A Paris, la droite cherche son credo écolo

IN PROCESS Le groupe des élus Républicains, centristes et indépendants au Conseil de Paris a reçu en séminaire Jean-Marc Jancovici, chantre de la décroissance, l’occasion de s’interroger sur les principes écolos de la droite parisienne

Aude Lorriaux
Le conseil de Paris à l'Hôtel de ville.
Le conseil de Paris à l'Hôtel de ville. — TRISTAN REYNAUD
  • Les élus du groupe « Changer Paris » ont suivi une session de formation sur la transition environnementale et énergétique.
  • En invité de marque, Jean-Marc Jancovici, membre du Haut Conseil pour le climat et chantre de la décroissance.
  • Pour autant, pas de quoi transformer en décroissants les conseillères et conseillers de Paris du groupe de droite, persuadés pour la plupart que l’innovation technologique nous sauvera.

Elle a voulu marquer le coup avec un invité pas comme les autres, et pas forcément raccord avec l’image que l’on se fait de la droite traditionnelle. La patronne des conseillers et conseillères de Paris, Rachida Dati, a invité le 9 septembre dernier Jean-Marc Jancovici, président du Shift Project (« think tank qui œuvre en faveur d’une économie libérée de la contrainte carbone »), membre du Haut conseil pour le climat et chantre de la décroissance, pour une session de formation sur les « enjeux de la transition environnementale et énergétique ». L’occasion pour 20 Minutes d’interviewer les élus et élues du groupe Changer Paris sur leur vision de l’écologie. Et de voir si cette journée a fait bouger les lignes.

« Passionnant », « il a marqué les élus », « très fort », « impressionnant »… Les qualificatifs ne manquent pas pour saluer le discours de Jean-Marc Jancovici, qui a captivé les huit élus LR que nous avons interviewés, sur la centaine présente ce jour-là. « Toutes les personnes au fil de la journée étaient très pédagogues. On est sortis de cette conférence complètement boostés sur la nécessité d’agir », s’enthousiasme par exemple Elisabeth Stibbe.

Pour autant, pas de quoi transformer en décroissants les conseillères et conseillers de Paris du groupe de droite, persuadés pour la plupart que l’innovation technologique nous sauvera. « La transformation par la décroissance brutale peut être contreproductive en enrayant les ressources qui permettent de faire avancer les innovations », estime par exemple Aurélien Véron, porte-parole du groupe, à l’unisson avec (presque) tous ses camarades. « Nous ne sommes ni dans le déni, ni dans la décroissance », résume de son côté Agnès Evren, également députée européenne.

« On pense que l’innovation nous donnera des réponses »

Plus profondément, les élus LR préfèrent adopter une vision qu’ils qualifient d’optimiste, au contraire, pensent-ils, de leurs collègues écologistes, dont Aurélien Véron juge « l’idéologie déprimante et dépressive ». « Une différence avec Jancovici et les Verts : il part du principe qu’aucune innovation technologique ne nous permettra d’apporter les clés. Les Verts aussi. On pense que l’innovation nous donnera des réponses, et que l’impasse n’est pas le bout inéluctable du chemin », avance David Alphand, le vice-président du groupe. D’autres élus LR interrogés jugent Jancovici « catastrophiste » ou « pessimiste ».

Seuls deux élus mettent un bémol quant à cette vision très « technology friendly » du monde, et ce sont deux élus qui ont participé à l’un des ateliers organisés durant cette journée de formation sur « l’impact du numérique dans notre environnement urbain ». « Le tout numérique, c’est aussi une façon de polluer, de produire des gaz à effet de serre, ce n’est pas si vertueux. Les experts que nous avons entendus nous ont avertis du coût que cela représente », explique François-Marie Didier. « Si on ne résout pas les problèmes de fond, le numérique ne changera rien. Il va pouvoir nous aider à transformer, mais si par exemple on ne change pas la chaudière, et qu’on met juste une petite appli, vous allez gagner un peu, mais ça ne va pas changer concrètement les émissions de CO2 » , abonde Anne-Claire Tyssandier, par ailleurs déléguée auprès de la maire du 15e aux déplacements et aux mobilités.

« Le béton, c’est non »

Deux autres lignes directrices se dessinent chez les élus LR que nous avons interviewés, l’idée d’une écologie de l’accompagnement et le principe de conservation. Accompagnement, parce que celles et ceux que nous avons interviewés ont insisté sur l’idée d’un changement en douceur, qui accompagne les Parisiens et Parisiennes sans les bousculer. « Il faut revoir la circulation en mettant de l’énergie dans le vélo mais pas contre la voiture », estime par exemple Aurélien Véron, qui préfère l’idée d’un péage urbain plutôt que d’une interdiction pure et simple des voitures. Et l’élu d’ajouter : « extrême droite l’a emporté, les débats environnementaux quand ils sont trop radicaux, voilà à quoi ça peut mener, quand vous allez trop loin dans la volonté de changer. »

La conservation du patrimoine naturel trouve ensuite un certain écho avec le conservatisme historique de la droite française. « On est des écologistes car on est des conservateurs », explique par exemple Vincent Baladi, qui pense que « la droite va s’emparer de ces sujets ». De fait, le sujet de la bétonisation de Paris rallie tous les élus et élues du groupe Changer Paris interrogées. « On ne veut pas de la tour Triangle, du projet Bercy Charenton, idem pour le projet autour de la gare d’Austerlitz. Nous serons intransigeants : le béton, c’est non », explique David Alphand, qui veut faire « moins de logements à Paris, mais mieux de logements ».  « A Paris, l’hyperdensification a fait long feu : Paris sera invivable dans moins de 10 ans si on n’agit pas rapidement », abonde Agnès Evren.



Aller « jusqu’au bout du raisonnement »

La droite parisienne serait-elle en train de se convertir à l’écologie ? En réalité, la réflexion écologique n’est pas nouvelle à droite, qui a créé en 1971 le premier ministère de l’Environnement, sous le gouvernement Jacques Chaban-Delmas. Jacques Chirac est le père de la Charte de l’environnement, et l’auteur de cette phrase célèbre, « Notre maison brûle »… « La droite ne se convertit pas à l’écologie, ça fait longtemps qu’on est dans ce sillon-là », revendique David Alphand, qui rappelle être à l’initiative de l’interdiction du bisphénol A à Paris dans les crèches parisiennes, en 2009.

Point de nouveauté radicale donc mais une inflexion, peut-être, de la droite parisienne sur le sujet de l’écologie, remarquée par plusieurs observateurs et observatrices que nous avons interrogées. « Le fait de mettre Jean-Marc Jancovici à l’ordre du jour du séminaire de rentrée, c’est un message très fort, ça n’aurait pas pu avoir lieu il y a deux ou trois ans de là », observe Vincent Baladi.  « J’ai remarqué qu’ils en parlent plus, qu’ils se cherchent, qu’ils reprennent des idées des écologistes », analyse aussi Alexandre Florentin, du groupe écologiste de Paris. Qui regrette cependant que les élus LR n’aillent pas « jusqu’au bout du raisonnement » en « sortant d’un modèle basé uniquement sur la croissance ».