Paris-Besançon : On a retrouvé les migrants évacués en bus de la Porte de la Chapelle
RETEX Que sont devenus les migrants évacués de la Porte de la Chapelle à Paris et envoyés dans des bus en région ? On a suivi certains d’entre eux jusqu’à Besançon, où ils vivent une vie plus tranquille qu’à Paris
- 20 Minutes a cherché à savoir ce qu’étaient devenus les migrants et migrantes de Porte de la Chapelle envoyés en région, lors des deux dernières « mises à l’abri » d’octobre et novembre 2022.
- Certains d’entre eux, tous des hommes, ont été envoyés à Besançon, en Bourgogne-Franche-Comté, où ils disent mener une vie « tranquille », loin des tumultes de la capitale.
- Le gouvernement, qui souhaite désengorger la région Ile-de-France, qui accueille l’essentiel du flot de migrants et migrantes, a prévu la création de 4.500 places en régions, et doit ouvrir bientôt, selon nos informations, dix « sas » d’accueil et d’orientation dans dix régions françaises.
Salah soulève son tee-shirt et remonte son pantalon pour montrer ses plaies : de grosses cicatrices marquent son corps, traces de ce que lui ont infligé les milices du groupe terroriste al-Shabaab, qui sévit dans son pays, la Somalie. C’est la raison qui l’a poussé à le fuir et à se retrouver ici à Besançon, en Franche Comté, après avoir erré pendant plus de trois ans Porte de La Chapelle, à Paris. Dans le cadre d’une opération de « mise à l’abri » de la préfecture le 27 octobre dernier, Salah, qui a obtenu l’asile en mai 2022, a pris un des nombreux bus partant pour des régions, sans pouvoir choisir sa destination. Mais il est visiblement bien tombé : l’homme a trouvé la sécurité qu’il cherchait depuis longtemps et ne reviendrait pour rien au monde dans la capitale.
Il y avait près de 1.000 personnes Porte de La Chapelle ce jour d’octobre, les migrants s’étant donné le mot pour prendre un nouveau départ. Au final, 634 personnes ont été prises en charge, dont 406 orientées en région. Direction le Doubs pour 20 d'entre elles, selon des informations recueillies auprès de la préfecture de ce département. Deux sont descendues du bus en cours de route, et seulement trois se trouvent encore dans les locaux d’Adoma, la structure qui gère ces arrivées à Besançon, ce 23 février, jour où nous rencontrons Salah.
Répartir les migrants entre régions
« Paris, c’était vraiment trop de problèmes. Tous les jours la police nous expulsait. Je ne me sentais pas en sécurité », raconte cet homme de 37 ans, qui nous explique s’être fait voler son casque de musique et avoir assisté à de nombreuses bagarres. « Paris, c’est la même chose que Mogadiscio [la capitale de la Somalie]. Même si on me donnait un immeuble, je n’y retournerai pas ! Ou alors je veux bien y aller pour visiter le musée d’histoire de France [il parle du musée Carnavalet]. » Salah dit avoir reçu un ticket pour le musée lors de la signature de son contrat d’intégration républicaine, qui accompagne l’octroi de l’asile.
La situation de Salah est l’illustration de la politique de répartition promue et encouragée par le gouvernement, inscrite dans le schéma national d’accueil des demandeurs d’asile et des réfugiés, « dont l’objectif est d’équilibrer la charge de l’accueil et de l’hébergement des demandeurs d’asile entre l’Ile-de-France et les autres régions françaises », nous explique la Direction générale des étrangers en France. Des opérations qui se font autant pour répartir les migrants entre régions que pour débarrasser la voie publique, comme le reconnaît Christophe Noël Du Payrat, directeur de cabinet à la préfecture de la région Ile-de-France : « Quand on constate qu’il faut intervenir, parce qu’un campement grossit, et que ça devient compliqué, on prépare une opération. On demande au niveau national d’identifier des places dans les différentes régions. On décide d’un jour d’opération et on réserve des bus avec de l’eau et des sandwichs. »
« On ne sait pas qui on accueille. On part de zéro »
L’hébergement de personnes en attente d’asile est particulièrement saturé dans la capitale parce que c’est une « porte d’entrée » et aussi parce que la préfecture « ne trouve plus forcément de place dans les hôtels, ou du foncier disponible », explique Christophe Noël Du Payrat. Même si l’Etat n’a pas eu de problèmes à loger des milliers d’Ukrainiens en un tour de main, lorsque la guerre s’est déclenchée… Toujours est-il que le gouvernement a prévu en 2021 la création de 4.500 places en centres d’accueil, toutes hors de l’Ile-de-France, précisément pour désengorger la région-capitale. Bientôt, selon nos informations, dix « sas » d’accueil et d’orientation doivent être créés dans dix régions françaises, qui devront absorber chaque mois 600 migrants, en amont des JO (voir notre article sur ce sujet).
L’équipe d’Adoma à Besançon a géré en 2022 cinq « mises à l’abri », plus communément appelées « démantèlements » ou « desserrements » par les travailleurs sociaux. « Le bus arrive vers 16h30. On sait juste le nombre de personnes qu’il y aura. On ne sait pas qui on accueille. On part de zéro », explique Sébastien Deprez, le directeur territorial adjoint chez Adoma. Qui poursuit : « Quand les personnes arrivent, elles sont bien fatiguées, on les laisse se reposer le premier soir. On distribue un kit hygiène et un colis alimentaire et on leur explique où ils sont et comment on va les accompagner. Le lendemain on regarde s’il y a des problèmes de santé. Certains vont à la Croix-Rouge. Ils se lavent. Quand on leur donne une chambre qui ferme à clé, déjà, c’est énorme pour eux. »
93 % des demandeurs d’asile de la région sont hébergés
Commence ensuite le début de leur nouvelle vie. Pour Salah, elle est essentiellement faite de cours de Français, au rythme de quatre journées par semaine. Les migrants et migrantes qui obtiennent l’asile peuvent obtenir jusqu’à 600 heures de cours, et près des trois quarts les demandent. Le reste du temps, Salah fait du foot, boit des cafés à Battant, l’un des plus vieux quartiers de la ville de Besançon, proche au niveau socio-historique de celui de Barbès à Paris. Il s’est inscrit à Pole emploi, touche le RSA, économise pour faire un tour en Norvège, un pays pour lequel il a eu le coup de cœur (« c’est super safe » c'est-à-dire en anglais, « sécur », s’enthousiasme-t-il), mais qui lui a refusé l’asile. « J’ai attendu pendant trois ans et demi de pouvoir quitter Paris et d’avoir un hébergement pour pouvoir commencer une vie et avancer », dit Salah, qui se sent en sécurité à Besançon : « C’est super calme ici ! Et c’est le plus important. »
Sébastien Deprez sait que la plupart des personnes qui arrivent à Besançon vont y rester. « C’est plus confortable qu’à Paris et les conditions me semblent plus favorables pour l’insertion professionnelle ou sociale ou le logement », estime le directeur territorial d’Adoma. De fait, 93 % des demandeurs d’asile présents en Bourgogne-Franche-Comté sont hébergés, contre 30 % en Ile-de-France. Ici, qu’on ait obtenu l’asile ou pas, on est entouré, et la préfecture se réunit toutes les semaines avec la mairie, l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration, les associations et les différentes structures d’aide aux migrants et réfugiés pour examiner les situations difficiles au cas par cas. « On a un vrai tissu associatif qu’on sait solliciter et des liens avec services de l’état », explique Sébastien Deprez. « Sur Besançon, on travaille bien tous ensemble avec la préfecture », confirme Philippe Crémer, conseiller municipal délégué à l’accueil des sans-abri et l’accompagnement des migrants.
« Ici je fais du sport et je vais beaucoup à l’école »
C’est de ce système dont a bénéficié aussi Shafiullah, un migrant arrivé en juillet 2021 à Besançon, après être passé par Gare du Nord et La Chapelle, et surtout après avoir traversé le Pakistan, l’Iran, la Turquie, la Bulgarie, la Serbie, la Croatie, la Bosnie, la Slovénie et l’Italie. Il nous reçoit dans sa petite chambre aux murs défraîchis du centre d’accueil de Besançon. Il nous fait attendre un peu, le temps pour nous d’admirer une horloge Spider-Man, et revient avec un Monster Energy - une boisson énergisante - et une omelette à la tomate et à la coriandre, une spécialité afghane. L’hospitalité, avec les Afghans, ça ne rigole pas. « Moi je ne mange pas le matin, mais tu es là », nous glisse-t-il dans un sourire, en s’asseyant à même le sol, faute de table, avec la poêle qui contient le repas.
Quand on lui demande s’il aime Besançon, il n’hésite pas une seconde : « C’est tranquille et joli. Ici je marche beaucoup, je fais du sport et je vais beaucoup à l’école. La Chapelle il y avait beaucoup de problèmes », explique Shafiullah, très pressé d’apprendre à bien parler Français, et ravi de taper la discut' pour mieux s’entraîner. Il se rend tous les jours aux cours du Secours catholique, « mardi, mercredi, jeudi, vendredi j’ai cours » nous dit-il, et même le lundi, grâce à l’association Les restos du cœur.
La demande de Shafiullah a été rejetée, et il attend le résultat de son recours, formé à la cour nationale du droit d’asile. Si elle est rejetée, il devra rentrer chez lui. Si elle est acceptée, Adoma aura encore trois mois pour le sortir du dispositif et l’aider à voguer de ses propres ailes. « Je voudrais que mes enfants aillent à l’école ici. Ma femme reste avec les enfants à la maison, personne ne va à l’école, c’est les talibans, déplore-t-il. Et tu ne peux pas discuter avec les madames, la police vient. » On dit au revoir à Shafiullah, en savourant le plaisir d’avoir pu discuter librement.