Paris : La longue traversée vers une Seine enfin dépolluée
LE NOUVEAU COURS DE LA SEINE Après des décennies de pollution, des solutions émergent pour réduire les dommages de l’agriculture et renforcer les stations d’épuration dans le bassin de la Seine
- Les conversions en agriculture biologique ont doublé depuis trois ans sur la région Île-de-France.
- En Seine-Saint-Denis, une station d’épuration bio-performante permet de rejeter des eaux certifiées « qualité baignade ».
- D’ici à 2024, les péniches du secteur parisien devront se raccorder à un système d’évacuation des eaux usées.
Certains s’en souviennent encore. « Dans les années 1980, la Seine était absolument dégueulasse. Dans les années 2000, il y avait encore de la mousse à la surface », raconte Michel Poulin, ancien hydrologue et membre de France Nature Environnement (FNE). Aujourd’hui, le scientifique, optimiste, estime que la qualité des eaux de la Seine s’améliore. Le fleuve n’est pour autant pas encore assez propre pour la baignade, comme l’espère la maire de Paris Anne Hidalgo, ni vraiment hospitalier pour la biodiversité. La faute notamment à l’agriculture et aux stations d’épuration, parmi les plus gros pollueurs de la Seine.
Entre 2016 et 2017, 99 % des stations de mesure de l’Agence de l’eau Seine-Normandie (AESN) ont détecté au moins une sorte de pesticide, même si une infime partie des 350 produits épandus finit réellement dans le fleuve, selon les chercheurs de PIREN-Seine. Les nitrates issus des engrais azotés polluent aussi la Seine : plus de deux tiers des cours d’eau franchissent le seuil recommandé par l’AESN.
« Si on arrêtait aujourd’hui d’épandre des pesticides et des nitrates, ça mettrait beaucoup de temps avant qu’il n’y en ait plus dans les eaux », prévient Christophe Poupard, l’un des représentants de l’AESN. Des résidus d’atrazine, interdit d'utilisation en 2003, sont par exemple encore très présents dans des eaux souterraines.
Développer l’agriculture biologique sur le bassin
Fabien Frémin et Xavier Dupuis, respectivement maraîcher et céréalier installés sur la ferme de la Haye (Yvelines), en bord de Seine, misent sur l’agriculture biologique. Ils utilisent des engrais verts, comme la luzerne, une légumineuse qui permet de retenir l’azote dans les plantes et empêche l’écoulement de l’eau à travers le sable.
Xavier prélève l’eau de la Seine pour son arrosage et l’analyse une fois par an. Il n’a jamais détecté de traces suspectes depuis 2010. « Cela paraît bizarre, parce que tout le monde pense que la Seine est un nid à polluants. »
Si l’agriculture biologique fait ses preuves, « il y a encore une réticence de la part de pas mal d’agriculteurs », constate Daniel Evain, de la Confédération paysanne Ile-de-France. Mais le nombre de conversions et de poursuites de conversions en bio a doublé depuis trois ans sur la région. Début novembre, l’AESN doit lancer un appel à projets en ce sens.
Autre initiative pour limiter la pollution : celle de l’hydrologue Julien Tournebize, de l’Institut de recherche agronomique (INRAE). Il développe des zones tampons humides artificielles, capables d’absorber pesticides et nitrates. À l’état expérimental en Seine-et-Marne, elles sont placées entre une parcelle agricole et un cours d’eau. Mais selon l’expert, il reste beaucoup d’inconnues : toxicité des résidus de pesticides, absorption réelle des nitrates…
En Seine-Saint-Denis, une station bio-performante
Dans une agglomération de 10 millions d’habitants, les stations d’épuration sont une deuxième source de pollution de la Seine. Ce sont les jours de pluie qui amènent le problème : l’eau pluviale et les eaux usées se retrouvent dans le même tuyau, surpassant la capacité de traitement des stations. Face au volume, celles-ci ne peuvent dépolluer que partiellement les eaux rejetées dans la Seine.
Pour limiter ces rejets, les stations d’épuration du Syndicat interdépartemental pour l’assainissement de l’agglomération parisienne (SIAAP) s’appuient sur des bassins de stockage avec des eaux usées non traitées. Mais pour André Berne, membre de FNE et ancien responsable de l’AESN, leur capacité n’est pas suffisante : « Il faudrait des millions de mètres cubes. »
Les micropolluants, comme les résidus médicamenteux présents dans les urines, créent aussi des difficultés. La station bio-performante Seine Morée, au Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis) permet d’en éliminer une partie. Après un traitement classique, les eaux sont filtrées par des membranes à tubes nano-perforés. Mais la station créée en 2014 ne peut traiter 18.000 m3 d’eaux usées par jour contre 1,2 million de m3 pour la plus grosse, Seine Aval. Une fois rejetées dans la Seine, elles sont certifiées « qualité eaux de baignade ». Cependant, selon André Berne, ce label ne garantit pas la protection de la biodiversité.
Quinze millions d’euros pour les raccordements des péniches
À une tout autre échelle, les 395 bateaux-logements du secteur parisien ont l’obligation, en vue des JO de Paris 2024, de se raccorder à un réseau de collecte des eaux usées. Selon Haropa-Ports de Paris, ce raccordement est, avec le ramassage par camion, la « seule solution techniquement satisfaisante à grande échelle ». Haropa-Ports de Paris et l’AESN ont débloqué 15 millions d’euros pour créer une vingtaine de raccordements d’ici 2022, en plus des 19 existants sur la zone.
Les propriétaires de péniche râlent face à ce système coûteux (des dizaines de milliers d’euros) et contraignant pour les non sédentaires. Dangereux aussi puisque, en cas de problème technique, l’habitation pourrait couler sous le poids de ses eaux usées. Des alternatives au raccordement, comme les toilettes sèches, la phytoépuration (assainissement par les plantes) et des systèmes domestiques d’épuration, se développent.
Mais Raphaël Collette, de la Fédération des associations de défense des habitats fluviaux, le reconnaît : « Tout cela prend du temps. » Trop de temps pour atteindre l’objectif 2024 selon elle…
20 secondes de contexte
La série « Le nouveau cours de la Seine » a été réalisée par une promotion de neuf étudiants en alternance de l’école de journalisme de Paris ESJ-Pro, sous la direction de leurs formateurs et de l’équipe de 20 Minutes. Les sujets brossent la relation changeante entre Paris et son fleuve, dont l’image est bouleversée par l’amélioration constante de la qualité de l’eau.