Nanterre : Deux mois après la mort de Nahel, le feu est éteint mais les braises sont incandescentes
SOCIÉTÉ La mort du jeune Nahel avait provoqué des émeutes dans toute la France au mois de juillet dernier
- Le 27 juin 2023, le jeune Nahel, originaire du quartier Pablo Picasso à Nanterre était tué par un agent de police pour refus d’obtempérer lors d’un contrôle de police à proximité de la préfecture des Hauts-de-Seine.
- Deux mois après sa mort qui avait provoqué de violentes émeutes dans toute la France, le quartier Pablo Picasso et Nanterre ont retrouvé le calme. Mais les habitants assurent que les revendications des émeutiers n’ont pas été entendues et que la situation ne s’est pas améliorée.
- Associations et riverains appellent les autorités à « faire quelque » chose pour améliorer la situation et à ne pas jeter d’huile sur le feu.
Sous un soleil de plomb, le quartier Pablo Picasso vit tranquillement ce mardi matin de rentrée. Entre les allers-retours dans les commerces de bouche et les quelques badauds qui sirotent un café en terrasse, on peine à croire que l’incendie qui a frappé la France à la fin du mois de juin, s’est allumé ici. Pourtant, entre les arrêts de bus cassés, un transformateur à moitié cramé et des tags de révolte à tous les coins de rue, les stigmates sont encore bien présents deux mois après la mort du jeune Nahel, tué par un agent de police le 27 juin 2023 à Nanterre, un événement qui entraînera des émeutes un peu partout en France.
« Une blessure qui a arrêté de saigner, mais elle n’est pas cicatrisée »
« C’est le calme après la tempête, s’amuse Alban, et sans doute avant une prochaine. » Habitant depuis douze ans à quelques rues de la cité d’où était originaire Nahel, il sait que la sérénité apparente n’est que temporaire : « C’est une blessure qui a arrêté de saigner, mais elle n’est pas cicatrisée pour autant. »
Adia ne peut qu’abonder. Tout en tricotant assise sur l’avenue Pablo Picasso, elle commente : « La vie a repris son cours normal. Mais les traces des émeutes sont partout. On pourrait croire qu’ils font exprès de ne pas vouloir effacer les dégâts. » Pour exemple, elle cite les nombreuses cartouches de LBD qui parsèment encore le parc départemental André Malraux à quelques pas.
La « rage » toujours présente
« Les policiers sont quand même plus gentils depuis. Maintenant, ils disent bonjour en passant. Avant, c’était réservé aux jeunes filles élégantes. » Seul changement notable selon Adia. Mais si les relations avec « certains » membres des forces de l’ordre se sont adoucies, la défiance envers la police n’a pas changé pour Loubna Benazzi, directrice de l’association Authenti-cité, dont le local se trouve sur l’avenue : « Même quand on en a besoin, on a peur de faire appel à eux parce qu’on ne sait pas comment ça va se passer. Avant Nahel, plusieurs jeunes ont subi des contrôles abusifs, ils ont été pris en photo par des policiers, sans que l’on sache pourquoi. Certains sont traumatisés. »
Selon Loubna Benazzi, ces comportements ont alimenté « la rage » que certains jeunes du quartier ont au ventre. « La mort de Nahel a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Aujourd’hui, c’est plus calme mais cette rage n’a pas disparu, parce que la situation n’a pas changé. » Pour preuve, elle raconte ce tag « Justice pour Nahel » réapparut sur la Tour 11 de la cité dimanche : « À chaque fois qu’il est nettoyé, il revient de nouveau. C’est cela qu’il faut comprendre. »
Assis sur les marches de la mairie de quartier, Amine, 22 ans, explique cette attente des habitants, et surtout des jeunes de Nanterre : « On ne lâchera pas ce combat. Parce que trop de choses ne vont pas ici. On ne trouve pas de travail, on est traités comme de la m…. C’est ce que ça veut dire. Et ça commence par avoir le droit à la même justice que les autres. »
Briser le déterminisme
Devant la médiathèque des Fontenelles, à quelques mètres d’où s’était lancée la marche blanche pour Nahel, le 2 juillet dernier, Mounia confirme les difficultés des jeunes du quartier. Même son fils, en études supérieures dans le commerce, craint de ne pouvoir trouver un stage ou du travail du fait de son manque de réseau et de son adresse : « Quand on lui demande où il habite, il répond ''La Défense'', ça passe mieux. » Une situation qui « le mine ».
Martin*, professeur au Lycée Joliot-Curie, touché par des événements de violence à la rentrée dernière, constate le désarroi de ces jeunes : « Même certains élèves brillants des quartiers finissent par intégrer ce déterminisme. Ils sont nés là donc devront obligatoirement ''finir'' là. C’est désespérant pour eux, et c’est ce qui explique la révolte. Les événements de juillet n’y changent rien, et ça, ils en ont conscience. »
C’est aussi pour lutter contre ce fatalisme que l’Authenti-cité existe. L’association propose de l’accompagnement scolaire, fait office d’écrivain publique pour les personnes en difficulté et distribue des repas, propose aussi des activités ludiques pour les enfants pendant les vacances scolaires et les mercredis : « Mais aussi des fêtes comme celle que nous avons organisées pour les jeunes diplômes, du bac, de BTS ou de Master du quartier. Pour les célébrer, mais aussi pour ouvrir les autres jeunes à d’autres choses. Leur montrer qu’il ne faut pas s’enfermer. »
Un appel aux élus
Malgré ce positivisme, Loubna Benazzi continue de voir un futur trouble : « Les subventions baissent, et avec l’inflation, le coût de la vie devient insupportable pour beaucoup de gens, ça ne fait qu’empirer ». Les salariés comme les bénévoles de l’association aimeraient voir un peu plus souvent les médias et les élus en dehors des périodes de trouble : « Les rares fois où ils viennent, c’est pour nous dire '' c’est bien, continuez ''. Mais ils ne font rien de plus pour nous aider. »
Pire, selon Marie*, venue chercher son enfant au lycée Joliot-Curie, les autorités jouent avec de l’essence au-dessus des braises encore fumantes des émeutes : « Ils nous font quoi avec l’abaya ? Il n’y a pas des sujets plus importants comme l’orientation et Parcoursup qui fait n’importe quoi ? Et Macron qui parle de l’abaya et de Samuel Paty comme si c’était lié, il fait quoi à part stigmatiser encore les mêmes ? Il veut remettre les gamins dans la rue ? »
*Les prénoms ont été changés à la demande des intervenants