Paris : De l’importateur au dealer, quatre hommes condamnés pour trafic de crack

Justice Ce mercredi, quatre hommes ont été condamnés à des peines de prison allant d’un à cinq ans pour acquisition, détention, transport de crack et de cocaïne

Mathilde Desgranges
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Inès Madani comparait devant la 16e chambre du tribunal correctionnel de Paris
Inès Madani comparait devant la 16e chambre du tribunal correctionnel de Paris — Clément Follain / 20 Minutes
  • Ce mercredi après-midi, quatre hommes d’origine guyanaise ont été entendus par le tribunal correctionnel de Paris pour acquisition, détention et transport de cocaïne et de crack.
  • L’un des prévenus a été condamné à cinq de prison pour avoir organisé un trafic de cocaïne entre la Guyane et Paris.
  • Ce procès intervient quatre jours après le premier anniversaire de l’installation des consommateurs de crack sur le site de Forceval, en bordure de la porte de La Villette.

Au tribunal correctionnel de Paris,

Tout commence par un appel anonyme. Un jour, fin juin dernier, les agents de la brigade des stupéfiants de Paris sont contactés par une personne qui choisit de dissimuler son identité. Celle-ci se contente de pointer un endroit, les abords d’une station de métro, et d’indiquer un numéro, celui d’un homme qui « vend du crack ». Vengeance d’un client mécontent ? Tentative de nuire d’un membre d’un trafic rival ? Le procès ne nous en apprend pas plus sur les motivations de l’appel. Mais, tout de suite, l’alerte est prise au sérieux. Les services de police placent l’homme indiqué sous écoute. Ses appels sont géolocalisés, son répertoire épluché en détail.

Quatre jours après le premier anniversaire de l’installation des consommateurs de crack sur le site de Forceval, en bordure de la porte de la Villette, ce dérivé de la cocaïne reste une préoccupation majeure dans la capitale. Ce mercredi après-midi, quatre hommes d’origine guyanaise ont été entendus par le tribunal correctionnel de Paris pour acquisition, détention et transport de cocaïne et de crack. Trois d’entre eux sont également accusés de vente de crack.

Deux « mules » arrêtées dans un hôtel

Ce n’est que deux mois après l’appel, le 29 août, que les agents débutent leurs interpellations. Deux « mules », Barnett et Jérémy, débarquent à l’aéroport d’Orly, après un vol en provenance de Guyane. Dès leur arrivée, les agents de la brigade des stupéfiants les trouvent suspects. « Ils font mine de ne pas se connaître mais ont l’air de s’être identifiés du regard, raconte la substitut du procureur. Dès que l’un s’éloigne, l’autre surveille ses valises, puis ils prennent le même bus. »

Quelques heures plus tard, les agents repèrent les deux hommes dans un hôtel proche de la gare du Nord, et connu pour être un lieu de prédilection des « mules ». Josué, dénoncé par un appel anonyme, aurait appelé ce même hôtel un peu plus tôt dans la journée, selon les analyses des services de police. « Je voulais savoir si je n’avais pas oublié ma bague sur place », justifie-t-il. Pourtant, aucune réservation dans l’établissement à son nom n’a été retrouvée. Un indice, pour les autorités, de son implication dans le trafic du 29 août.

53 ovules de cocaïne dans le corps

Aux alentours de 18 heures, près de douze heures après l’arrivée des « mules » à l’aéroport, les agents les interpellent. Ils pénètrent dans une chambre d’hôtel à l’odeur d’excrément, et les trouvent en flagrant délit. Placés en garde à vue, Jérémy et Barnett rejettent respectivement 8 et 16 grammes de cocaïne. Le premier a reconnu avoir transporté 53 ovules de cocaïne au cours du voyage qu’il a fait, fin août, entre la Guyane à Paris.

« Pourquoi avoir autant attendu avant de les interpeller ?, interroge maître Laporte, avocate de Marvin, le quatrième prévenu. Parce que les agents de la brigade étaient persuadés que Marvin et Josué allaient les rejoindre à l’hôtel. Seulement, ils ne sont jamais venus. » Pour le ministère public, tout l’enjeu du procès est d’établir le lien entre les quatre prévenus, et de prouver leur implication dans un même trafic.

Un mystérieux commanditaire

La « pierre angulaire » du dossier, c’est Barnett, estiment les services de police. Interpellé en tant que « mule » dans la chambre d’hôtel avec Jérémy, il semble aussi lié aux deux autres prévenus. Les agents trouvent des traces de virements réguliers, pour une somme totale estimée à 2.500 euros, de Marvin à son intention. En fouillant son téléphone, ils constatent également des mentions du nom et de l’adresse exacte de Josué dans ses photos.

Pourtant Barnett et Marvin évoquent un tiers. Une mystérieuse personne qui les aurait contactés pour leur indiquer la marche à suivre. Martin l’appelle « Big Ma », Barnett parle d’un certain « Blacko ». « Peut-être qu’il a mal compris, et qu’il voulait l’appeler “Big Man”, intervient Barnett au cours de l’audience. Ces surnoms “Blacko” et “Big Man” signifient la même chose. » Mais pour la substitut du procureur, cela ne fait aucun doute : Barnett « tire un peu tout cela ». Cette tierce personne ne serait qu’une « identité imaginaire », inventée par ce dernier pour se protéger.

« En dehors de l’événement du 29 août, ce ne sont que des présomptions », argue l’avocate de Jérémy. Les quatre avocats de la défense s’accordent à plaider le manque de preuves tangibles. « Deux des quatre prévenus n’ont jamais été vus en possession de stupéfiants », souligne maître Simon, avocat de Josué.

« La chaîne d’importation du crack »

« En réalité, les perquisitions n’ont rien donné », estime maître Laporte. « D’autant que les traces blanchâtres retrouvées au domicile de deux des prévenus n’ont pas été analysées », ajoute-t-elle. Même son de cloche lors de la plaidoirie de l’avocat de Josué. « Le bicarbonate que les agents ont retrouvé chez lui, c’est du bicarbonate alimentaire. On ne peut pas fabriquer du crack avec cela, affirme-t-il. Les agents de la brigade des stupéfiants sont conscients qu’ils racontent des craques. »

Ce procès « offre un panorama de la chaîne d’importation du crack, souligne la substitut du procureur. Il permet de comprendre qu’entre celui qui importe du crack depuis la Guyane et le consommateur du crack à Paris, il n’y a qu’un intermédiaire. » Selon le ministère public, Josué, Marvin, Jérémy et Barnett seraient respectivement vendeur, « cuisinier », « mule » ou importateur, et organisateur du trafic. Des insinuations qui déplaisent à leurs avocats. « Dans ce procès, le ministère public a attribué des rôles aux prévenus de manière aléatoire », dénoncent-ils.


Après plus d’une heure de délibérations, le tribunal correctionnel a reconnu coupables les quatre prévenus. Jérémy est condamné à un an de prison ferme, avec aménagement de peine et port du bracelet électronique, Marvin à 18 mois de prison, et Josué à 20 mois de prison. Barnett, qui a déjà été condamné en 2017 à quatre ans de prison dont un an ferme pour des faits similaires, est condamné à cinq ans de détention. Ces peines s’inscrivent dans la politique sécuritaire adoptée par le nouveau préfet de police, Laurent Nuñez, pour éradiquer le phénomène du crack à Paris d’ici un an.