Comment Paris compte créer 300 hectares d’espaces verts… (et est-ce bien réaliste ?)

ENQUETE L’objectif, inscrit dans le projet de Plan local d’urbanisme, est d’autant plus controversé qu’il apparaît, comme l’a découvert « 20 Minutes », calculé sur une préconisation de l’Organisation Mondiale pour la Santé… qui n’en est pas une

Aude Lorriaux
— 
Paris le 12 avril 2011
Paris le 12 avril 2011 — A. Gelebart
  • La Mairie de Paris a annoncé fin mai vouloir créer ou ouvrir au public 300 hectares d’espaces verts supplémentaires. Mais comment va-t-elle s’y prendre ?
  • Incitation au privé, négociations avec l’Etat pour ouvrir des jardins réservés à l’administration, extension de parcs existants… Les outils sont nombreux, mais le chantier apparaît toutefois « herculéen » voire « irréaliste » pour nombre d’observateurs et d’observatrices.
  • L’objectif est d’autant plus controversé qu’il apparaît, comme l’a découvert 20 Minutes, calculé sur une soi-disant préconisation de l’Organisation Mondiale pour la Santé, qu’elle récuse : « Ce n’est pas une recommandation officielle. »

« Des travaux de type haussmannien. » C’est ainsi qu’Emile Meunier, conseiller de Paris du groupe Les Ecologistes, qualifie l’objectif de la Mairie de Paris de créer, d’ici 2040, 300 hectares d’espaces verts ouverts au public dans la capitale, soit l’équivalent de plus de 400 terrains de football, voire 600 selon lui. Annoncé à l’occasion du vote du projet de nouveau Plan local d’urbanisme (PLU) fin mai, le chiffre fait grincer des dents du côté de certaines associations écologistes, qui n’y voient que du vent, et suscite bien des controverses quant à son contenu réel, à tel point que la très sérieuse Autorité environnementale a poliment recadré l’exécutif.

Le chiffre n’est pas gravé dans le marbre des promesses du projet de PLU, mais le nouveau texte indique dans ses orientations vouloir « préserver et augmenter le réseau d’espaces verts, de parcs et de jardins, pour viser d’ici 2040 le ratio de 10 m² d’espaces verts ouverts au public par habitant préconisé par l’Organisation mondiale pour la santé (OMS) ». Or, les Parisiens et Parisiennes ont en moyenne aujourd’hui 8,2 m2 par habitant, en comptant les deux bois de Boulogne et de Vincennes, qui relèvent aujourd’hui administrativement de la ville. Sans les bois, le ratio tombe à moins de 3 m2.

52 hectares dans le PLU

Pour parvenir à ces 10 m2 par habitant, en comptant les bois, il faudrait créer 304 hectares, selon une note de l’Apur de mai 2022. Un chantier colossal, puisque entre 2006 et 2021, seulement 77,7 hectares ont été créés. Ce qui signifie que la mairie va devoir multiplier son rythme de création d’espaces verts par trois ou quatre, en passant d’environ 5 hectares par an à près de 18. Est-ce réaliste ? Et comment la mairie va-t-elle s’y prendre ?

Pour obtenir 300 hectares d’espaces verts au public, il y a essentiellement deux façons de faire : créer des espaces verts, ou ouvrir des espaces existants. Le PLU bioclimatique projette de créer environ 52 hectares de parcs et jardins nouveaux, au travers des opérations d’aménagement programmées, ou du « pastillage » de certains espaces (des emplacements réservés par la Mairie de Paris pour les transformer en espaces verts lors de la revente). Mais quid des 250 hectares restants, qui ne sont pas précisés ?

Incitation au privé et négociations avec l’Etat

A court terme, le Premier adjoint Emmanuel Grégoire explique avoir une trentaine d’hectares d’ores et déjà ciblés d’ici 2026. Pour le reste, il mise beaucoup sur l’incitation au privé créée par le projet de PLU, qui prévoit que chaque parcelle au-dessus de 150 m2 devra inclure jusqu’à 65 % de pleine terre au sol. Sur les 300 hectares, Emmanuel Grégoire estime qu’une « bonne centaine » sera prise en charge par la puissance publique, le reste « dépendant des acteurs privés ». La concession Renault-Nissan à Picpus (12e), qui doit laisser la place à un nouveau quartier d’habitation, pourrait ainsi accueillir un parc de 4.500 m2 ouvert au public, si les négociations aboutissent dans le bon sens, indique Emmanuel Grégoire, à titre d’exemple.

Outre cette incitation du privé, le Premier adjoint mise aussi sur les nombreux espaces verts qui existent au sein des équipements de petite enfance, de l’enseignement supérieur, des équipements sportifs et autres bâtiments administratifs, qui pourraient à terme être pour certains ouverts au grand public, ou être verdis et ensuite ouverts au public. « Le jardin du Val-de-Grâce sera ouvert au public avant fin de la mandature », annonce ainsi à 20 Minutes le premier adjoint. L’Atelier parisien d’urbanisme (Apur) a réalisé une étude sur le sujet en 2021, dans laquelle il indique avoir repéré au sein des institutions parisiennes « 1.145,2 hectares de surface d’espace libre non végétalisé » qui pourraient pour partie être transformés. De même des cours intérieures d’immeubles, dites « cœur d’îlot », qui pourraient être ouvertes au public. « Le 12e arrondissement totalise plus de 40 hectares de végétation en cœur d’îlot », nous apprend ainsi l’Apur.

Très investi dans le projet de PLU, le conseiller municipal écologiste Emile Meunier estime qu’il faudra « enterrer la hache de guerre pour travailler avec l’Etat », qui garde encore la main sur certains quartiers, comme l’avenue Foch, où le conseiller estime possible de créer au centre « 6 hectares d’un coup ». Il serait possible aussi de « dilater » et d’étendre certains parcs existants, comme le parc de Bercy, en réduisant la voirie.

« Personne ne croit aux 300 hectares »

Mais un tel objectif, qualifié d’« herculéen » par Emile Meunier, est-il seulement réaliste ? Car chez les opposants de la majorité et même au sein de certaines associations écologistes, le chiffre suscite des moues dubitatives. Le groupe Changer Paris (Les Républicains) le qualifie d’« objectif irréaliste et complètement démagogique ». « Ce n’est pas réaliste, car il n’y a ni les budgets ni l’argent », critique Christine Nedelec, de France Nature Environnement Paris. « Personne ne croit aux 300 hectares, ils savent très bien qu’ils n’y arriveront pas, il n’y a aucune chance que cela advienne », tacle Yves Contassot, ancien adjoint de Bertrand Delanoë, chargé de l’environnement.

Plus policée mais directe, la mission régionale de l’Autorité environnementale, qui a rendu son avis sur le projet de PLU parisien le 13 septembre dernier, recommande de « démontrer de manière spatialisée la capacité du tissu parisien, avec les moyens mis en œuvre par le PLU (…) d’ouvrir au public près de 300 hectares d’espaces verts supplémentaires ».

Des espaces « végétalisés », et pas des « espaces verts » ?

Emmanuel Grégoire reconnaît avoir conscience qu’il s’agit d’un objectif « très ambitieux », mais juge l’objectif « réaliste ». Interrogé sur le détail de sa feuille de route, où l’on trouve aussi bien des parcs que des pelouses sur dalle, le premier adjoint nuance toutefois l’objectif : « Il ne s’agit pas d’hectares d’espaces verts, mais d’espaces végétalisés [contrairement à ce qui a été annoncé lors de la présentation du PLU, où l’exécutif parlait bien de « 300 hectares d’espaces verts »] ». « La norme de l’OMS ce ne sont pas forcément des hectares où l’on peut se promener, elle ne fait pas la différence entre 10 m2 de pelouse ou de bois », complète-t-il.

Contactée par nos soins, l’Organisation mondiale de la santé précise qu’il n’existe pas de définition universellement acceptée d’un « espace vert », qui peut inclure aussi bien des espaces avec une « surface naturelle », des arbres en ville ou même des mares ou des lacs. « La norme de l’OMS n’est pas l’alpha et l’omega », lâche aussi Emmanuel Grégoire, qui insiste pour dire que « l’objectif, c’est de la végétalisation ». « Alors n’appelons pas ça espace vert. Et ne disons pas qu’on respecte les normes de l’OMS. On entretient des confusions qui empêchent de donner une image de la réalité conforme », critique Yves Contassot.

Un compteur d’espaces verts sur la façade de l’Hôtel de ville

De peur que cet objectif ne passe à la trappe, ou ne soit minimisé, le groupe écologiste au Conseil de Paris a installé un compteur d’hectares d’espaces verts sur leur site, qui à ce jour est à zéro, et pousse pour installer un tel compteur sur le fronton de l’Hôtel de Ville. Ils ont aussi déposé un vœu au dernier Conseil de Paris, qui demandait notamment « une définition et une identification précise des 300 hectares d’espaces verts ouverts au public, par typologie, avec un calendrier de réalisation, une méthodologie et des engagements crédibles pour leur réalisation » ainsi qu’un « plan pluriannuel de financement de ces espaces verts ». Ce voeu, repris par l'éxécutif, a fait disparaitre la mention de l'OMS et s'engage à « élaborer une planification rigoureuse ». 

« C’est faisable à condition d’avoir le feu sacré, mais je pense qu’Hidalgo n’a plus le feu sacré, et je pense qu’ils ne sont pas prêts à avoir un compteur d’espace vert sur leur table de chevet », tacle Emile Meunier. De fait, l’idée d’un compteur déclenche plus de rires que d’enthousiasme chez Emmanuel Grégoire, pour lequel il faudrait sinon installer « beaucoup de compteurs sur l’hôtel de ville, pour le logement social, la pauvreté… » « Je ne veux pas qu’on s’arc boute sur cet objectif de 300 hectares, mon objectif c’est de créer un PLU bioclimatique au service d’un enjeu environnemental historique », avance le Premier adjoint.

Les 10 m2 ne sont « pas une recommandation officielle » de l’OMS

De fait, et c’est surprenant, l’Organisation mondiale de la santé elle-même, contactée par 20 Minutes, se défend d’avoir jamais recommandé cette norme de 10 mètres carrés par habitant… « La mention des 10 m2 par habitant a pu faire partie de documents de l’OMS où plusieurs recommandations étaient en débat, mais ce n’est pas une recommandation officielle. Un nombre standard de mètres carrés par personne risquerait d’être trompeur, puisque les espaces verts devraient idéalement être à proximité et accessibles au public, et pas seulement de vastes espaces en banlieue, qui sont plus difficiles d’accès », nous explique l’OMS, qui insiste sur l’importance de « petits espaces verts partout dans une ville, à cinq-dix minutes à pieds ».

C’est aussi l’avis de l’Autorité environnementale, qui estime que le ratio de 10 m2 d’espaces verts ouverts au public par habitant est un indicateur « pas suffisamment robuste pour évaluer l’accessibilité des espaces verts pour le public, et pourrait être utilement remplacé par une série d’indicateurs préconisés par l’OMS, fondés notamment sur la distance aux espaces verts, leur taille et leurs horaires d’ouverture ».

Interrogé par 20 Minutes sur cette préconisation de l’OMS qui n’en est pas une, Emmanuel Grégoire nous répond ceci : « Je suis très surpris » avant d’ajouter que cela n’aura « aucun impact » sur le PLU, et qu’il a « toujours su que cela n’était pas une norme robuste ».

« Il faut protéger ce qu’on a déjà »

Contesté par l’OMS elle-même, raillé par les associations environnementales qui le jugent irréaliste, l’objectif de 300 hectares va-t-il disparaître du texte final du PLU ? D’autres objectifs sont par ailleurs pointés du doigt, comme celui qui fixe 40 % d’espace désimperméabilisé d’ici 2040. « C’est un peu moins que la somme des deux bois. C’est un vœu pieux », résume Yves Contassot.

D’autant que pour beaucoup de défenseurs de l’environnement, le véritable enjeu ne serait pas la création ou l’ouverture d’espaces verts, mais la préservation de l’existant, alors que les coupes d’arbres sur le territoire parisien sont de moins en moins acceptées par la population. « Il faut protéger ce qu’on a déjà. Dédensifier, débitumer c’est coûteux, et le sol que vous récupérez n’est pas de bonne qualité », estime Christine Nedelec, présidente de France Nature Environnement Paris, qui compte bien apporter ses suggestions pendant la phase de l’enquête publique, tout au long de l’année 2024. Avant le vote final du PLU, à la fin de l’année prochaine.