Déchets: Les fabricants de cigarettes vont devoir payer pour les mégots... au moins pour la collecte

RECYCLAGE La mesure n’est pas passée inaperçue parmi les 50 retenues dans la feuille de route sur l’économie circulaire dévoilée lundi, le gouvernement veut faire participer les fabricants à la collecte et au recyclage des mégots. Une bonne idée ?...

Fabrice Pouliquen
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30 milliards de mégots sont jetés chaque année en France.
30 milliards de mégots sont jetés chaque année en France. — MYCHELE DANIAU / AFP
  • Le gouvernement veut créer une filière REP (Responsabilité élargie pour les producteurs) sur les cigarettes. Les fabricants devraient alors payer une éco-contribution pour financer la collecte des mégots aujourd’hui à la seule charge des collectivités
  • Ce principe de filière REP était jusqu’à présent appliqué qu’aux produits jugés facilement recyclables. Ce n’est pas le cas des mégots complexes à valoriser. Des solutions émergent mais ne permettent pas de répondre au problème posé par les milliards de déchets jetés chaque année sur le trottoir.
  • S’il ne l'a juge pas prioritaire, cette nouvelle REP n’est pas une mauvaise idée, estime Nicolas Garnier, délégué général d’Amorce, un syndicat de collectivités locales. « Elle permettra de mettre de mettre les fabricants de cigarettes devant leurs responsabilités.»

Les fabricants de cigarettes l’ont sans doute vue venir. Ces derniers temps, le mégot de cigarette était dans le collimateur des collectivités publiques agacées par la propension de ce déchet à finir sur le trottoir. Que ce soit l’État qui, en mai 2016, commandait un rapport à l’Ineris (Institut national de l’environnement et des risques) sur les filières de collecte et de traitement des mégots de cigarettes. Ou des villes, comme Paris, Lille, Cannes, Colmar ou Strasbourg, qui verbalisent désormais les fumeurs pris en train de jeter leurs mégots par terre.

Une éco-contribution demandée aux fabricants de cigarettes

Dévoilée lundi, la feuille de route de l’économie circulaire, par laquelle le gouvernement entend améliorer la gestion du cycle de vie des produits en France, veut ajouter les producteurs de cigarettes dans la boucle. Tout n’est pas calé encore, « les discussions vont commencer avec les opérateurs », confie prudemment Matignon au Parisien. Lundi, le Premier ministre Edouard Philippe affirmait qu’il entendait solliciter « les fabricants de cigarettes […] pour qu’ils sensibilisent les fumeurs et contribuent à financer le ramassage des mégots à la seule charge aujourd’hui des collectivités ».

Il s’agirait de créer une nouvelle filière de Responsabilité élargie du producteur (REP). Ce principe oblige les producteurs d’un objet mis sur le marché à contribuer à l’élimination des déchets que ce produit génère. Le plus souvent, cette contribution est financière. Les industriels concernés la versent à des organismes comme  Citeo (ex Eco-Emballages) agréés par l’État pour organiser et superviser la collecte et le recyclage des déchets.

Des mégots dangereux et chers pour les collectivités

Une vingtaine de filières REP ont vu le jour depuis 1992. Sur les déchets d’emballages ménagers, les médicaments non utilisés, les déchets de cartouches d’impression, les capsules de machine à café… Jusque-là en effet, les cigarettes ne figuraient pas dans la liste. Pourtant, ces mégots coûtent très cher aux villes, justifie-t-on au ministère de la Transition écologique et solidaire. Ce sont aussi des déchets dangereux, insiste l’Ineris dans son rapport publié fin 2017. Un filtre à cigarette contient à lui seul 4.000 substances chimiques (nicotines, phénol, métaux lourds) pour certaines éco-toxiques, pour d’autres cancérogènes. Jeté sur la voirie, un mégot met jusqu’à dix ou douze ans à se dégrader. Très volatile, il finit aussi régulièrement sa course dans les cours d’eau qu’il contribue à polluer.

Étendre le principe pollueur/payeur aux fabricants de cigarettes n’a donc rien d’aberrant en soi, réagissent Nathalie Villermet, pilote du réseau Prévention et gestion des déchets au sein de l’ONG France nature environnement (FNE) comme Nicolas Garnier, directeur général d’ Amorce, association des collectivités locales dans le domaine des déchets. Ils pointent une situation incongrue en France où, jusque-là, les filières REP ont été créées sur les déchets recyclables. « Autrement dit, précise Nathalie Villermet, nous demandons depuis des années à des producteurs d’objets recyclables de participer financièrement à la collecte et au recyclage des déchets qu’ils génèrent. Ce qui est normal. Mais, nous ne demandons rien aux industriels qui mettent sur le marché des produits à des déchets non recyclables pourtant très problématiques. »

Des filières de recyclage de mégots encore embryonnaires…

Mais que faire alors de l’argent collecté grâce à cette éco-contribution demandée aux fabricants de cigarettes ? L’investir dans l’éclosion d’une véritable filière de valorisation des mégots ? Le hic, c’est que ce déchet est complexe à recycler de part sa dangerosité, pointe l’Inéris dans son rapport. L’institut signale tout de même l’émergence de nouvelles structures dédiées décidées à tenter le coup. Comme Terra-Cycle, qui dispose d’un site de valorisation des mégots en Grande-Bretagne, ou Mé Go, installé près de Brest (Finistère). Les technologies diffèrent mais l’idée des deux entreprises est sensiblement la même. « Il s’agit de récupérer l’ acétate de cellulose, cette matière plastique qui constitue 60 % de la composition des filtres de cigarettes, explique à 20 Minutes Bastien Lucas, fondateur de MeGo. Cet acetate de cellulose est nettoyé puis transformé en de nouveaux objets plastiques. »

Mais pour l’Ineris ces modes de traitement sont « embryonnaires ». « Il est aujourd’hui difficile, sur la base du peu d’éléments disponibles, notamment concernant la performance des procédés de lavage des filtres, d’évaluer leur pertinence et leur respect du cadre réglementaire existant. » « L’enquête de l’Ineris remonte à il y a un an et demi, précise de son côté Bastien Lucas. Depuis, nous avons progressé. Notre processus de revalorisation est très peu gourmand en énergie. Nous avons aussi beaucoup travaillé la dépollution de l’eau que nous utilisons en circuit fermé pour nettoyer les mégots. »



On ne valorisera pas 100 % des mégots

L’entrepreneur se dit prêt alors à passer à l’étape suivante et à concevoir une première usine de recyclage des mégots en Europe. « Nous projetons de nous associer avec deux partenaires européens pour créer une première usine de traitement de mégots de cigarettes », annonce Bastien Lucas. Cette usine verrait le jour probablement dans l’est de la France, à l’horizon 2020 et pourrait traiter chaque année quelques milliers de tonnes de cigarettes.

Mais quelques milliers de tonnes, ça reste une goutte d’eau par rapport aux milliards de mégots jetés à même le sol rien qu’en France. L’objectif principal d’une filière REP sur les cigarettes ne peut être de recycler ces masses de mégots. Il est au moins d’améliorer leur collecte, qu’un maximum de ces mégots finissent dans l’incinérateur plutôt que sur le trottoir. « L’objectif est surtout de mettre les fabricants de cigarettes face à leurs responsabilités, ajoute Nicolas Garnier. De leur dire d’accord, on n’arrivera sans doute pas à recycler tous les mégots mais vous devez au moins payer pour les déchets que vous générez. En ce sens, cette filière REP pourrait faire date et être appliqués à l’avenir à d’autres producteurs de déchets complexes à recycler. »

Et le textile sanitaire ?

La question alors, pour Nicolas Garnier, est de savoir pourquoi le gouvernement s’est limité aux fabricants de cigarettes ? D’une source proche du dossier, cet élément a été ajouté au dernier moment à la feuille de route sur l’économie circulaire en remplacement d’un autre combat jugé prioritaire par plusieurs associations et subitement retiré. Celui de créer une filière REP pour les textiles sanitaires jetables (couche-culottes, essuie-tout, mouchoir…). Dans l’entourage de Brune Poirson, on précise que la feuille de route dévoilée lundi n’est que le début du travail. « Les ateliers se poursuivent et il n’est impossible que de nouvelles filières REP soient encore créées. »