Paris : Après sa mort, Giuseppe laisse derrière lui 1.000 pigeons orphelins
RATS DES VILLES OU RATS VOLANTS Alors que « Monsieur Pigeon » a tiré sa révérence, le « plan pigeons », annoncé par la mairie de Paris en 2019, ne décolle pas. Des Parisiens, des Franciliens et des associations de défense des animaux montent au créneau
- Giuseppe Belvedere est décédé début 2022 dans sa camionnette. Cette figure populaire du quartier de Beaubourg qui nourrissait les pigeons laisse derrière lui un troupeau d’un millier d’entre eux devenus orphelins.
- Plusieurs citoyens ont décidé de prendre sa relève et de continuer à donner à manger aux volatiles, faisant fi de la loi qui interdit leur nourrissage.
- Fin 2019, la mairie de Paris avait annoncé l’installation de nouveaux pigeonniers dans la capitale, qui s’est dotée dans le même temps d’un « plan pigeon » pour réduire les nuisances. Deux ans plus tard, certains citoyens et associations de défense des animaux commencent à s’impatienter.
Vous êtes peut-être passés près d’elle, ce jeudi, près de la rue Rambuteau. Pourtant, vous n’avez sûrement pas remarqué cette nourrisseuse. Graines à la main, Sophie donne régulièrement à manger à des pigeons. La jeune femme, qui n’habite pas dans le coin, préfère rester discrète. Son acte est interdit par la loi. Par son geste, elle rend hommage à Giuseppe Belvedere, décédé le 12 janvier dernier.
Même si peu de gens le connaissaient vraiment, le vieil homme était une figure du quartier. Surnommé de façon éloquente « l’homme aux 1.000 pigeons » et par d’autres plus affectueusement « Monsieur Pigeon », il nourrissait et prenait soin au quotidien des volatiles de Beaubourg. Ces vingt dernières années, il n’était pas rare de le croiser aux abords du Centre Pompidou.
« Sauver les pigeons »
Pour Anne Bretel et Martine*, qui ne le connaissaient pas personnellement, c’était aussi une petite légende locale. Engagées dans la défense des animaux, les deux femmes ont décidé de prendre son parti. Qu’importe le qu'en-dira-t-on. « C’était quelqu’un qui gênait », explique Anne Bretel. « Il devait parfois faire face à une attitude de certains riverains qui pouvait être agressive. » Son histoire, c’est celle d’un retraité expulsé il y a une dizaine d’années de son logement social. Il a vécu ensuite dans sa voiture, puis dans une camionnette où son corps a été découvert.
Un mois avant sa mort, une cagnotte en ligne avait été lancée pour l’aider à financer l’achat d’un nouveau véhicule. Depuis, ils sont une dizaine de Franciliens à avoir repris le flambeau. « L’argent qu’on a récolté, on s’est dit qu’on allait l’utiliser pour prendre un petit peu la relève », explique Lola, nourrisseuse. Depuis fin janvier, sept jours sur sept, ils forment à tour de rôle, une « chaîne solidaire » pour acheter des graines et nourrir ces oiseaux qui « sont complètement domestiqués, imprégnés par l’homme ».
Anne Bretel a lancé la pétition « Il faut sauver les pigeons de Beaubourg », afin d’interpeller la mairie de Paris. A ce jour, plus de 23.000 personnes l’ont signée. « Je me suis sentie totalement en devoir de faire quelque chose en mémoire de Giuseppe », explique-t-elle.
Huit pigeonniers actifs dans la capitale
En 2019, la ville de Paris a annoncé le déploiement d’un « plan pigeon » contre leurs nuisances. L’installation de nouveaux abris pour qu’ils puissent à la fois se sustenter et nidifier était au programme. En parallèle, des actions pour renforcer la verbalisation du nourrissage, ainsi que la mise en place d’un travail de médiation avec les nourrisseurs récidivistes étaient prévues.
Si, sur le principe, plusieurs associations soutiennent ce plan d’action, elles déplorent la lenteur de sa mise en œuvre. Amandine Sanvisens, cofondatrice de l’association Paris Animaux Zoopolis (Paz), qui défend le bien-être animal, estime qu’il s’agit principalement d’un manque de volonté de certains arrondissements de Paris. Elle est d’ailleurs favorable à l’installation de nouveaux pigeonniers, pour que les oiseaux puissent s’y abriter. « Mais seulement en respectant des conditions précises. » La militante souhaite, en outre, qu’ils soient mieux entretenus : c’est-à-dire nettoyés régulièrement, avec des graines et un dispositif de gestion des œufs. « Ce qui, jusqu’à présent, n’est pas du tout du tout le cas. »
Pour Stéphane Lamart, de l’association éponyme de défense pour le droit des animaux, ne pas laisser de la nourriture à disposition dans les pigeonniers est une aberration. « C’est comme une maison sans meubles ! » Pour qu’il soit bien installé, le pigeon a besoin d’un certain confort. Actuellement, huit pigeonniers contraceptifs (où les œufs sont régulièrement retournés ou percés) sont actifs dans la capitale. Le nourrissage devrait reprendre « prochainement dans ces équipements », a indiqué fin janvier la mairie de Paris en réponse au message d’une Francilienne, consulté par 20 Minutes. Aucune date n’était précisée.
Le nourrissage fait débat
Courant 2016-2017, l’Association espaces de rencontres entre les hommes et les oiseaux (Aehro) a réalisé une étude à la demande de la ville de Paris. L’objectif était d’estimer le nombre de spécimens – ils seraient environ 23.000 – et de faire un bilan, ainsi que des recommandations concernant leur impact dans la capitale. Depuis, rien ne semble avoir été mis en œuvre. Une situation qui laisse dubitatif Didier Lapostre, le président d’Aehro. Pour lui, la ville a seulement « fait la moitié du chemin », alors qu’elle possède toutes les clés pour mettre en exécution une politique de gestion efficace.
Martine ne fait pas partie de l’équipe de nourrisseur de Beaubourg, mais il lui arrive régulièrement de le faire ailleurs, près de là où elle habite. Malheureusement pour elle, elle s’est déjà fait prendre la main dans le sac – de graines – par des policiers. A ce moment-là, elle cherchait à appâter et à libérer un pigeon bizet dont les pattes s’étaient retrouvées coincées entre elles par un détritus. Verdict : 135 euros d’amende. Une répression qu’elle juge injuste et inutile. « Les nourrisseurs continuent quoi qu’il arrive. » La Francilienne se balade toujours avec dans la poche : « Une paire de ciseaux, de la bétadine et quelques graines », pour pouvoir intervenir facilement si l’occasion se présente.
Rats volants ou braves bêtes ?
Les rats volants, comme certains les surnomment, ne gagnent pas aussi facilement l’empathie de tout le monde. « Les animaux liminaires [dont font partie les pigeons] sont extrêmement délaissés, oubliés, invisibilisés et méprisés. Nous considérons que les conditions de vie des pigeons ne sont pas acceptables et que la ville de Paris laisse faire », dénonce pour sa part Amandine Sanvisens.
Dans le rapport qu’il a fourni en 2017, Didier Lapostre avait lui aussi fortement relativisé l’utilité des contraventions, qu’il juge inefficaces. « Sur 1.500 verbalisations par an, plus des deux tiers ne sont pas payées. Et [concernant] celles qui sont payées, ce sont des gens qui, dans le meilleur des cas, vont changer de rue ou d’horaire pour nourrir. 83 % des sites où il y a eu des contraventions continuent à avoir du nourrissage. » En 2020, la ville de Paris annonce 444 PV réalisées à l’encontre de ceux et celles qui nourrissent les oiseaux.
D’après un sondage Ifop, commandé en 2018 par Aehro, 73 % des Parisiens portent un regard plutôt négatif sur le nourrissage de pigeons qui cause des nuisances. Toutefois, celles-ci – on pense particulièrement aux fientes – étaient citées bien après d’autres inconvénients (détritus, pollution, déjections canines, bruit ou encore urine humaine). Pour Didier Lapostre, il est nécessaire d’aider les personnes qui les subissent à ne plus en être victimes, sans néanmoins oublier que, selon lui, les pigeons restent des « braves bêtes ».
*Prénom d’emprunt