la recherche de Nessie. « Le monstre existe, me dit-il avec conviction. Je l’ai vu et je le sens… Je hume l’air et je sais quand il va apparaître. (…) Il ne sortira pas aujourd’hui. »
Ce ton léger, moqueur, se retrouve dans bon nombre d’articles de l’époque. Mais la traque, elle, est bel et bien sérieuse. Le Daily Mail finance ainsi une expédition à la tête de laquelle elle nomme Marmaduke Wetherell, « renommé scientiste et célèbre chasseur de grands fauves de la jungle » « avec mission de ramener le monstre mort ou vif », raconte L’Intransigeant.
Wetherell y met les moyens, jusqu’à équiper son canot d’hydrophone, des micros permettant de capter des sons sous l’eau. L’expédition espère ainsi « détecter la partie du Loch Ness que hante d’habitude le monstre », explique Le Matin le 3 janvier.
La photo d’avril 1934 n’était qu’un canular
Mais les recherches patinent et Wetherell est tourné en ridicule. Dans son premier rapport au Daily Mail, le chasseur de fauves assurait avec entrain avoir trouver une empreinte du monstre aux bords du Loch Ness. Il s’agissait en réalité de celle d’un hippopotame, concluaient, après analyse, les experts du musée d’histoire naturelle de Londres.
Un fiasco pour Wetherell, congédié par le Daily Mail et qui aurait décidé de se venger. On en revient alors à cette photo du 21 avril 1934. Un canular en réalité derrière lequel se trouverait Wetherell. En 1993, son gendre, Christian Spurling, a avoué que la photographie n’était qu’un montage grossier réalisé à partir d’un sous-marin pour enfant et affublé d’une tête en carton. Wetherell aurait demandé au médecin Wilson d’endosser la paternité du cliché pour donner plus de crédibilité à la photo.
Une légende de plus autour du Loch Ness ! Quoi qu’il en soit, la supercherie a fonctionné, le cliché faisant le tour du monde. Ce n’est pourtant pas la première photographie du soi-disant monstre, « mais celle-ci montre autre chose qu’une vague ombre, d’où sans doute son influence, estime Eric Buffetaut*, paléontologue et chercheur émérite du CNRS, passionné de cryptozoologie, la recherche des animaux dont l’existence ne peut pas être prouvée de manière irréfutable. Par ailleurs, le montage colle bien aussi aux nombreuses descriptions qui avaient été faites jusque-là de Nessie. »
Un plésiosaure ? Impossible !
Les diverses descriptions recueillies dès 1933 ne varient guère en effet. « Sauf en ce qui concerne la taille de la bête, de six à douze mètres », relève L’Intransigeant. Mais sinon, ils décrivent tous Nessie « comme ayant une tête de cheval, mais trois fois plus grosse, le dos noir et lisse comme celui d’une baleine mais surmonté de deux bosses dans le genre de celle d’un dromadaire, une queue de requin qui tourne aussi vite que l’hélice d’un avion ».
La description colle assez bien à celle d’un plésiosaure, un grand vertébré ayant vécu sur Terre il y a plusieurs millions d’années. C’est alors l’hypothèse à la mode : un spécimen de cette espèce préhistorique se serait retrouvé enfermé dans les eaux du lac écossais. Forcément, la théorie ne tient pas pour de multiples raisons. « Le Loch Ness s’est formé il y a environ 10.000 ans à la fin de la dernière période glaciaire, lorsque les glaciers qui recouvraient l’Ecosse se sont retirés, commence Eric Buffetaut. Les derniers plésiosaures connus ont vécu à la fin du Crétacé, il y a 66 millions d’années, à une époque donc où le Loch Ness n’existait pas. Ensuite, le Loch Ness a une productivité très faible, certainement insuffisante pour nourrir une population de grands animaux aquatiques, car évidemment, il ne peut pas y avoir qu’un monstre solitaire. Enfin, les plésiosaures étaient des reptiles qui devaient revenir à la surface régulièrement pour respirer. S’il y en avait eu dans le Loch Ness, les témoignages auraient été bien plus nombreux alors. »
Une traque qui perdure en 2018
A vrai dire, aucune preuve scientifique n’a confirmé l’existence d’un monstre de « six à douze mètres » dans les eaux du Loch Ness. Pourtant, de nouvelles observations sont enregistrées chaque année par le « Loch Ness monster sightings Register ». Huit pour la seule année 2016.
Le naturaliste Alain Shine, le responsable du Loch Ness Project, continue en tout cas d’enquêter. Son nouvel espoir ? L’étude du scientifique néozélandais Neil Gemmell, lancée en juin dernier. Ce spécialiste du génome entreprend une vaste étude ADN des eaux du Loch Ness pour en déterminer la biodiversité marine. A partir de 230 échantillons d’eau, recueillis à trois profondeurs différentes et en utilisant les technologies dernier cri, Neil Gemmell veut recueillir les traces ADN (peau, écailles, déjections) que laisse chaque organisme vivant dans les eaux profondes du lac écossais.
Imaginez alors que Neil Gemmell découvre la trace ADN d’un animal inconnu ? Qu’importe au final cette énième étude. « Toutes les démonstrations n’y feront rien, il y aura toujours des gens pour croire à Nessie », lance Eric Buffetaut.
*Eric Buffetaut est l’auteur d’À la recherche des animaux mystérieux : idées reçues sur la cryptozoologie, Le Cavalier Bleu éditions, 2016