Plan loup: «Pour améliorer la protection des troupeaux, il faut apprendre à connaître le loup»
INTERVIEW Le plan loup 2018-2023 relance les débats autour de la coexistence entre le loup et l’homme. Pour Jean-Marc Landry, éthologue suisse, une des clés de l’équation est dans l’acquisition d’une meilleure connaissance du prédateur…
- Publié lundi, le plan loup 2018-2023 tente de trouver un point d’équilibre entre le loup et les élevages. Le plan d’action a été accueilli froidement tant par les pro que les anti-loups.
- L’éthologue suisse, Jean-Marc Landry, salue cependant le souci du plan d’améliorer nos connaissances scientifiques sur le prédateur.
- « Un point essentiel pour protéger efficacement les troupeaux », estime Jean-Marc Landry, qui répond aux questions de 20 Minutes.
Loup versus élevage… L’équation est-elle insoluble ? Faut-il forcément choisir entre l’un ou l’autre ? Le plan loup 2018-2023, publié lundi par le gouvernement, tente de trouver cet équilibre entre d’une part la préservation du loup, de retour en France depuis 1992 et dont la population est aujourd’hui estimée à 360 individus, et d’autre part la protection des éleveurs confrontés à de nombreuses attaques sur leurs troupeaux de brebis. On parle de 11.700 bêtes tuées en France l’an dernier par le canidé.
Ce plan loup a été accueilli froidement tant par les éleveurs que par les associations de défense du loup. Les premiers demandent le droit de pouvoir abattre systématiquement le loup qui attaque. Les seconds regrettent l’entêtement du gouvernement dans les tirs de prélèvements indifférenciés. Jean-Marc Landry, éthologue suisse, qui étudie la biologie des loups dans le sud-est de la France, voit tout de même plusieurs bons points dans ce plan loup. À commencer par « celui de reconnaître, notre besoin d’accroître nos connaissances scientifiques sur le loup ». Jean-Marc Landry répond aux questions de 20 Minutes.
Pour protéger nos élevages du loup, le premier enjeu est-il d’accroître notre connaissance du prédateur ?
C’est un enjeu primordial oui et il est bon que le plan loup en tienne compte. C’est la première fois qu’un plan manifeste cette volonté d’acquérir de la connaissance sur la biologie du loup, sur l’efficacité des moyens de prévention, l’impact du loup sur les populations d’ongulés sauvages… En France, l’ONCFS (Office national de la chasse et de la faune sauvage) a mis en place l’un des meilleurs systèmes en Europe de comptages et de suivi de la population de loups. C’est très bien, mais il faut aller plus loin aujourd’hui en augmentant la transparence des résultats. Pour améliorer la protection des troupeaux, il faut aussi apprendre à connaître le prédateur. Nous y travaillons au sein de la fondation que j’ai créé. Avec des caméras thermiques, nous suivons depuis cinq ans plusieurs meutes de loups en Alpes-Maritimes et dans le Var, notamment dans leurs interactions avec les troupeaux et les systèmes de protection (essentiellement les chiens de protection). Nous sommes en train de faire plein de nouvelles découvertes sur la manière de fonctionner du prédateur dans le système agropastoral.
Qu’est-ce que nous avons encore besoin d’apprendre sur le loup ?
À peu près tout. Avant nos études de terrain, je me représentais la meute de loups comme une cellule familiale très soudée. C’est-à-dire ne se quittant jamais, où les grands frères s’occupent des petits… Pas du tout, la meute est une structure très élastique. Il y a un noyau dur-le père et la mère- qui s’occupe des louveteaux. Puis se greffent un ou deux autres adultes ou subadultes [adolescents], mais la relation de ces derniers à la meute est relativement lâche. Contrairement à ce qu’on laisse croire, nous avons observé que les loups attaquent rarement en meute les troupeaux. Mais en solitaire ou à deux. Et quand ils sont plusieurs, les attaques ne sont pas concertées. Les personnalités sont aussi différentes. Certains loups, comme intimidés, restent en retrait lors des attaques. Certaines meutes côtoient aussi des troupeaux sans nécessairement les attaquer. Cela amène une foule de questions : Quels loups attaquent les troupeaux de brebis ? À quelle fréquence ? Est-ce surtout les subadultes (des adolescents) qui apprennent à chasser en s’attaquent à ces proies plus vulnérables que les ongulés sauvages ? On peut même pousser plus loin la réflexion. L’été, il y a environ deux à trois fois plus de brebis que de proies sauvages sur les territoires du loup. Comment se fait-il alors que les loups n’attaquent pas plus les troupeaux ?
Le loup préfère-t-il les proies sauvages ?
C’est ce qu’on pense oui. Le régime du loup est composé grosso modo à 80 % d’animaux sauvages [les ongulés notamment : cerfs, chevreuils, chamois, mouflon…] et à 20 % d’animaux domestiques. Le loup peut alors se révéler très utile pour préserver la biodiversité et les écosystèmes. La réintroduction du loup dans le parc de Yellowstone, aux Etats-Unis, en 1995, en est un très bon exemple. Le canidé a permis de réguler la population de wapitis dont l’abroutissement abîme les forêts et déstabilise les berges. Cette réintroduction du loup a eu une cascade d’effets bénéfiques. Yellowstone est un cas atypique : un grand parc naturel, sans élevages donc, sur un plateau à 2.000 mètres d’altitude. Mais la présence du loup pourrait aussi avoir des impacts positifs similaires dans certaines régions françaises. Nous n’avons jamais autant d’ongulés qu’aujourd’hui au point qu’ils posent parfois problème. Dans les Vosges notamment. Le plan national encourage justement les études de l’influence du loup sur les écosystèmes.
La FNSEA, premier syndicat agricole, demandait qu’à chaque attaque, l’éleveur puisse tuer le loup en cause « pour apprendre aux autres ce qui se passe quand on s’approche des troupeaux ». Le raisonnement est-il bon ?
Nous manquons encore de connaissances sur ce point, mais les loups, comme de nombreux animaux sociaux, sont vraisemblablement capables d’apprendre les uns des autres. En revanche, le raisonnement de la FNSEA n’est pas bon. Un animal mort n’apprend rien aux autres. Si dans 70 % des cas, le loup attaque seul le troupeau, vous comprenez bien que si vous le tuez, la meute n’en sera rien ou ne pourra jamais faire la relation entre sa mort et le fait qu’il ait approché trop près un troupeau. Et même s’il est abattu devant la meute, le loup a-t-il les capacités de déduction pour faire un lien entre le coup de feu, la mort d’un congénère et le signal qu’il ne faut plus revenir en ce lieu ? Non. Il faut bien plus trouver un moyen de traumatiser le loup qui attaque le troupeau et s’assurer qu’il fasse bien l’association entre cette sanction et l’attaque. Ce type de peur peut être transmise au reste de la meute quand tous s’approchent du troupeau. Une étude nord-américaine tend à le montrer.
Les stratégies d’effarouchement progressent aujourd’hui ?
Oui bien sûr. De nouvelles idées pointent. Avec mon institut, nous travaillons au développement d’un collier équipant les brebis capable de détecter le stress dû à une attaque et de relâcher alors un puissant répulsif pour faire fuir le loup et lui susciter une expérience désagréable dont il se souviendra à l’avenir. Nous espérons sortir les prototypes pour cet été. Ce type de prévention pourrait être utile dans les systèmes d’élevage incompatibles avec la présence de chiens de troupeaux. D’autres technologies sont à l’étude. Certains regardent du côté des drones par exemple.
Peut-on tendre un jour vers une politique de « zéro abattage » ?
Non, parce que l’objectif zéro attaque est impossible. Il faut donner la possibilité à l’éleveur ou au berger de pouvoir défendre son troupeau en cas d’attaque. Il est même important de pouvoir éliminer les individus qui posent le plus problème, les moins farouches, qui ont pris l’habitude d’attaquer les troupeaux de brebis. C’est ce qu’on appelle les tirs de défense. En revanche, la France persiste dans les tirs de prélèvement, c’est-à-dire des tirs aléatoires en dehors de toute attaque et ne ciblant pas un individu en particulier. L’apprentissage est nul dans ce cas précis et ces « prélèvements » peuvent déstructurer les meutes et pousser les plus jeunes à conquérir de nouveaux territoires. On a parfois fait n’importe quoi ces dernières années. Aujourd’hui, il est temps de sortir des extrêmes qui ont démontré leurs limites et travailler à une troisième voie, celle de la coexistence en travaillant « avec » et non « contre ».