Plongée dans les faits divers parisiens: Les 84 morts de la station Couronnes

récit Trois ans après sa mise en service, le métro parisien connaît la pire catastrophe de son histoire. Le 10 août 1903, peu avant 19h, un incendie se déclare sur la ligne 2. Le décompte macabre ne pourra commencer qu’au petit matin…

Julie Bossart
Gravure représentant la remontée des cadavres, au lendemain de la tragédie.
Gravure représentant la remontée des cadavres, au lendemain de la tragédie. — RETRONEWS/BNF
  • Quatre mois après l’ouverture complète de la ligne 2 du métro parisien, un incident électrique se produit dans la voiture du conducteur Chauvin.
  • L’incendie se propage dans les tunnels, la panique est totale, la visibilité nulle : 84 voyageurs perdront la vie.
  • Une catastrophe dont la compagnie du chemin de fer métropolitain de Paris (CMP) tirera des enseignements, encore en vigueur aujourd’hui

Tout l'été, « 20 Minutes » revient sur les grands faits divers qui ont marqué Paris en partenariat avec Retronews, le site de presse de la Bibliothèque nationale de France. Aujourd'hui, l'incendie du métro à la station Couronnes, le 10 août 1903, qui a provoqué le décès de 84 passagers.

« Une rumeur a circulé hier soir dans Paris, provoquant partout une émotion d’autant plus considérable que les informations précises faisaient complètement défaut. » Las, cette rumeur, dont rend compte en « Dernière heure » Le Petit Parisien, le 11 août 1903, est la pire catastrophe qui ait frappé le métro parisien. Il y a bientôt cent quatorze ans jour pour jour, 84 personnes ont péri aux stations Couronnes et Ménilmontant, à la suite d’un incendie qui s’est propagé dans les profondeurs du 11e arrondissement. 



Depuis la mise en service, le 19 juillet 1900, de la première ligne de la compagnie du chemin de fer métropolitain de Paris (CMP), joignant porte de Vincennes à porte Maillot, ce nouveau mode de transports n’a connu qu’un accident majeur : la collision entre deux trains à la station Concorde, le 19 octobre, où trente-huit blessés sont à déplorer. En revanche, de nombreux incidents liés à l’utilisation, encore mal maîtrisée, de l’énergie électrique comme force motrice sont constatés (la technologie dite Thomson-Houston).

« J'entendis un choc brusque sous le plancher de ma voiture » 

Le 10 août 1903, peu avant 19 heures, quatre mois après l’ouverture complète de la ligne 2 (porte Dauphine-Nation), le train n°43, conduit par le wattman Georges Chauvin, se dirige vers son terminus du 12e arrondissement. « Au moment où nous arrivons à Barbès, j’entendis un choc brusque [ou "coup de feu"] sous le plancher de ma voiture, retrace l’homme dans les colonnes du Matin, le 11 août.


Je vis monter une épaisse fumée, j’attribuai cet accident à un court-circuit. » Le feu persiste malgré l’usage d’extincteurs mais, la rame étant aérienne, le risque est moindre et elle repart « haut le pied », c’est-à-dire vidée de ses voyageurs. Tout ce que Georges Chauvin obtient est de calmer le feu jusqu’à la station Allemagne où il se résout à demander, pour la ramener à son atelier, la réquisition du métro qui le suit, le n°52, conduit par le wattman Fleuret. Ce dernier évacue ses passagers et rejoint la station Combat, où le train n°43 s’est laissé descendre.

Repris dans presque tous les titres de presse de l'époque, le plan de la station où ont été découvertes les victimes.
Repris dans presque tous les titres de presse de l'époque, le plan de la station où ont été découvertes les victimes. - RETRONEWS/BNF

Rassemblées en un seul attelage, les deux rames filent et dépassent Belleville, puis Couronnes. Un nouveau court-circuit d’une grande intensité se produit dans le premier train en détresse et se généralise avant l’entrée dans la station Ménilmontant. La fumée envahit le tunnel jusqu’à la station Couronnes, où attend déjà la rame suivante, la n°48. « Mon train était bondé, rapportera le wattman Chedal au Temps, le 12 août.


Il contenait au moins 350 voyageurs. Nous avions recueilli, à la station Barbès, les personnes qu’on avait fait sortir du train n°43. » Les personnels de la CMP adjurent les passagers de quitter la station. Beaucoup ne veulent rien entendre, réclamant d’abord le remboursement de leur place. Ce ne sera qu’en voyant « le mur de fumée » provenant de la station Ménilmontant que les malheureux réagiront. Trop tard.

La découverte des cadavres illustrée dans l'un des titres d'époque.
La découverte des cadavres illustrée dans l'un des titres d'époque. - RETRONEWS/PDF

« Une effroyable panique», «une vision de cauchemar »

Vers 19h30, les fils des câbles électriques fondent, plongeant la station dans l’obscurité. Croyant pouvoir se sauver par l'escalier menant à la sortie, des passagers, dans « une effroyable panique », se dirigent à l’opposé, vers l’extrémité du quai qui est, lui, fermé par un mur. C’est là, dans cet angle sans issue, au terme d’indicibles efforts pour accéder au lieu de la tragédie, que les secours trouveront, au petit matin, 75 cadavres. Prises au piège, les victimes ont été empoisonnées à l’oxyde de carbone. D’autres seront retrouvées, carbonisées, à la station Ménilmontant. « Sur le quai, contre le mur fatal où se ruèrent les malheureux en tas, une large tache sombre, qui est une mare de sang, témoigne Le Journal, le 12 août. Il y a là des ombrelles, des chapeaux de paille (…), un pain frais, une poupée. C’est une vision de cauchemar. »

L'une des rares photos se rapportant au tragique incendie du métro.
L'une des rares photos se rapportant au tragique incendie du métro. - RETRONEWS/BNF

Déroulement des faits, récit des survivants, énumération du nom des victimes… La presse de l’époque consacre une multitude de colonnes à « la catastrophe du métropolitain » ainsi qu’à ses origines. « Est-elle un de ces accidents dus à la fatalité, que nul ne pouvait prévoir ? Est-elle un vice inhérent au système d’exploitation même, ou bien n’a-t-on pas fait tout ce qu’il fallait pour l’empêcher ? La réponse n’est pas douteuse. Si les mesures voulues avaient été prises, elle ne se serait pas produite », tranche Le Journal. Et le titre de lister la succession d’anomalies qui ont conduit au drame : le système d’alimentation des rames, le manque de voies de garage pour les trains et de dégagements pour les voyageurs, la médiocre ventilation des tunnels… Mais quid des responsabilités ?

Le juge Jolliot ouvre une instruction contre X pour homicide par imprudence. Pour la CMP, les responsabilités incombent à n’en pas douter au wattman Georges Chauvin, à qui elle reproche d’avoir ignoré les instructions à l’usage des conducteurs. Le bouc émissaire sera, à l’égal de trois autres employés, condamné, le 17 décembre 1904, à une peine d’amende et de prison avec sursis.

Ni la Ville de Paris, qui avait assuré la construction du réseau, mais dont les questions de sécurité relevaient du préfet de police de Paris, ni la CMP, qui en assurait l’exploitation, ne sont, elles, mises en cause. 

« La redéfinition du système d'exploitation et de sécurité »

« A l’époque, les employés du terrain avaient beaucoup d'autonomie de décision, ils n'étaient pas supervisés par une hiérarchie comme il en existe aujourd'hui », indique Didier Janssoone, auteur, avec André Mignard, de L’Histoire du métro parisien pour les nuls. Peu étonné qu'on ait « voulu faire porter le chapeau au conducteur », le spécialiste des transports ferroviaires et urbains en France ajoute toutefois que la CMP, qui a pris tardivement conscience de ses négligences, a appliqué des mesures immédiates.

L'accent a été porté sur l'éclairage : « En 1900, ils faisaient très sombre dans le métro, on n'arrivait à peine à lire un journal », illustre Didier Janssoone. C'est ainsi que sont apparus les premiers éclairages de secours indépendants, complétés par une inscription lumineuse « Sortie » au-dessus de chaque escalier débouchant sur les quais. De même, les liaisons téléphoniques ont été améliorées. « En cas d'incident, on pouvait interrompre manuellement l'alimentation du rail conducteur, mais cette opération ne pouvait se faire que par demande téléphonique, ce qui était encore assez rudimentaire il y a un siècle », rappelle-t-il.

Pour ce qui est des mesures à plus long terme, elles ont mis davantage de temps à être réalisées, en raison des difficultés budgétaires et des délais de réalisation. « L'isolation des câbles électriques a été revue; tous les équipements ont été constitués de matières incombustibles ou ininflammables (fini les rames en bois, place aux voitures en métal); des sorties supplémentaires ont été creusées afin d'évacuer plus rapidement les stations », énumère Didier Janssoone. Aujourd'hui, Liège, sur la ligne 13, fait partie de ces rares stations où l'entrée est également la sortie. 

Traumatisme considérable en France, mais aussi dans les villes étrangères exploitant des réseaux souterrains, la catastrophe de la station Couronnes a conduit à la redéfinition des règles d'exploitation et de sécurité du métro. Construite selon les nouvelles normes, la ligne 4 accueillera ses premiers voyageurs en 1908. La CMP ne sera pourtant pas au bout de ses peines. Le 27 janvier 1910, en raison d'une crue comme Paris n'en avait pas connu depuis 1658, l'eau inonda le métro. Mais, ça, c'est une autre histoire.