Coronavirus à Bobigny : « On est dans une action sociale de guerre » face à la crise alimentaire

REPORTAGE Dans la cité de l'Etoile, des distributions de colis alimentaires ont été organisées pour venir en aide aux familles les plus exposées au risque alimentaire

Guillaume Novello
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Les gens attendent de recevoir leur colis des Restos du cœur, à Bobigny, le 13 mai 2020.
Les gens attendent de recevoir leur colis des Restos du cœur, à Bobigny, le 13 mai 2020. — G. Novello
  • La crise du coronavirus et le confinement qui s'en est suivi ont durement frappé les populations les plus pauvres, qui ont à la fois perdu leurs sources de revenus et leurs canaux d'approvisionnement, et s'exposent ainsi à une crise alimentaire aiguë.
  • Pour apporter l'aide au plus près de ceux qui en ont besoin, Emmaus Habitat, bailleur social de la cité de l'Etoile, à Bobigny a noué un partenariat avec les Restos du Cœur.
  • Chaque semaine, des colis sont distribués à une vingtaine de personnes sous la supervision de militants associatifs locaux.

Dans le square déserté de la cité de l’Etoile, un attroupement se forme peu à peu, en ce mercredi après-midi. En silence, les habitants de cette cité de Bobigny ( Seine-Saint-Denis) en pleine rénovation urbaine attendent. « Ils ont 15 minutes de retard, ils arrivent du Blanc-Mesnil », les informe Mohamed Bouriache, militant associatif en jogging bleu et tee-shirt hommage à la Game boy. Et ils finissent par arriver, les Restos du cœur. Leur camion se gare en bordure de la rue de l’Etoile et la distribution commence, sous la supervision de Mohamed et de responsables d’Emmaüs Habitat, bailleur social de la cité de l’Etoile.

« On a vu dès le début du confinement émerger rapidement la question des besoins en aide alimentaire », se souvient Delphine Depaix, directrice des politiques sociales urbaines d’Emmaüs Habitat. Outre les personnes qui avaient l’habitude de s’adresser aux associations d’aide alimentaire, un nouveau public est apparu avec la crise du coronavirus. En raison du confinement, « ceux qui avaient des boulots précaires ont perdu leur travail et se sont retrouvés sans ressources », constate la directrice.

Pas de promo pour les pauvres

C’est le cas de Mouniati, 30 ans. Descendue pour se promener avec Aïcha, sa fille de 18 mois, elle est tombée par hasard sur le camion et s’est inscrite pour la prochaine distribution des Restos. « Je ne pouvais pas travailler car je n’avais pas de moyen de garde pour Aïcha, raconte-t-elle. J’en ai trouvé un en janvier dernier donc j’ai pu reprendre un travail mais avec le confinement tout s’est arrêté. » Avec une famille de cinq et un conjoint dans la même situation, difficile de s’en sortir. « Ça va aider », assure la jeune femme.

Avec le confinement, les marchés ont fermé leurs étals, au préjudice des plus pauvres. « Les gens ici font beaucoup les marchés, explique Elise Monségur, travailleuse sociale pour Emmaüs Habitat. Dans les supermarchés, le coût n’est pas le même, tout coûte beaucoup plus cher. En plus il n’y a plus de promotion dans les grandes surfaces. » Autre coup dur pour les plus précaires, la fermeture des écoles. « Il ne faut pas oublier que parfois la cantine, c’est le seul repas correct d’un enfant dans sa journée, expose Delphine. Vous supprimez ça et c’est un budget explose. »

La nectarine à la hausse

Ali, 62 ans, est parmi les premiers à venir chercher son colis. « Ça fait plaisir », assure-t-il en récupérant le sein. En arrêt maladie depuis mars 2018 en raison d’une double hernie discale, cet employé de l’aéroport de Roissy a du mal à s’en sortir depuis la crise du coronavirus. « Avant le confinement, c’était un peu moins cher. Aujourd’hui, tu vas au marché, tout a augmenté. Dans les épiceries, tu trouves un kilo de nectarines à 4-5 euros et c’est même pas de la belle qualité », affirme-t-il. Le confinement a aussi réduit l’offre de transports publics et pour se déplacer, à cause de ses problèmes de santé, Ali devait « prendre sa voiture et ça coûte cher ». Ses enfants viennent le voir une fois dans la semaine et en profitent pour lui faire quelques courses mais là, c’est son voisin qui l’aidera à remonter son colis.

Les distributions hebdomadaires ont débuté il y a trois semaines et devraient se poursuivre jusqu’au déconfinement total. Elles exigent une étroite collaboration entre les Restos du cœur, Emmaüs Habitat et les associations locales. « On a pris contact avec Les Restos pour savoir s’il était possible d’organiser de la distribution dans des cités Emmaüs, rembobine Delphine Depaix. Sachant qu’en plus avec le confinement, ce n’était pas forcément pertinent que les gens circulent pour récupérer des colis à des points de collecte. On a ciblé les quartiers qui sont les plus précaires comme ici à Bobigny ou à la cité Floréal au Blanc-Mesnil. »

De 10 à 70 en trois semaines

Et à Bobigny, c’est l’association Phoenix, qui assure en temps normal du soutien scolaire du CP à la 6e, qui fait le lien entre les Restos et gens dans le besoin et permet d’identifier ces derniers. « Les familles ne vont pas spontanément appeler leur bailleur en disant "je n’arrive pas à remplir mon frigo", elles vont plutôt en parler aux associations qui sont bien implantées dans le quartier », indique la directrice d’Emmaüs. « Ici, il y a 800 logements, mais tout le monde se connaît. On fait vite le tour, et même si eux, je ne les connais pas, eux me connaissent, explique Mohamed, le président de Phoenix. Et c’est comme ça que je suis devenu référent de l’opération. »

Mohamed Bouriache (à droite), directeur de l'association, tient à jour la liste des béénficiares de l'aide.
Mohamed Bouriache (à droite), directeur de l'association, tient à jour la liste des béénficiares de l'aide. - G. Novello

Et si lors de la première distribution, il n’y avait pas foule, le bouche-à-oreille a fonctionné. « Au début, c’était destiné à 10-15 familles qui étaient nombreuses et dont nous savons que la situation est un peu délicate, détaille l’associatif. Aujourd’hui, la liste doit s’allonger à 70 personnes. » A l’origine au nombre de dix, les colis sont montés à 25 ce mercredi, voire plus les prochaines fois. Comme tous ne peuvent pas être servis, Mohamed et Elise, qui tiennent les listings des bénéficiaires, essaient de faire tourner, en tenant compte des ressources des familles.

Haro sur les combines

Ainsi une mère de famille s’approche du camion mais Mohamed s’interpose et lui explique, pédagogique : « Vous n’êtes pas sur la liste cette semaine et nous sommes obligés de faire un roulement. » Stylo fluo en main, le jeune homme veille au bon déroulement des opérations et n’hésite pas à passer un coup de famille s’il y a des absents : « Toutes les semaines, faut qu’on vous appelle pour chercher les colis ! Tu savais pas ? ! Mais on vous prévient la veille ! »

Mohamed doit aussi parfois joueur au méchant flic. « J’ai pas de langue de bois donc si je considère que certains en profitent, je suis capable de dire non », prévient-il. Et c’est le cas cet après-midi, quand un habitant affirme qu’il doit prendre le colis d’un certain Kamel. Pas de chance, Mohamed finit par identifier le fameux Kamel et passe un coup de fil à ce dernier qui assure n’avoir jamais demandé d’aide alimentaire.

De l’aide pour les nourrissons

De leurs côtés les Restos du cœur préparent les colis en fonction des listes établies par Mohamed et Emmaüs Habitat et de la composition des familles. « Dans les colis alimentaires, il y a le nécessaire pour une famille de 4 à 5 personnes pour une semaine, précise Souhila Hamzaoui, travailleuse sociale pour les Restos. On reçoit beaucoup de ramasses des supermarchés et en fonction de ce qu’on récupère, on est en mesure de remplir un peu plus les colis. » Ces derniers contiennent du riz, des pâtes, du lait, de la sauce tomate, des gâteaux, du thon, des conserves, etc. « Aujourd’hui, on a pu mettre des fruits et légumes, des courgettes, des tomates, des bananes, des pommes, des échalotes », énumère-t-elle.

Des couches et des petits pots sont également distribués aux familles avec des jeunes enfants.
Des couches et des petits pots sont également distribués aux familles avec des jeunes enfants. - G. Novello

Les Restos du cœur fournissent également une aide bienvenue pour les enfants en bas âge. « Ce sont des produits qui sont assez chers pour les familles, les couches, les petits pots, le lait maternel, explique Souhila. On essaie d’être le plus précis possible, par exemple sur le lait infantile, pour adapter au mieux le colis. » Ainsi Mouniati a pu récupérer pour Aïcha des couches et des petits pots qui étaient en rab et qui n’avaient pas trouvé preneurs.

« Que tout le monde puisse en profiter. »

« On vient en dépannage aux personnes en difficulté, résume Elise Monségur. Mon souhait c’est que tout le monde puisse en profiter. » Et globalement qui en fait la demande se retrouve, en échange d’un numéro de téléphone pour être prévenu de la distribution, sur la fameuse liste de Mohamed. « On est dans une action sociale de guerre, il n’y a plus de procédure, les gens dans le besoin viennent, on donne, appuie Delphine Depais. On n’imaginait pas avant cette crise que nos locataires allaient être confrontés à ce besoin. »

Il est presque 17h, les portes du camion se ferment et les derniers colis viennent de partir. Mais pour Mohamed, la distribution n’est pas terminée. Il lui reste des denrées alimentaires d’autres associations dans le local de Phoenix, situé juste de l’autre côté de la rue. « Qui veut de la farine ? » lance-t-il. « Moi, je veux bien, lui répond Mouniati. En plus, en ce moment, on n’en trouve pas dans les commerces. »