Paris : Où vont aller les « crackeurs » délogés du jardin d’Eole ?

DROGUE Cette nuit, les toxicomanes regroupés dans une partie du jardin d’Eole ont été évacués mais aucune solution de prise en charge n’a pour l’heure été arrêtée

Caroline Politi
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Avant de rouvrir le parc du jardin d'Eole, des agents de la mairie le nettoie
Avant de rouvrir le parc du jardin d'Eole, des agents de la mairie le nettoie — GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP
  • Pendant un mois et demi, les consommateurs de crack ont été regroupés au jardin d’Eole (18e arrondissement) pour apaiser les riverains de la place Stalingrad.
  • Selon la préfecture de police, ils sont environ 150 consommateurs réguliers, dont la majorité est en errance et vit dans la rue.
  • Un lourd cadenas a été posé sur les grilles pour éviter que les toxicomanes reviennent. Délogés sans solution de repli, où vont-ils aller alors que Paris manque de structures d’accueil de jour comme de nuit pour les usagers de crack ?

Comme chaque soir depuis maintenant un mois et demi, les agents de la ville de Paris sont venus fermer, un peu avant 1 heure du matin, les lourdes grilles du jardin d’Eole, à la lisière des 18e et 19e arrondissements. Comme chaque soir, ils ont délogé, un à un, les quelques dizaines d’accros au crack qui y passent leurs journées et une partie de la nuit. Mais cette fois, ils ont posé un lourd cadenas sur les grilles. Le signe que les toxicomanes qui y étaient accueillis sont devenus persona non grata. Anne Hidalgo l’avait promis, et à de multiples reprises : le 30 juin, les jardins d’Eole seraient rendus à ses habitants.

Selon nos informations, la préfecture de police, très défavorable à cette évacuation sans solution de prise en charge immédiate, a « pris acte » de cette « décision unilatérale ». Ce regroupement des toxicomanes dans ce parc avait été décidé mi-mai par la préfecture de police de Paris et la mairie, notamment pour apaiser les riverains de la place Stalingrad, excédés par les cris, les bagarres et le trafic au pied des immeubles. Le choix s’était rapidement porté sur ce lieu dans lequel les consommateurs de crack passent une partie de leur journée, relativement en retrait des habitations. François Dagnaud, le maire du 19e arrondissement, y avait alors vu « la moins mauvaise des solutions » en attendant une solution pérenne. Mais rapidement des tensions étaient apparues : la semaine dernière, une fillette de deux ans a été blessée à la pommette par des gestes inconsidérés d’une toxicomane. Quelques jours plus tard, des groupes de « crackeux » étaient la cible de tirs de mortier.

La prise en charge des consommateurs de crack en débat

Le jardin d’Eole rendu à ses habitants, que deviendront les toxicomanes ? Selon la préfecture de police, ils sont environ 150 consommateurs réguliers, dont la majorité est en errance et vit dans la rue. Pour l’heure, aucune prise en charge spécifique n’a été arrêtée. « Nous avions proposé une solution provisoire qui n’a pas été acceptée par la mairie, assure une source au sein de la préfecture de police. Aujourd’hui, notre crainte, c’est de voir ces toxicomanes déambuler un peu partout dans le nord-est parisien. » Dès ce soir, un important dispositif policier sera déployé, notamment aux abords de la place Stalingrad. « On est retournés au point de départ, souffle cette même source. Au moins avec Eole, la situation était figée. »

Ce mercredi matin, Anne Hidalgo a plaidé devant les portes closes du jardin d’Eole pour « une prise en charge thérapeutique » des toxicomanes. « C’est ce qui manque à notre pays », a-t-elle insisté. Début juin, elle a écrit au Premier ministre, Jean Castex, pour demander la nomination d'un référent national afin de coordonner la mise en place d'un réseau métropolitain de lieux d'accueil et de soins pour les consommateurs. « Un seul quartier ne peut porter à lui seul l'ensemble des réponses médicales, psychiatriques, sociales, d'hébergement ou encore de réinsertion et de réadaptation de l'Île-de-France », a-t-elle insisté dans un communiqué publié à la mi-journée.

Dans un rapport publié en janvier, l’Inserm et l’Observatoire français des drogues et toxicomanie (OFDT) recommandaient l’ouverture de structures d’accueil de jour comme de nuit pour les usagers de crack mais également de quatre salles d’inhalation à l’image des « salles de shoot » afin de limiter la consommation dans l’espace public et mieux encadrer la prise en charge. Plusieurs concertations ont eu lieu, ces derniers mois, notamment avec les maires d’arrondissements concernés et les acteurs du secteur et si plusieurs lieux sont évoqués, aucun n’a été arrêté. La maire de Paris devra également faire face à la réticence des autorités policières et judiciaires qui craignent la création de lieux de fixation des toxicomanes.

Rondes policières et activités pédagogiques

En attendant qu'une solution soit trouvée, une cinquantaine de policiers muncipaux seront déployés aux abords du parc mais également à l'intérieur où ils effectueront des rondes fréquentes pour éviter que les toxicomanes qui y avaient leurs habitudes n'y retournent. La mairie de Paris promet également des animations sportives et culturelles tout au long de l'été afin que les riverains se réapproprient progressivement les jardins d'Eole.