Et si au lieu d'acheter vos vêtements, vous les louiez pour préserver les ressources?
ECONOMIE CIRCULAIRE Tale Me propose en location 8.000 vêtements pour femmes enceintes et jeunes enfants. Un exemple d'économie de fonctionalité, un modèle qui monte...
Vous aurez beau regarder derrière l’étiquette, retourner les manches, plonger de désespoir votre tête dans le vêtement, c’est peine perdue. Tale Me n’affiche jamais les prix. Depuis son lancement en 2014, l’entreprise bruxelloise s’est constitué un stock de 8.000 vêtements pour femmes enceintes et enfants de 0 à 6 ans. Mais elle ne les vend pas, elle les loue via sa plateforme en ligne.
Ne pas se contenter de recycler
Tale Me loue et fait bien plus encore : avec une poignée d’autres pionniers, elle tente de poser les jalons de l’économie de la fonctionnalité, un nouveau modèle économique pensé pour permettre une moindre consommation des ressources naturelles. L’ Ademe (Agence de l’environnement pour la maîtrise de l’énergie) vient d’y consacrer une étude début juin et lui accordera aussi une belle place aux Assises de l’économie circulaire qui s’ouvrent ce mardi à Paris.
Anna Balez, fondatrice de Tale Me, s’est convertie à l’économie de la fonctionnalité il y a plusieurs années déjà. Comme une évidence. Ingénieur chimiste, elle fut un temps consultante en stratégie environnement pour des grandes entreprises. Assez pour se rendre compte que malgré leurs prétentions affichées, peu d’entreprises faisaient réellement de l’économie circulaire. « Bien souvent, elles se contentent de recycler un objet avant de le remettre dans le circuit sans plus s’en soucier. »
Louer plutôt qu’acheter
Cet objet redeviendra un déchet. Très vite même si on prend le cas d’un vêtement pour femme enceinte ou jeune enfant, deux publics dont les tailles changent constamment et qui mettent le tissu à rude épreuve.
Tale Me se veut alors une alternative à ces vêtements qu’on achète pour les porter deux fois avant de les ranger dans le grenier. « C’est Netflix, résume Anna Balez. Le client s’abonne pour quatre mois minimum. Puis, il accède à notre catalogue où il peut louer, suivant la formule prise, un certain nombre de vêtements qu’il peut faire échanger chaque mois. Les livraisons, allers comme retours, se font en point relais près de chez vous. »
Tout intérêt que le vêtement dure longtemps
L’abonnement commence à 19 euros par mois pour les petits et à 29 euros pour les futures mamans et permet de louer trois vêtements par mois. « Les parents ont souvent déjà un petit stock que des proches leur ont donné, poursuit Anna Balez. Nous leur disons juste : louez ensuite ce que vous comptiez acheter. Vous profiterez d’un plus grand nombre de vêtements et de très bonne qualité. »
C’est l’un des piliers de l’économie de la fonctionnalité : « L’entreprise ne cherche plus à produire en volume des biens qu’elle se contente de vendre, expliquent Pierre Galio et Claire Pinet, du service « consommation et prévention » de l’Ademe. Elle propose à son client un service, une performance d’usage, tout en restant bien souvent propriétaire du bien. Elle a donc tout intérêt qu’il dure le plus longtemps possible. »
De l’upcycling pour gommer les tâches et les trous
Tale Me fabrique ainsi 30 % des vêtements de son catalogue. Le reste est produit par des petits créateurs en Europe, « mais nous fournissons toujours le tissu et celui-ci est toujours à faible impact environnemental et de bonne qualité », explique Anna Balez.
Et s’il y a une tache tenace ou un trou, Tale Me confie le vêtement abîmé entre deux locations à son atelier upcycling à Bruxelles. Cet atelier remet au travail cinq couturières diplômées sans emploi depuis les fermetures en cascade des usines textiles belges. A elles alors d’être créative pour gommer les imperfections. « Souvent, j’entends dire des parents m’assurer que tel vêtement est irrécupérable, reprend Anna Balez. Nous, on peut le faire. Nous avons le temps et c’est notre métier. S’il faut faire tremper un vêtement plusieurs jours dans des bains, ce n’est pas un problème. »
Quand Michelin ne vend plus des pneus mais des kilomètres
Certes, sur le papier, l’économie de la fonctionnalité ne semble pas être le plus court moyen pour une entreprise d’engendrer du profit. Tale Me s’en sort bien pour autant. Elle compte 2.000 abonnés un peu partout en Europe, ouvre un « concept store » le 29 juin à Paris*, après celui de Bruxelles et en attendant celui de Berlin. L’atelier upcycling doublera aussi en effectif d’ici la fin de l’année. Quant au stock de vêtements, Tale Me prévoit de le faire passer de 8.000 à 200.000 pièces en 2021. « A chiffre d’affaires équivalent, ça reste bien moins qu’une marque de vêtements classiques », indique Anna Balez.
Reste à savoir si l’économie de la fonctionnalité est applicable à tous les champs de l’économie ? Pierre Galio et Claire Pinet assurent que « oui » et rappellent d’ailleurs que « la location de biens n’est pas la seule façon de faire de l’économie de la fonctionnalité ». Claire Pinet prend ainsi l’exemple de Michelin, confronté à la difficulté de vendre à son juste prix son pneu « Energy » aux transporteurs routiers malgré les baisses de consommation de carburant promis à la clé.
« Michelin a alors songé à une offre alternative, explique-t-elle. Le client ne paie plus le pneu mais le nombre de kilomètres parcouru avec. En parallèle, l’entreprise inclut dans son offre des services pour que la durée de vie des pneus soit la plus grande : des conseils, de la maintenance, des formations à l’écoconduite… »
Les nouvelles générations plus faciles à convaincre ?
Là encore, on sort de la logique de production en volume et de simple vente d’un bien. « Les idées de ce genre foisonnent », assure Pierre Galio avant d’admettre qu’elles ne se feront pas « toutes dans les six mois ». Anna Balez a des raisons d’être optimiste : « Les moins de 30 ans semblent moins attachés à la propriété et les entreprises parlent de plus en plus d’économie de la fonctionnalité. » La preuve, l’entrepreneuse est fréquemment invitée à parler de son expérience dans des grands groupes. De Décathlon à Ikéa.
*Au 10 rue du Paradis à Paris