Wine Paris : « Pour certains, je suis un traître », le sans-alcool se fait encore discret dans le monde du vin
ET glou et glou Face à la baisse de la consommation, le secteur du vin privilégie la qualité et les faibles teneurs au « sans-alcool »
- Avec la baisse de la consommation de vin en France, le secteur est à la recherche de solutions pour séduire les nouvelles générations. Parmi elles, le vin sans alcool commence à se faire une place sur le marché.
- Pour connaître la position des acteurs du marché sur le vin sans alcool, 20 Minutes s'est rendu au Wine Paris & Vinexpo Paris, le salon des professionnels du vin qui se tient depuis lundi à Porte de Versailles (15e arrondissement).
- De manière générale, les producteurs de vin sont plutôt réticents à l'idée du vin sans alcool, par peur de dénaturer le produit et de trahir des siècles de traditions et préfèrent se tourner vers une production à la teneur plus faible en alcool.
Il y a des mots qu’il vaut mieux éviter dans certaines circonstances, comme « Manuel Valls » au Parti Socialiste ou « Remontada » au Parc des Princes. Au Wine Paris & Vinexpo Paris, le salon des professionnels du vin qui clôt ses portes ce mercredi, c’est le terme « sans-alcool » qui provoque irrémédiablement grimaces et gêne.
Présents sur place depuis lundi, les producteurs et négociants venus de toute la France, et du monde entier, discutent cépages, récoltes et contrats. Si le secteur continue d’exposer la noblesse de la vinification, tous ses membres ont bien conscience de la baisse de la consommation du vin en France.
« Ce n’est pas du vin »
Souvent évoqué comme une des solutions d’avenir pour les vignerons, on est allé demander aux producteurs ce qu’ils pensent du vin sans alcool et les retours sont pour le moins mitigés.
« C’est simple, ce n’est pas du vin. » Pierre-Yves Calame représente les vignobles Garzaro, et comme beaucoup de ses confrères des vins du Sud-Ouest, il est intraitable sur le sujet : « C’est un produit qui est issu de la fermentation, l’alcool est indissociable du vin. » Et ils sont nombreux à défendre cette position, entre tradition et défense du patrimoine, refusant d’envisager une autre forme de production.
« C’est comme le steak végétarien, on n’est pas contre l’invention d’autres produits à base de raisin, il existe d’excellentes boissons sans-alcool, mais on ne peut pas appeler cela vin. Qu’on invente une autre appellation », serine Jean-Marc*, employé chez un producteur dans le Luberon.
Consommer mieux plutôt que plus
Pourtant, même chez les plus incorruptibles, on a conscience des questions de santé liées à l’alcool et à la baisse de la popularité du « pinard » chez les plus jeunes, où la concurrence avec la bière et autres « softs » est féroce. « La solution passe sans doute par l’éducation, pour apprendre à consommer mieux plutôt que plus, explique Fabien, négociant en Vallée du Rhône, mais le vin reste le vin, le produit perdrait de sa beauté sans son titre alcoolique. »
Mais tous les producteurs ne sont pas si catégoriques sur la question. Quand on leur demande s’ils produisent du vin sans alcool ou envisagent de le faire, la plupart navigue entre embarras et fatalité. « Pour le moment, je n’y pense pas. Ce serait sans doute un crève-cœur, mais c’est vrai qu’il faut bien vivre et préserver le domaine alors si un jour on y est contraint… », avoue Pierre*.
Traître et « bobo » parisien
S’il n’est pas tabou, le sujet reste difficile à aborder. Pourtant certains ont passé le cap. Mais ils ne sont pas faciles à trouver. Partir à la recherche d’un producteur de vin sans alcool relève de la chasse au Dahu. Tout le monde connaît quelqu’un qui en connaît un. Mais personne ne sait où il se trouve.
A force de ténacité, Sylvain* finit par se présenter. Dans le métier depuis un peu plus de dix, il s’est lancé dans le sans-alcool en 2018 : « La concurrence est rude dans le métier. Et la prévention, avec la loi Evin, ne facilite pas la tâche. J’ai essayé de me différencier et de chercher un nouveau marché. »
Bien connu dans sa région, il ne souhaite toutefois pas se mettre en avant. « Ce n’est pas facile avec tout le monde. Pour certains, je suis un traître, pour d’autres, je suis le bobo qui vient souiller le métier. » Il sourit tout de même à l’évocation de ses relations avec ses confrères assurant qu’elles sont très bonnes : « On m’appelle parfois le Parisien, alors que je ne suis venu que deux fois à Paris, pour des salons. Mais je comprends que c’est difficile pour ces amoureux du vin, c’est comme si on remettait en question des siècles de tradition. Il faut le temps que la pilule passe. »
A l’étranger non plus, le sans-alcool ne fait pas recette
Et le sujet n’est pas cantonné à l’Hexagone. Confrontés à des baisses sur leur marché, Italiens, Espagnols ou Chiliens se posent aussi la question de l’alcool dans leur breuvage. Mais pour tous ceux que nous avons interrogé, la solution n’est pas dans le 0 %.
« Nous n’avons jamais envisagé de le faire », confie Daniele Pelassa, producteur dans le Piémont italien. D’abord parce que la technologie nécessaire reste très chère et donc « réserve ce marché à de grands groupes pour le moment », mais aussi parce qu’il préfère envisager d’autres solutions comme le « low wine », des vins à la teneur en alcool plus légère, autour de 5 % : « Nous voulons fabriquer notre produit comme nous savons le faire, mais il faut rester ouvert. »
Les cocktails, havre de paix pour le sans-alcool
Même son de cloche chez Philana Bouvier, présidente de Demeine Estates, un domaine californien : « Il n’est pas question de produire du vin sans alcool pour nous. Nous préférons nous concentrer sur les faibles émissions carbone et une production bio pour séduire notre clientèle. »
Si le sans-alcool cherche encore sa place dans le secteur du vin, une enclave lui tend pourtant les bras. Un peu à l’écart du reste du salon, l’espace Be Spirits, consacré aux spiritueux et aux produits « de bar » ressemble à un monde parallèle, où les vins sans alcool sont traités accueilli de la même manière que n’importe quel autre breuvage, grâce à une formule magique pour lui : Le cocktail. « Souvent, l’alcool n’est qu’un des composants de notre recette. Donc on peut aisément compenser son absence par d’autres saveurs sans altérer la qualité de la boisson », sourit Mickaël, un des Tom Cruise locaux.
*Les prénoms ont été modifiés à la demande des intervenants