La Ville de Paris va se doter d’une charte « zéro mort au travail »

OBJECTIF EXEMPLARITE Le texte qui va être examiné mercredi en Conseil de Paris prévoit de limiter le recours à la sous-traitance et de refuser les contrats avec les entreprises condamnées

Aude Lorriaux
Illustration d'ouvriers du bâtiment sur un chantier de construction d'immeuble à Rennes.
Illustration d'ouvriers du bâtiment sur un chantier de construction d'immeuble à Rennes. — Mathieu Pattier
  • La Ville de Paris va se doter d’une charte pour être exemplaire en matière de droit du travail.
  • A quelques jours de la Coupe du monde au Qatar, boycottée notamment en raison des conditions de travail des ouvriers sur place, le texte de la mairie de Paris veut « sanctionner les entreprises qui contournent le droit du travail ».
  • Dans le détail, le texte de la délibération prévoit de limiter le recours à la sous-traitance à deux niveaux ou à 20 % maximum du chiffre d’affaires et de « ne plus contracter avec les entreprises condamnées pour travail dissimulé, manquement aux règles de santé et sécurité, pour défaut ou retard de paiement des salaires et heures supplémentaires ou encore pour non-respect des règles relatives au temps de travail ».

C’est, selon ses créateurs, une première. La Ville de Paris va se doter d’une charte pour être exemplaire en matière de droit du travail, et compte instaurer une clause de droit social « qui privilégie les entreprises socialement et écologiquement vertueuses ». C’est en tout cas l’intention affichée par une délibération portée par le groupe communiste, qui doit, selon nos informations, être validée par l’exécutif et adoptée mercredi en Conseil de Paris.

« La Ville de Paris affiche l’ambition forte de faire respecter le droit du travail sur l’ensemble de son territoire. Cela doit passer par l’encadrement des marchés publics et le renforcement des moyens alloués à la prévention, pour multiplier les contrôles et véritablement sanctionner les entreprises qui contournent le droit du travail », énonce l’exposé des motifs de cette délibération. « Aucune collectivité ne l’a faite », se réjouit Nicolas Bonnet-Ouladj, le président du groupe communiste à Paris, qui dépose cette délibération qui a le feu vert de l’exécutif.

38 morts en Ile-de-France en 2022

Cette initiative intervient à quelques jours du coup d’envoi de la Coupe du monde au Qatar, boycottée par de nombreuses personnalités et organisations, et qui aurait fait plusieurs milliers de morts parmi les ouvriers ayant travaillé sur les chantiers liés à l’évènement, selon une enquête du Guardian et les chiffres de plusieurs associations. Selon Nicolas Bonnet-Ouladj, ces graves manquements ne doivent pas masquer la situation française ou parisienne, qui n’est pas exemplaire.

Avec plus de 1.000 morts par an, la France est le pays de l’Union européenne qui compte le plus d’accidents et de décès au travail. En Ile-de-France, 38 morts ont été décomptés du 30 janvier au 30 août 2022 par l’Inspection du travail, contre 34 pour la même période en 2021.

La sous-traitance visée

Dans le détail, le texte de la délibération prévoit de limiter le recours à la sous-traitance à deux niveaux ou à 20 % maximum du chiffre d’affaires. Car la sous-traitance est l’une des principales causes des dérives, estime le texte : « La sous-traitance en cascade est en effet source de précarité et donne lieu à des pratiques illicites de la part des entreprises qui tentent d’échapper à l’administration fiscale. » Limiter le recours aux sous-traitants permettrait aussi à la ville d’intervenir plus rapidement en cas de manquement et d’identifier plus facilement les responsables après un drame.



Ce fut le cas pour Moussa Gassama, mort le 18 mars 2022 à Paris, et qui a chuté alors qu’il nettoyait les vitres du centre d’action sociale de la Ville de Paris (CASVP). Il travaillait pour Maintenance Industrie, une société parisienne de nettoyage mandatée par le CASVP pour nettoyer les bureaux. Il était censé nettoyer les vitres avec une perche mais il est monté sur un escabeau. Ce qui pose la question de la responsabilité du donneur d’ordre, qui doit lui aussi selon les syndicats vérifier que les conditions de sécurité sont respectées.

Plus de contrat en cas de condamnation récente

Le texte porté par les communistes prévoit aussi que la ville ne fasse plus d’affaires avec les entreprises condamnées pour non-respect du droit du travail dans les cinq années précédant l’appel à projet. Ce qui fut le cas au moment de la mort de Samir Bey, le 29 juin dernier. L’employé de la société Inter Dépannage intervenait pour porter assistance à une voiture en panne dans le Val-de-Marne et a été percuté par une voiture roulant à pleine vitesse. La société en question, prestataire de la mairie de ­Paris, n’hésitait pas à alterner périodes déclarées et non déclarées, et avait été condamnée plusieurs fois pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, travail dissimulé ou encore déclarations incomplètes à l’Urssaf, selon une enquête du magazine Alternatives économiques. 

« La Ville de Paris se doit d’être exemplaire et de ne plus contracter avec les entreprises condamnées pour travail dissimulé, manquement aux règles de santé et sécurité, pour défaut ou retard de paiement des salaires et heures supplémentaires ou encore pour non-respect des règles relatives au temps de travail », énonce le texte de la délibération.



Un observatoire pour mieux compter les morts au travail

Enfin, la ville s’engage à commémorer chaque année devant la Bourse du Travail les personnes mortes au travail et à créer un observatoire parisien des personnes mortes au travail, alors que beaucoup de ces morts passent actuellement sous les radars. « On se rend compte que tout n’est pas déclaré. Nous voulons mettre autour de la table la caisse régionale d’assurance maladie, des chercheurs, des pompiers, ou encore l’Assistance publique Hôpitaux de Paris (AP-HP), pour les cas où les gens vont directement à l’hôpital et ne le déclarent pas », explique Nicolas Bonnet-Ouladj.

Ces nouvelles dispositions permettront-elles d’éviter toutes les dérives ? La Société de livraison des ouvrages olympiques, présidée par la maire de Paris, Anne Hidalgo, a été épinglée par le parquet de Bobigny en juin dernier à la suite de la découverte de salariés sans-papiers sur les chantiers des JO. La mairie avait pourtant fait adopter en 2018 une charte qui s’engageait à lutter contre le travail illégal sur ces mêmes chantiers…