Transports en Ile-de-France : « Si nous ne faisons rien, le pass Navigo finira à 120 euros », avertit David Belliard
INTERVIEW A l’occasion des assises du financement des transports franciliens, David Belliard, vice-président écologiste d’Ile-de-France Mobilités, nous présente ses pistes pour garantir « des transports en commun accessibles et de qualité »
- Lundi 23 janvier, Ile-de-France Mobilités (IDFM) tiendra ses assises du financement des transports franciliens (2024-2030) et a demandé aux acteurs politiques et institutionnels leurs propositions en ce sens.
- David Belliard, vice-président écologiste d’IDFM et représentant de la ville de Paris, a participé à l’élaboration de ces cahiers. Il souhaite « diversifier les modes de financement, notamment autour d’une fiscalité écologique et redistributive ».
- Il propose ainsi de taxer les SUV, de faire contribuer le transport aérien ainsi que les flux de marchandises avec une ligne rouge : refuser toute nouvelle hausse du prix du pass Navigo.
Pour éviter la tragicomédie de la fin d’année dernière ayant abouti à la hausse de près de 10 euros du prix du pass Navigo, Ile-de-France Mobilités (IDFM) lance ce lundi ses assises du financement des transports franciliens (2024-2030). Pour l’occasion, IDFM a demandé aux groupes politiques, aux acteurs économiques et institutionnels et aux associations d’usagers de rédiger des « cahiers d’acteurs » pour proposer des pistes de financement.
David Belliard, vice-président écologiste d’IDFM et représentant de la ville de Paris, a participé à l’élaboration de ces cahiers. « Nous avons demandé ces états généraux du financement dès le budget 2020, rappelle-t-il. Cela fait plusieurs années qu’on sait qu’il y a un sujet de financement des transports en commun. » Voici donc l’occasion pour lui de développer ses propositions pour assurer « des transports en commun accessibles et de qualité ».
Pourquoi estimez-vous urgent de réfléchir au financement des transports en commun franciliens ?
Il faut savoir qu’aujourd’hui, les financements proviennent en grande partie de trois contributeurs : les entreprises via le versement mobilité, les collectivités, comme la Mairie de Paris à hauteur de 430 millions d’euros, et les usagers. Or plusieurs facteurs nécessitent de rebattre les cartes des modalités de financement. D’abord, l’accélération des dérèglements climatiques et la lutte contre la pollution de l’air font que les transports publics devraient être en haut de l’agenda. Nous devons développer et consolider des transports en commun accessibles et de qualité. De plus, la mise en exploitation du Grand Paris Express va générer des coûts de fonctionnement supplémentaires. On estime ainsi le besoin de financement à 1,5 milliard d’euros par an. Or, il y a une forme d’inertie des gouvernements successifs et de Valérie Pécresse qui ont laissé cette situation perdurer, sans anticiper les besoins de financement. Et ces besoins ont été accentués par la crise sanitaire et l’explosion du prix de l’énergie.
Quelles sont vos propositions ?
Il faut diversifier les modes de financement, notamment autour d’une fiscalité écologique et redistributive. Aujourd’hui, il n’est pas normal que des gens et des entreprises qui utilisent des mobilités polluantes ne contribuent pas ou trop peu au financement des transports en commun. Il y a un double objectif qui est de garantir un prix le plus accessible possible avec une offre de qualité et fiable. Je dis non à l’augmentation du Pass Navigo car aujourd’hui les usagers font l’effort ou n’ont pas d’autre choix que d’utiliser les transports en commun vertueux sur un service de qualité médiocre. Ce n’est pas à eux d’assurer les nouveaux besoins de financement.
Et concrètement, comment cela se traduit-il ?
De nombreux outils peuvent être mis en place comme taxer les SUV bien sûr, particulièrement en ville où ils n’ont pas d’utilité et sont très polluants. Il serait plutôt juste que les acheteurs de SUV en zone urbaine dense participent par une contribution au financement des transports en commun. La taxe sur le kérosène est aussi une piste. On a d’ailleurs avec Le Bourget, le premier aéroport de jets privés en France. La encore, ce serait justice que ces happy few soient sollicités. Il y a aussi un sujet plus large autour des flux de marchandises et de la logistique.
Vous voulez faire payer les plateformes de livraison (Amazon, DLH...) ?
Elles génèrent des milliards d’euros sur une activité qui utilise une ressource commune qui est l’espace public. Or la valeur qu’on en tire doit pouvoir être redistribuée, au moins en partie. En Ile-de-France, vous avez un million de colis livrés par jour. Une éco-contribution de 50 centimes par colis, ça fait 180 millions d’euros collectés pour le financement de nos transports. C’est aussi la mise en place de l’écotaxe poids lourds, qui est un mode de transport de marchandises très polluant.
Enfin le versement mobilité doit être repensé avec une augmentation de la contribution des entreprises les plus rentables. Mais aussi avoir des modalités qui permettent de donner un bonus pour les entreprises qui font des efforts pour réduire leur empreinte carbone et par contre un malus pour celles qui ne le font pas.
Toutes ces pistes nécessitent une traduction législative pour être mises en œuvre. Comment faire face à un gouvernement qui refuse d’augmenter la fiscalité, comme on peut le voir sur la réforme des retraites ?
Nous jouons le jeu du débat et faisons des propositions. On ne pourra pas dire que nous sommes uniquement dans la contestation. On ne peut pas asseoir la pérennité de nos transports en commun avec en fin de chaque année, IDFM qui va en quelque sorte faire l’aumône auprès du gouvernement, comme cela s’est passé à l’automne dernier. Ce que je dis au gouvernement c’est que nous sommes face à une situation de bombe sociale. Si nous ne faisons rien, ce n’est pas à 84,10 euros que sera le pass Navigo, il sera à 100, 110, 120 euros. C’est ça la réalité. Après, il y a le débat, et peut-être nous pourrons obtenir une modulation du versement mobilités ou avancer sur l’éco-contribution sur les colis. Et la droite pourrait être tentée d’engager ce mouvement avec nous.
Etes-vous prêt à faire cause commune avec Valérie Pécresse face au gouvernement ?
Il faut être pragmatique. Si nous avons des convergences avec la droite sur des aspects de financement, alors nous mènerons le combat ensemble. Par exemple, la hausse du plafond du versement mobilités réclamée par Valérie Pécresse, c’est Eva Sas, une députée écologiste qui a déposé l’amendement à l’Assemblée, ensuite refusé par le gouvernement et les élus de droite. Après, nous avons des divergences majeures, sur l’ouverture à la concurrence, sur la manière de gérer les transports, sur qui paye quoi, notamment par rapport aux usagers, que Valérie Pécresse veut mettre plus fortement à contribution.
De nombreuses organisations écologiques, dont France Nature Environnement, appellent à annuler les futures lignes 17 et 18 du Grand Paris Express qu’elles jugent coûteuses et disproportionnées. Quelle est votre position ?
J’ai toujours été aux côtés de mes camarades écologistes sur le sujet. Je partage une partie de leurs positions. Nous mettons beaucoup d’argent sur des projets inutiles et destructeurs pour l’environnement. Sur la question du plateau de Gonesse [sur la ligne 17], conserver cet arrêt n’a pas de sens. A Saclay, la mise en place d’une ligne de bus à haut niveau de service aurait pu très bien se substituer au projet qui a été proposé [la ligne 18]. Sur tous les sujets, je suis une ligne de sobriété et d’efficacité. On fait les investissements lorsqu’ils sont le plus sobres possibles et quand ils répondent vraiment aux besoins des gens. De la même manière, sur le Charles-de-Gaulle Express, je suis fondamentalement opposé, car ça va avoir des conséquences sur le RER B. On a besoin de plus de transports en commun, c’est vrai, mais ça ne doit pas être dans une logique de croissance absolue avec des projets anti-écologiques et d’un autre temps.