« Le smic en Ile-de-France devrait être à 9 % de plus », revendique Valérie Pécresse
INTERVIEW exclusive La région s’apprête à voter mercredi 40 propositions pour décentraliser l’Ile-de-France, parmi lesquelles cette idée d’un smic régional
- Valérie Pécresse va demander à l’Etat un « choc de décentralisation », soit un droit à la décision dans des thématiques qui concernent particulièrement l’Ile de France
- La présidente du conseil régional d’Ile-de-France envisage notamment une forte augmentation du smic dans son territoire et des droits étendus dans le domaine de la santé et de l’environnement.
- Elle détaille ses propositions en exclusivité pour 20 minutes.
C’est une première pour une collectivité : le conseil régional d’Ile-de-France s’apprête à proposer à l’Etat d’acquérir une grande part d’autonomie, avec 40 propositions résumées par Valérie Pécresse, la présidente de l’institution, comme un « choc de décentralisation ». Ces demandes font suite à un vœu de la majorité et à une mission confiée à Jean-François Vigier, le président du groupe UDI Île-de-France, qui a auditionné de nombreux experts et expertes. Elle aboutit aujourd’hui à ce que la région saisisse directement l’Etat, conformément à ce que lui permet la récente loi 3DS, qui octroie aux collectivités un droit à la différenciation et un droit à l’expérimentation.
« Ambitions de baronne régionale », « balkanisation de la république », « coup politique », « opération sans concertation »… Ses opposants ne mâchent pas leurs mots mais la présidente de l’Ile-de-France ne se laisse pas faire, jugeant « absurde » de ne pas pouvoir investir plus dans l’hôpital, exclure définitivement des transports les auteurs multirécidivistes de vols et violences sexuelles ou encore mieux rémunérer le smic des Franciliens et Franciliennes, sa proposition phare.
Vous saisissez l’Etat pour un « choc de décentralisation en Île-de-France ». Pourquoi maintenant et pourquoi c’est important selon vous ?
La France reste le pays le plus centralisé d’Europe. Les grandes lois de décentralisation ont 50 ans et le système est à bout de souffle, parce qu’il y a un enchevêtrement d’échelons administratifs, de l’empilement, du financement croisé, et tout cela fait perdre du temps et de l’efficacité territoriale… Et les régions sont toutes différentes et ont toutes des spécificités. On ne peut pas agir de la même façon selon qu’on est en Bretagne, en Corse, ou en Ile-de-France. Ce ne sont pas les mêmes problématiques, pas les mêmes perspectives d’emploi, pas le même coût de la vie, etc. On est le premier désert médical français, nous avons la moitié des quartiers les plus pauvres de France. C’est idiot de plaquer une réalité politique nationale sur des territoires qui ont d’énormes spécificités. Ce n’est pas un acte de défiance, c’est une main tendue au gouvernement pour qu’il lâche prise et nous délègue. On veut oser l’expérimentation, c’est-à-dire des nouvelles politiques à l’échelle d’un territoire et oser la différenciation.
Parmi les propositions, vous voulez créer un smic régional francilien : pourquoi et à combien voulez vous le fixer ?
On le fixerait par concertation avec les partenaires sociaux, mais la réalité est claire : le niveau des prix à la consommation en Ile-de-France est supérieur de 9 % au reste de l’Hexagone. Un salarié rémunéré au smic qui loue un studio à Créteil ça lui coûte 51 % de son revenu alors que ça lui coûterait 25 % à Limoges. Nous avons un smic qui n’offre pas le même reste à vivre. Et c’est un problème pour les travailleurs essentiels, qui ne peuvent pas se loger en Île-de-France. On repousse en dehors de la région des personnes qu’on devrait loger chez nous.
La hausse du smic n’est pas tellement un problème pour les entreprises, car comme elles ne trouvent pas au smic, elles augmentent les salaires, sauf certains grands groupes qui ont des grilles de salaire nationales. Le problème c’est pour la fonction publique de l’Ile-de-France : l’hôpital, les écoles, les agents de sécurité… Ils ont les plus petits salaires. Et après, on dit qu’on ne trouve pas d’aides-soignantes, mais comment voulez-vous faire ? Il faut que l’État comprenne qu’il ne peut pas rémunérer des agents publics au même tarif à Paris qu’ailleurs.
Ne craignez-vous pas des effets pervers, notamment une forme de dumping social avec une mise en concurrence des régions, chacune essayant de baisser le smic pour attirer les travailleurs ?
Si je veux un smic régional c’est pour qu’il soit plus élevé en Ile-de-France. L’Etat peut très bien décider de ne donner cette option qu’aux régions qui vont augmenter le smic. Est-ce que c’est normal, digne et admissible d’importer des travailleurs essentiels des autres régions - de l’Oise, de l’Eure-et-Loir, voire de l’Eure - parce qu’ils ne peuvent pas se loger en Île-de-France ? Je comprends que cela gêne mes opposants qu’une femme de droite puisse dire « je voudrais des salaires dignes dans ma région », cela va les priver d’un argument.
Ne craignez-vous pas que la hausse du smic attire des milliers de travailleurs et travailleuses, alors que la région est déjà très peuplée ?
La vérité c’est qu’on est en tension sur tous les métiers : sur la garde d’enfant, dans les Ehpad, on n’a plus personne ! Et que se passe-t-il aujourd’hui ? Ce sont beaucoup de travailleurs clandestins qui font les travaux en Île-de-France. Et ils n’ont pas de droit à la retraite, à l’assurance maladie, à la maternité…
De combien l’augmenteriez-vous, ce smic régional ?
Je vous ai donné un indice : le coût de la vie c’est 8,8 % de plus en Ile-de-France. Si on voulait la parité de pouvoir d’achat dans toutes les régions, le smic devrait être à 9 % ou 8,8 % de plus en Ile-de-France. Mais je ne veux pas m’engager sur ce chiffre, je ne préempte pas la discussion avec les partenaires sociaux.
Vous voulez « régionaliser la gouvernance de l’assurance chômage en Île-de-France » et « régionaliser Pôle emploi » Est-ce que cela veut dire que vous voulez agir sur la durée et le montant de certaines aides aux chômeurs et chômeuses ?
Ce n’est pas ma priorité, car il y a déjà eu une réforme faite par le gouvernement. Ma priorité c’est l’activation des dépenses de formation pour l’emploi, car nous dépensons trop d’argent et nous avons trop de formations ouvertes et pas assez de résultats. Sur les formations rémunérées, nous n’avons que 40 % de taux d’emploi derrière, ça n’est pas normal. On a des jeunes qui enchaînent les formations rémunérées sans prendre les emplois derrière. Il faut fixer d’autres règles du jeu.
Quand quelqu’un a été payé pour suivre une formation, il faut que la personne s’engage à prendre l’emploi qu’on lui propose ou sinon qu’elle rembourse la formation qu’on lui a payée. C’est super de mettre des jeunes dans des formations parking mais tout le monde recrute en Ile-de-France, et on a encore 7 % de chômage. Si vous regardez toutes les capitales, elles sont toutes en dessous de 5 %. Cela vient aussi de cette question de salaire : évidemment si on ne rémunère pas au bon prix le travail, les gens ne le prennent pas.
Pourquoi vouloir créer des écoles primaires autonomes sous contrat ?
Parce que je crois beaucoup à l’autonomie d’établissements avec des pédagogies différenciées, pour des jeunes qui ont des difficultés d’apprentissage. Je pense notamment aux jeunes qui parlent mal le français, ou aux enfants dont les parents ne sont pas de langue maternelle française. Il faut des pédagogies différenciées pour eux. Donc je voudrais qu’on m’autorise à créer de manière expérimentale des écoles dans les quartiers les plus difficiles d’Île-de-France, mais je voudrais que ce soient des écoles publiques. Car cela existe, mais elles sont privées et très chères. Dans ces écoles, c’est la région qui recruterait les enseignants et on ne sélectionnerait pas les enfants mais en revanche si l’enfant ne respecte pas les règles de l’école, alors on l’exclut. C’est comme les écoles à charte dans les pays nordiques, il y aurait un contrat passé entre l’école et les parents. Je suis passionnée par les sujets d’éducation depuis des années et je piaffe de pas pouvoir essayer quelque chose au niveau de la région.
Certains disent que pour lutter contre le coût de la vie, vous pourriez baisser le Navigo ou les tarifs des cantines, plutôt que d’instaurer une France à deux vitesses. Que leur répondez-vous ?
Je ne fais que cela. Le vrai prix du pass Navigo c’est 240 euros, je le subventionne à 65 %. Et je vous rappelle que les travailleurs essentiels n’habitent pas en Ile-de-France, donc ils n’ont pas de Navigo. S’agissant des cantines, c’est la quatrième année que je gèle les tarifs. Mais ça ne suffit pas, le vrai coût c’est le logement, et je n’ai pas de compétence logement, et il y a des tas de choses que je ne maîtrise pas.
Pourquoi n’avoir pas formulé ces propositions en vous coordonnant avec les autres régions, la Ville de Paris, les départements, et tous les autres acteurs politiques d’Île-de-France ?
Mais je ne pique aucune compétence aux départements, ils font ce qu’ils veulent. Si les départements ont envie de faire des choses, alors qu’ils le proposent. Personne ne demande rien, ne propose rien, et là je propose un truc et c’est mal parce que j’aurais dû proposer avec les autres ? La seule chose peut-être [que je veux récupérer] c’est la présidence de l’Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) [la présidente du conseil de surveillance de l’AP-HP est actuellement Anne Hidalgo, maire de Paris]. Je voudrais investir plus dans l’hôpital mais je ne peux pas le faire car je ne préside pas l’AP-HP alors qu’aujourd’hui l’AP-HP est dans toute la région : à Villejuif, à Clamart, à Boulogne, à Versailles… C’est absurde.
Les soutiens régionaux de la majorité vous reprochent de ne pas attendre les propositions de la Première ministre Élisabeth Borne sur le sujet avant de vous exprimer [censées arriver début octobre]…
Cela fait cinq ans qu’on attend les propositions de Macron, il n’a pas été élu l’année dernière. La loi 3DS m’autorise à demander des nouvelles compétences. C’est terrible ce pays où ceux qui prennent des initiatives, se font engueuler !
Que va-t-il se passer maintenant ? L’Etat peut-il accepter seulement une partie de vos propositions ?
J’ai entendu le président dire qu’il voulait un choc de décentralisation, je n’imagine pas qu’il puisse dire non. Sauf si sa volonté de décentralisation est un enfumage. Par exemple on nous donne l’agence Oriane [agence francilienne dédiée à l’orientation] mais on nous dit que nous n’avons pas le droit d’aller dans les collèges, ça sert à quoi ?
Vous voulez « laisser la région Île-de-France définir les règles de performance énergétique et de rénovation des logements », pourquoi ?
Il faut qu’on adapte les règles à l’Ile-de-France. Quand on nous dit que les surfaces de moins de 20 m2 on ne pourra plus les louer dans deux ans… [Selon l’INSEE, près des deux tiers des logements de moins de 40 m² sont étiquetés comme des passoires énergétiques, classées E, F ou G, qui sont progressivement interdites à la location, en 2025, 2028 et 2034] On n’a pas les moyens de rénover d’ici deux ans toutes les petites surfaces, ça n’est pas vrai, on ne le fera pas ! Donc ça fait peur à tous les locataires et le risque c’est que toutes les personnes âgées ou les étudiants et les jeunes couples ne puissent plus rien louer. Il faut que les règles s’adaptent à la spécificité de la ville.