Le psychodrame, invité des dernières heures aux négociations climat

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Des manifestants défilent devant le Bourget où se tient la COP21 à Paris, le 9 décembre 2015
Des manifestants défilent devant le Bourget où se tient la COP21 à Paris, le 9 décembre 2015 — DOMINIQUE FAGET AFP

Les larmes coulent souvent, et même le sang l'a fait une fois. Tous les ans, les négociateurs de 195 pays se retrouvent pour une conférence mondiale sur le climat, dont les dernières heures mettent les nerfs et la santé des participants à rude épreuve.

«Parfois, il y a des larmes de frustration, de colère. D'autres fois, des larmes de joie», se remémorre Alden Meyer, du think tank américain Union of concerned scientists (UCS), un habitué de ces grands-messes de l'ONU.

Vingt ans après la première «Conférence des parties» (COP1) à Berlin en 1995, Paris accueille depuis dix jours des délégués du monde entier chargés de s'entendre sur les moyens de contenir le réchauffement de la planète.

Ils sont censés terminer leurs travaux vendredi soir. Echaudés par les prolongations des précédentes éditions, négociateurs, observateurs et journalistes se préparent toutefois à repousser leurs limites.

«Le manque de sommeil vous rattrape après deux ou trois nuits blanches, prévient Alden Meyer: vous êtes comme dans un nuage, vous ne pensez plus clairement, vous avez mal à la tête, vous ne savez plus quel jour vous êtes.»

Dans l'espoir de voler de courts instants de sommeil, «je viens toujours avec mon masque pour les yeux, mes bouchons d'oreilles et un petit oreiller», confie-t-il à l'AFP. 

- 'un enfer' -

Le cadre des discussions rend quasiment inévitable ces négociations à rallonge, qui ont tout de la partie de poker. Les décisions sont en effet prises par «consensus», c'est-à-dire qu'elles doivent recueillir un très large soutien.

Les dernières heures sont donc cruciales pour s'assurer de l'assentiment général et mettent les participants sous une forte pression.

Lors de la COP13 à Bali, le haut responsable de l'ONU pour le climat Yvo de Boer avait fondu en larmes devant des milliers de délégués, quand les Etats-Unis avaient tenté de bloquer un accord.

Deux ans plus tard, à Copenhague, la négociatrice du Venezuela Claudia Salerno avait agité une main tachée de rouge, déclarant que les pays en développement en étaient réduit à «se couper la main et saigner» pour obtenir la parole.

«Les dernières heures de toutes les COP sont un enfer», estime aussi Mohamed Adow, de l'ONG Christian Aid, qui soutient les pays pauvres dans les négociations.

«Il y a beaucoup d'émotions parce que les décisions peuvent potentiellement porter sur la vie ou la mort de millions de gens», ajoute ce militant, qui a déjà suivi six COP.

- 'A même le sol' -

Tasneem Essop du Fonds mondial pour la nature WWF se rappelle de l'édition 2011 de la COP, à Durban, en Afrique du Sud, qui détient le record des plus longues prolongations: deux nuits pleines. 

A l'heure de la session finale, le dimanche, son équipe n'avait plus qu'une chose en tête: voler un peu de sommeil.

«On dormait à l'arrière de la salle plenière, à même le sol, se rappelle-t-elle. Les applaudissements nous réveillaient parfois, on vérifiait qu'il ne se passait rien et on s'assoupissait à nouveau.»

Autre expérience traumatisante pour nombre de délégués: la COP 2009 à Copenhague, qui avait échoué à produire un accord limitant les émissions de gaz à effet de serre.

Soucieuse de ne pas répéter ce scénario, la présidence française de la COP21 a mis au point une méthode de travail très rigoureuse, fixant des échéances régulières aux négociateurs, qui les ont pour l'instant tenues. «C'est assez irréel, juge Tasneem Essop. Ca ne s'était jamais produit.»

Ce qui n'empêche pas les participants d'être sceptiques sur la fin des travaux, prévue vendredi à 18H00 locales. «Les poules auront des dents» quand une conférence climat terminera à l'heure, ironise un négociateur.

Pour Mohamed Adow, à l'approche de l'échéance, il sera difficile de décider «s'il faut aller au lit ou rester sur place au cas où ça finirait abruptement au milieu de la nuit.»

Sans illusion, il ajoute: «Comme les mises vont augmenter dans les dernières heures et que les Etats vont accélérer leur jeu, je m'attends, comme d'habitude, à un drame de haute intensité.»